Un premier voyage en 1995, avec un ami dans une vieille Citroën m’avait permis d’entrevoir le désert. Je rêvais d’y retourner. En 1997, par le biais d’un contact avec un étudiant touareg nigérien, je suis allé au nord du Niger. J’étais déjà à l’époque étudiant en cinéma à l’université, mais je ne me dirigeais pas encore spécialement vers le documentaire que je ne connaissais d’ailleurs qu’assez mal.
Au Niger, la rébellion qui avait opposé les fronts de libération touareg et l’armée nigérienne était finie depuis un an et les combattants en exil rentraient pour obtenir les postes prévus par les accords de paix au sein de l’armée ou de l’administration. Le climat était euphorique et chaotique. Assez vite, je rencontrais Oumar Habata, ex-rebelle responsable d’écoles nomades dans la vallée de Tidene au nord d’Agadez, qui est devenu un ami. Je me souviens qu’il trimbalait souvent avec lui une vieille guitare sèche avec laquelle il reprenait les chants de la rébellion.
La musique pouvait rappeler le blues, le rock, parfois le reggae. Les textes chantaient l’amour et la nostalgie du pays, la dureté de l’exil, la souffrance. Certaines chansons étaient parfois extrêmement concrètes et traitaient des événements avec une grande précision. Ainsi, telle chanson correspondait à telle attaque, telle autre au massacre d’un campement et telle autre encore à la signature des accords de paix. Je découvrais aussi le rôle actif et presque de propagande qu’avaient pu jouer ces chansons, car c’était souvent en entendant les cassettes qui circulaient clandestinement que des milliers de jeunes touaregs avaient rejoint la rébellion.
En rentrant à Paris, un peu déboussolé mais fasciné par cette histoire, je me suis intéressé à tout ce qui se rapportait au sujet, en particulier aux travaux d’ethnologues. Parallèlement, dans mes études universitaires, je découvrais peu à peu, grâce aux cours de Jean-Louis Comolli, le continent du film documentaire.
C’est en 1999 que j’obtenais l’aide à l’écriture du CNC pour un projet de documentaire autour de la musique de la rébellion touareg. L’enjeu du film était d’en transmettre l’histoire, non comme une science relatant faits et dates avec précision mais plutôt selon les modes de transmission utilisés par ses propres acteurs : à travers la parole, la musique et le chant. Le montant de la « prime à l’écriture » était alors de 2250€ et j’ai pu grâce à celle-ci partir en repérages dans l’Adrar des Ifoghas au nord du Mali, jusqu’au sud de l’Algérie et au Niger. Durant 3 mois, j’ai filmé des musiciens touaregs, accompagné d’un ami ingénieur du son, Aurélien Rica, qui s’était également passionné pour cette musique. Puis j’ai travaillé sur le dossier de production avec le producteur Jean Philippe Raymond, (Hibou) et nous avons présenté un dossier pour obtenir une aide au développement du CNC (5000€).
En janvier 2001, alors que le dossier n’était pas encore finalisé, j’ai dû convaincre la production de la nécessité de repartir en urgence au Mali pour filmer une grande rencontre de musiciens. J’étais toujours accompagné de mon ingénieur du son et cette fois d’un chef-opérateur expérimenté. Même si j’aime bien cadrer moi-même, je voulais tourner certaines séquences avec deux caméras. Le voyage a duré un mois. J’ai rencontré les membres du groupe Tinariwen et je suis rentré convaincu de tenir un film. Ils étaient les créateurs de cette musique qu’on jouait dans tout le monde touareg et avaient participé à toutes les étapes de la rébellion. C’étaient eux qui porteraient l’histoire.
A mon retour, j’ai finalisé le dossier pour les chaînes de télévision. Mon producteur a proposé le projet aux différentes chaînes hertziennes mais les contacts n’ont pas abouti. La chaîne thématique Muzzik était intéressée, mais elle était alors en pleine restructuration après une fusion avec Mezzo. Je me retrouvais avec un film dont le premier tiers était déjà tourné, sans diffuseur et sans argent. Ce fut une période très dure moralement et plusieurs années après l’avoir commencé, je me demandais encore si le film verrait le jour.
Puis j’ai reçu un petit héritage et j’ai acheté une caméra en finançant un nouveau voyage de deux mois. J’ai pu finir une partie du tournage sur la rébellion au Mali et compléter celle sur le Niger. Fin 2002, on a reçu enfin une promesse de coproduction avec Mezzo, avec un apport de la chaîne d’un montant de 6000€, qui attendra encore deux ans pour se concrétiser. Cette promesse m’a cependant permis de retourner au Niger et en Algérie durant trois mois, car je voulais filmer une chanteuse traditionnelle installée à Tamanrasset. Le film prenait une ampleur imprévue. L’engagement de Mezzo permettait au producteur d’accéder au Cosip (12 500€) et de solliciter d’autres aides. Nous avons ainsi obtenu 7000€ de la Procirep et 7000€ du Fonds pour la création musicale (FCM), l’ensemble du budget du film étant de 28 000€.
En 2005, j’ai pu enfin monter « Teshumara » avec une collaboratrice régulière de Hibou, Isabelle Feder, qui a un très bon sens du rythme, ce qui n’est pas rien pour un film en grande partie musical. Nous avions cent heures de rushes, ce qui est à la fois beaucoup et peu si l’on pense que le tournage s’est étalé sur plusieurs années. Le dérushage s’est fait avec la chef-monteuse. Le montage était prévu sur trois semaines et a duré finalement un mois et demi. Alors qu’après tant d’épreuves, je n’osais même plus parler de ce projet autour de moi, j’en voyais désormais la fin.
C’était mon premier film produit de manière professionnelle et tant que je n’avais pas achevé celui-là, j’avais l’impression de ne jamais pouvoir en faire d’autres. Après l’aide de la Sacem, le film a été sélectionné au festival de Radio France de Montpellier. C’est la première fois que je le montrais en public. Il a ensuite été sélectionné au Bilan du Film ethnographique, à Traces de vie et dans de nombreux festivals à l’étranger. J’avais également envoyé une copie vidéo à des salles de cinéma et le directeur de l’Espace Saint Michel m’a rappelé. Il voulait prendre le film mais il nous fallait un distributeur. Il m’a mis en contact avec Shellac, qui m’a proposé une programmation croisée avec un film en 35mm sur la vie d’Ali Farka Touré, « Le miel n’a pas le même goût dans toutes les bouches ». Le film est finalement sorti le 23 août à l’Espace Saint Michel et a obtenu le Prix du meilleur documentaire 2006 de la Sacem, ce qui lui a valu d’être sélectionné à Lussas.
Le producteur du groupe Tinariwen qui est entre tant devenu célèbre, veut rééditer leur premier album avec mon film en DVD. A l’occasion de sa diffusion sur Mezzo, le film a bénéficié d’une bonne critique dans Télérama. Mais le plus important est sans doute que le film est très apprécié dans le monde touareg.
Ce film a été très dur à faire et très compliqué à produire, mais il va maintenant pouvoir avoir une vraie vie.
(Témoignage publié dans l’édition 2005 du Guide des Aides)