Le concept d’Arte Radio est unique au monde. Car c’est une web radio musique avec un contenu radiophonique élaboré, qui en même temps propose une diffusion hebdomadaire en phase avec l’actualité. Tous les programmes sont téléchargeables depuis deux ans. C’est plus de 420 fichiers sonores que l’on peut écouter, des reportages, des portraits, des ambiances sonores du quotidien. On a pas de webmestre spécialisé, pas d’informaticien dédié, on fait tout nous-mêmes. Le site est très bien conçu, avec une application qui permet d’enchaîner et d’écouter les reportages sonores. C’est presque un logiciel, un player qui permet d’enchaîner les sons et de faire son propre programme, une radio « à faire soi-même ». C’est très original. Depuis l’été 2003, existe également une version jumelle compatible avec les logiciels d’aide aux aveugles et aux malvoyants.
La chaîne de télévision Arte m’a proposé il y a deux ans de créer une radio sur le web. J’ai demandé et obtenu carte blanche du président Jérôme Clément. On a alors constitué avec Christophe Réaux une équipe de 6-7 pigistes, une équipe jeune avec des gens bons techniquement mais pas encore formatés. Beaucoup d’entre eux sortaient d’école comme les 3IS. On a aussi recruté des journalistes professionnels pas nécessairement issus de la radio, des artistes sonores, d’autres qui n’en avaient jamais fait mais qui avaient un point de vue sur le monde. Aujourd’hui on a toujours ce drôle de rapport à l’actualité, on privilégie le travail d’auteur à celui de journaliste. On crée des courts-métrages sonores, des portraits de gens qui ont un point de vue sur ce qu’ils font. C’est un parti pris très fort, tout le contraire du plus petit dénominateur commun pratiqué généralement dans les grands médias. C’est difficile de faire une radio comme la nôtre. On est très exigeant sur la qualité technique des programmes et on paie tout le monde. Nous, notre ligne éditoriale c’est l’intime et le politique. Pour un reportage qu’on avait fait sur des gens qui fument du cannabis, on avait interrogé deux personnes qui parlent d’elles-mêmes et nous font partager leur angoisse métaphysique devant la vie qu’ils mènent. Il n’y a pas de filtre entre l’idéologie du journaliste et les paroles des gens. L’auditeur est poussé à se poser des questions sur ce qu’il entend. Il n’existe pas de commentaires ou de voix off qui viendraient s’interposer et filtrer les idées des personnes enregistrées.
Personnellement, j’ai le statut de journaliste, même si je n’ai jamais vraiment travaillé comme tel. J’ai suivi une formation à l’IPJ, l’Institut Professionnel du Journalisme, et m’en suis fait virer. J’ai travaillé pendant 4 ans à France Culture comme producteur délégué, c’est-à-dire auteur d’émission, et aussi comme critique culturel, puis 8 ans comme rédacteur en chef d’Arte magazine, le journal de la chaîne diffusé auprès des professionnels. En parallèle, j’ai aussi écrit un bouquin aux éditions du Seuil « Johnny est mort » sorti en même temps que la radio se créait.
Je suis énormément sollicité et reçois beaucoup de candidatures spontanées. Je fais le choix de dire d’abord non à tout. Je demande simplement aux gens d’écouter ce qu’on fait. Je ne donne pas de rendez vous, s’ils ne proposent rien. Les jeunes surtout ont peur qu’on leur pique leurs idées, mais ce n’est pas vrai, il faut bien créer une base pour pouvoir échanger. Il ne faut pas demander du travail mais donner, offrir. Je conseille aux gens de partir de là où ils sont. Les qualités c’est l’originalité, être drôle et compétent dans la prise de son. Aujourd’hui il y a tellement un culte autour de l’artiste que certains se pointent et croient que c’est gagné, mais c’est quand même bien de maîtriser la technique. Ici on passe pas mal de temps à former les gens. Ils font tout eux mêmes : la prise de son, le montage son, le mixage et la réalisation finale, qui se fait toujours avec le pigiste et Christophe. Certes il faut parfois reprendre, faire des coupes, tout remettre à plat, mais le journaliste accompagne son projet de la conception jusqu’à sa réalisation finale. Cela demande une sensibilité musicale. Christophe quand il monte, il tape du pied.
Le mieux c’est de se former techniquement, de pratiquer beaucoup, de s’écouter, et d’écouter les grands anciens comme Daniel Mermet, écouter France Culture (« Atelier de création », « Surpris par la nuit ») et Arte radio bien sûr. Et puis surtout il faut avoir quelque chose à dire. Un univers, une appréhension, une obsession. Ne pas forcément vouloir tout faire, défendre un point de vue. Un sujet c’est d’abord un point de vue. Un point de vue sonore, qui ne puisse se traduire ni en film, ni en article. Sur les trois sujets qu’on a fabriqués aujourd’hui, un cours de tango à Buenos Aires, l’ambiance sonore d’un marché de Rabat et le témoignage d’un contrebassiste, aucun ne pourrait se réduire simplement à l’image.
(Témoignage publié dans l’édition 2005 du Guide des Formations)