Cheffe monteuse
Le montage a toujours été un choix évident pour moi, et La Fémis la meilleure voie pour y arriver. Ce qui m’y attirait particulièrement c’est que l’apprentissage s’y transmet essentiellement par une pratique collective : on travaille tous à fabriquer des films. On m’y a transmis des choses fondamentales telles qu’aiguiser son regard, adopter la bonne distance par rapport à la matière, affirmer son point de vue, et considérer la collaboration comme le centre du travail.
« La fiction 16 », un exercice auquel est consacrée la seconde partie de la première année et au cours duquel chaque élève écrit, réalise et monte un film d’une dizaine de minutes en 16 mm, fut pour moi un exercice fondateur. Il donnait l’occasion à chaque étudiant·e d’expérimenter tous les postes de la fabrication d’un film et il m’a permis d’envisager tous les métiers et tous les aspects d’un film.
Cette dimension collective est pour moi une notion essentielle : on œuvre tou·tes ensemble à l’élaboration d’un film dont le résultat sera la somme de ces talents. Il me semble important de valoriser cette idée de l’équipe, de l’apport de chacun·e au film en train de se faire et, à mon tour aujourd’hui, je transmets cette idée auprès de mes étudiant·es monteur·ses ou réalisateur·rices en les amenant à saisir la nécessité du dialogue avec les autres.
À mon sens, le métier de monteur·se consiste dans un premier temps à savoir décrypter les rushes, discerner le film à venir, et donc percevoir ce qui y existe réellement et non ce qu’on voudrait y voir. Cette étape de dévoilement des rushes est évidemment un moment de fragilité pour le/la réalisateur ·rice qui a rêvé son film. Mais c’est aussi selon moi le moment de la vraie rencontre avec lui ou elle. C’est l’épreuve du réel.
Puis, en collaboration avec le/la réalisateur·rice, il faut trouver l’écriture du film. Le/la monteur·se doit alors laisser libre cours à sa créativité et à une ouverture d’esprit, afin d’être en mesure de proposer des choses. Il/elle doit rentrer dans l’univers du/de la réalisateur·rice, comprendre son désir tout en s’appropriant les images, en gardant en permanence la distance juste, celle qui permet des discussions et des confrontations. Être exigeant·e et ne pas se satisfaire trop vite. Cela demande une endurance et une remise en cause incessantes.
C’est l’étape que je préfère, notamment parce que c’est dans cette interaction que l’on interroge et qu’on trouve l’écriture du film. Selon moi, il est essentiel de se nourrir de cinéma, mais aussi de toutes les autres formes d’arts qui contribuent à enrichir nos imaginations.
Mon accès à la culture a été intuitif et mû par une grande curiosité. En nous donnant accès à l’œuvre des autres, une école nous aide à développer notre propre « style ». Plus on voit de films et de styles différents, plus on se donne la liberté d’essayer et de ne pas se laisser enfermer dans des idées convenues.
Dans ma pratique, je monte aussi bien des fictions que des documentaires, et je tiens à ces deux formes de narration, l’une se nourrissant de l’autre. En documentaire j’ai beaucoup appris, puisqu’il y a une nécessité plus forte de trouver le récit au milieu des rushes. Il faut « tout essayer » ou en tout cas ne pas avoir d’idées préconçues. Cette « liberté » nourrit mon rapport à la fiction.
Notre métier nécessite bien évidemment des connaissances techniques mais demande avant tout un sens de la dramaturgie. Aujourd’hui, souvent pour des raisons d’ordre économique, l’équipe de montage est réduite au/ à la seul·e chef·fe monteur·se. Nous avons alors la responsabilité de l’organisation du projet tant sur l’aspect logistique que technique, et nous devons de ce fait tout à la fois effectuer les tâches de l’assistant·e, du stagiaire et du/de la chef·fe monteur·se.
En plus d’être préjudiciable au film, cette « rupture de la chaîne du travail » rompt une possibilité de transmission des savoirs. Or mon expérience d’assistante, à la sortie de la Fémis, m’a appris en observant des monteur·ses aguerri·es au travail, des choses immatérielles et essentielles : la constance, l’exigence, l’énergie… et avant tout la joie immense à raconter des histoires, mais aussi la nécessité de donner du temps au film, le temps de réflexion, de maturation, de mise à l’œuvre. Ce temps donné au film, qui malheureusement se réduit considérablement aujourd’hui, est un facteur indispensable pour que celui-ci se trouve. Et si cette « épreuve du temps » représente une difficulté pour le/la monteur·se (car il s’agit aussi de ne pas épuiser son regard), elle permet aussi de constamment relancer l’exigence et le regard du/de la monteur·se avec le/la réalisateur·trice, et toujours au service du film.