Stéphane Natkin, directeur de l'ENJMIN et professeur titulaire de la chaire système multimédia au CNAM

Stéphane Natkin, directeur de l’ENJMIN et professeur titulaire de la chaire système multimédia au CNAM

Après un doctorat d’état en informatique, j’ai enseigné au Conservatoire National des Art et Métiers en tant que professeur. J’ai ensuite fondé une société d’informatique et ouvert une galerie d’art, avant de retourner enseigner au CNAM et créer les premières formations relatives au multimédia. Aujourd’hui j’ai la responsabilité de l’ensemble des filières multimédias.

En 1999, suite à une discussion avec la directrice du CNAM Poitou-Charentes, nous avons décidé de monter un DESS multimédia dans cette région. Le terme « multimédia » désignait déjà à l’époque tout et n’importe quoi. Nous avons décidé d’appuyer le DESS sur un secteur professionnel spécifique. Nous avons examiné différents domaines dont les outils pour effets spéciaux et l’animation et les dispositifs numériques dans le spectacle vivant. Mais l’industrie du jeu était en plein essor, les studios florissants et les débouchés prometteurs. Ceci nous a incité à monter, avec la collaboration des universités de Poitiers et de La Rochelle, du Centre national de la bande dessinée et de l’image et de l’IRCAM, une formation spécialisée dans les jeux vidéo.

Même s’il existait dans les formations à l’animation et à la programmation des modules consacrés au jeu vidéo, il n’y avait alors qu’une seule formation dédiée, au Japon, et elle était financée par un éditeur de jeux. Après avoir étudié le modèle de production des jeux qui se rapproche de la production audiovisuelle, nous nous sommes inspirés du modèle des écoles de cinéma pour construire notre programme pédagogique. L’essentiel à mes yeux est d’apprendre dans le cadre d’un travail collectif autour d’un projet pluridisciplinaire. Depuis la création de l’ENJMIN, d’autres formations se sont créées en France et à l’étranger sur des modèles voisins.

La façon de faire des jeux vidéos maintenant n’a rien à voir avec celle utilisée il y a dix ans et sans doutes encore moins avec les techniques qui seront utilisées en 2018. Dans cet environnement mouvant, je pense qu’un jeune qui sort du bac, avant de se former au jeu vidéo doit savoir si il souhaite travailler plutôt dans la programmation, le graphisme, l’écriture ou le son… et acquérir des compétences dans ce métier de base avant de se spécialiser.

L’Ecole Nationale du Jeu et des Médias Interactifs Numériques (ENJMIN) est donc ouverte aux étudiants ayant déjà au moins un diplôme de niveau Bac+3. Elle propose un master en deux ans à 45 étudiants, avec six spécialités qui correspondent aux différents métiers du jeu vidéo : Game Design, conception visuelle, conception sonore, programmation, chef de projet et ergonomie. Le Game Designer est celui qui conçoit le mécanisme du jeu et le scénario, c’est un peu l’équivalent du réalisateur au cinéma, même s’il n’a pas la même autorité, du fait du caractère collectif de la création des jeux. La conception visuelle concerne deux grandes classes de métiers : les graphistes qui conçoivent et modélisent personnages et décors et les animateurs, qui, comme leur nom l’indique, animent les personnages. L’équipe son (souvent réduite à une personne) intègre les éléments sonores (musique, bruitage, voix) dans l’interactivité. Le programmeur intervient, soit sur l’aspect créatif pour intégrer les différents éléments du jeu, soit sur un aspect plus technique en développant des outils qui permettront de créer le jeu. Quant au chef de projet, c’est celui qui joue le rôle du producteur exécutif : il gère l’organisation et le management, ce qui n’est pas rien dans un milieu où les conflits d’égos sont fréquents. Il est aussi l’interface avec l’éditeur qui finance le jeu. On note enfin une demande de plus en plus forte de spécialistes en sciences humaines qui étudient le comportement, la psychologie cognitive du joueur.

Les étudiants choisissent leur spécialité dès leur candidature. Au premier semestre, ils s’initient à l’univers du jeu vidéo, puis, une fois le langage commun acquis, suivent des cours de spécialité. Ils réalisent alors en groupes de quatre un projet interactif fini. En deuxième année, ils réalisent leur projet principal, cette fois-ci en groupes de neuf étudiants avec des proportions définies dans chaque spécialité. C’est ce qu’on appelle une pré-production d’un jeu réaliste. La première étape consiste à définir le projet et la bible du jeu (qui en présente les contraintes et les aspects techniques), à en faire une maquette et à en gérer le budget (qui permet par exemple d’acheter du matériel spécifique ou d’embaucher des acteurs) dans les conditions d’un studio de création de jeux. Les projets sont présentés à trois reprises devant des professionnels et en particulier un parrain prestigieux. Cette année c’est Jordan Mechner, le père de Prince of Persia. En parallèle, des conférences professionnelles sont organisées avec des personnalités européennes et d’outre-Atlantique, des gens de la technique et du marketing, des créateurs, des scientifiques. Cette année nous espérons avoir entre autre Ishio Toiwa, le compositeur japonais, père d’Elektroplankton, le jeu musical sur DS. D’ailleurs, depuis cette année, outre l’anglais, nos élèves suivent de cours de japonais. Ils effectuent ensuite un stage de six mois en France ou à l’étranger.

Après la crise conjoncturelle de 2001, le marché du jeu vidéo a repris une croissance très rapide, les studios n’arrivent pas à recruter suffisamment et 85% de la dernière promotion a reçu des propositions d’embauche dans le cadre de leur stage.

Je pense que le monde du jeu vidéo est en train d’éclater. Il y a cinq ans un éditeur ne visait que les passionnés, mais les nouvelles consoles visent un marché beaucoup plus large, avec de nouveaux contenus interactifs qui s’adressent au grand public : cours d’anglais ou de cuisine, exercices de mémoire pour les personnes âgées, mélange de médias, jeux en épisodes couplés à des séries télé, jeux sur téléphone mobile. Ces nouveaux contenus ont déjà gagné de larges publics en Chine ou au Japon. C’est une opportunité pour se placer sur la création. Les studios cherchent des idées nouvelles et les acteurs de nouvelles pistes ; c’est le moment de faire émerger des idées originales. C’est pourquoi je considère que nous ne formons pas seulement les étudiants au jeu vidéo mais plus largement aux médias du vingt-et-unième siècle qui sont en train de s’inventer. Même la communauté européenne vient de reconnaître au jeu le statut d’objet culturel comparable à celui du cinéma.

(Témoignage publié dans l’édition 2010 du Guide des Formations)