Valérie Nivelon, Productrice de l’émission « La marche du monde » sur RFI

Valérie Nivelon, Productrice de l’émission « La marche du monde » sur RFI

Après le Bac et un Deug d’anglais, j’ai intégré sur concours un master information et communication à l’université de Bordeaux iii, option journalisme. C’est à ce moment-là que j’ai proposé une chronique hebdomadaire à Radio France Bordeaux qui m’a confié ensuite, et à ma grande surprise, un magazine quotidien sur le monde étudiant ! Comme j’effectuais ma dernière année de master, j’ai dû négocier avec l’université. Par chance, je me suis vue accorder une année supplémentaire pour rendre mon mémoire.

Je suis aujourd’hui productrice à RFI de « La marche du monde », un magazine hebdomadaire historique, récompensé en 2010 par le prix SCAM pour la meilleure émission de radio.

RFI, radio internationale qui émet depuis la France vers l’étranger, m’a demandé il y a dix ans de créer un programme autour de l’histoire qui aborde les cinq continents, en complément de deux autres émissions qui existaient déjà, spécialisées sur l’Afrique. La radio est un média privilégié pour explorer la mémoire et, sans être historienne de formation, je suis passionnée par l’investigation historique. J’ai voulu travailler sur le témoignage et aller à la rencontre des acteurs connus ou anonymes, recueillir les récits d’expériences de celles et ceux qui ont vécu les processus et les événements du xxe siècle. Je me souviens de nombreuses rencontres, qui toutes m’ont marquées, avec Raymond et Lucie Aubrac, chez eux ; avec Aimé Césaire à Fort-de-France, les compagnons du Che à Cuba… ce sont des moments très forts qui permettent de sortir des livres pour entrer dans la dimension humaine de l’histoire.

L’esprit de cette émission est donc de faire revivre ces moments d’histoire aux auditeurs, en mêlant la parole des témoins, les archives sonores que l’on va chercher à RFI, à l’INA, ou que l’on ramène du terrain, et la parole des experts : historiens, documentaristes, anthropologues, sociologues, journalistes spécialisés.

Les termes de réalisateur et de producteur n’ont pas le même sens à la télévision et à la radio. À la radio, le producteur ne monte pas le financement d’une émission, mais prend en charge la conception, l’éditorial et le management de l’équipe ; il est responsable de l’émission ou du magazine et bien souvent il en est à l’origine, même s’il peut aussi reprendre une émission existante. Il en est le rédacteur en chef et tout à la fois présente, construit, enquête, recueille des témoignages, fait du montage, même s’il travaille avec un réalisateur. À RFI, je travaille en permanence avec une réalisatrice, Cécile Pompeani, et le dialogue que nous avons est d’autant plus essentiel que notre travail se situe à la frontière de nos compétences respectives, avec la production de plusieurs documentaires sonores par an que nous diffusons au sein de notre magazine. Je crois au travail d’équipe, aux échanges et à la dialectique.

Cette émission hebdomadaire de 47 minutes a fait des petits et génère différents projets à la croisée du monde de la recherche, du journalisme et du documentaire. J’ai initié ainsi en 2008 un travail sur les déportés européens du Goulag avec l’équipe du Centre d’Études du monde Russe et du Caucase, un laboratoire du CNRS. Nous avons sillonné l’Europe pendant trois ans pour recueillir 160 témoignages de survivants et cette grande enquête a donné lieu à sept ou huit émissions de radio ainsi qu’à un musée virtuel http://museum.gulagmemories.eu et à un livre, « Déportés en URSS », publié aux Éditions Autrement. Ces témoignages sont également archivés dans la sonothèque de RFI.

Pour mener à bien cette grande enquête, nous avons initié les chercheurs aux techniques de prise de son de façon à obtenir des enregistrements de qualité. Le recueil de témoignages n’obéit pas aux mêmes règles que l’interview classique, celui des hommes politiques par exemple. On n’interrompt pas un témoin et il faut poser à tous les interviewés, ici très nombreux, le même type de questions. Nous avons également mis à disposition des studios pour les traductions simultanées car les témoins s’exprimaient dans neuf langues et il était essentiel de préserver cette sorte de Babel linguistique en restant dans
la tradition orale, avec la qualité musicale et émotionnelle de chaque langue, ce qui aurait été perdu s’il avait fallu faire des traductions à partir de retranscriptions.

À la radio comme ailleurs, le passage au numérique a restructuré les méthodes de travail et transformé les métiers. Il y avait avant un technicien et un réalisateur, maintenant c’est deux en un. L’outil informatique supprime la manipulation des bandes magnétiques et permet d’organiser intellectuellement le montage, en multipliant les entrées thématiques et chronologiques. Le travail est facilité, même si on regrette parfois le grain et la couleur du son analogique. Ce qui est difficile surtout, c’est l’accélération du rythme éditorial : produire 47 minutes chaque semaine sur des sujets géographiquement, sociologiquement et historiquement extrêmement différents demande beaucoup d’efforts, du moins si on veut comprendre la complexité des choses et faire de l’histoire partagée. Nous essayons de trouver la bonne équation en faisant une émission qui n’est pas formatée : certains sujets sont plus rapidement produits, ce qui nous permet de consacrer davantage de temps à d’autres.

Les jeunes journalistes ne doivent pas oublier cette règle : les sources du Net ne remplaceront jamais l’enquête de terrain et la rencontre. Il faut savoir résister à la pression et dire : je ne suis pas prêt, j’ai besoin de creuser et de vérifier. C’est le devoir du journaliste. Ce qui compte, c’est de faire la meilleure enquête possible, et non de finir le plus vite possible. Car c’est cette qualité qui vous fera connaître et respecter, qui vous permettra de gagner la confiance des rédacteurs en chef et le droit d’aller sur le terrain. C’est un investissement pour l’avenir. Il faut résister, c’est ce que m’ont appris tous ces témoins merveilleux que j’ai rencontré !

Le lien vers l’émission
http://www.rfi.fr/taxonomy/emission/179

(Témoignage publié dans l’édition 2012/2013 du Guide des Formations)