J’ai fait des études scientifiques et je suis donc plutôt un cinéaste autodidacte. J’ai commencé en réalisant des documentaires pour France 5 et France 2, mais j’aspirais à une plus grande liberté artistique et j’ai suivi en 2004 l’Atelier documentaire de la Fémis. C’est un atelier où l’on développe pendant neuf mois l’écriture d’un projet de film, que l’on réalisera après. C’est là qu’est née l’idée du « Retour à Forbach » mais le film ne verra le jour que douze ans plus tard.
Entre-temps, j’ai réalisé « Nous, princesses de Clèves », qui a été produit pour la télévision et qui est finalement sorti au cinéma, puis « Être là ». Pour ces deux films, j’ai eu des aides à l’écriture de la Scam (Brouillon d’un rêve) et du CNC (FAIA, Fonds d’Aide à l’Innovation Audiovisuelle), ainsi que, pour le second, l’Avance sur recette du CNC.
C’est en avril 2014 qu’a resurgi le projet de « Retour à Forbach ». Forbach est ma ville natale. Il y a eu des élections municipales en mars et le Front National est arrivé en tête au premier tour. J’ai publié une tribune dans le journal Libération et j’ai eu envie d’y revenir. J’ai donc pris une caméra et je suis parti tourner.
J’ai commencé le projet avec une première société de production que je connaissais bien mais j’ai décidé finalement de changer de producteur, tout en continuant à tourner. Cette société avait obtenu un premier financement de la Région Lorraine et de la Procirep. J’ai rencontré ensuite Docks 66, qui a racheté les droits du film et est devenu producteur, puis distributeur du film.
Ce premier tournage « à chaud » était un peu compliqué car nous n’avions pas encore de budget de production. Je travaillais avec un preneur de son, et ces jours de tournage étaient considérés comme des repérages, même si je savais que j’allais utiliser certaines séquences pour le film. Le film s’est vraiment fabriqué pendant trois années dans ces allers retours entre écriture, tournages et réécritures.
À l’été 2014, j’ai eu une réponse positive de la Scam (Brouillon d’un rêve) et du CNC (FAI) mais des éléments imprévus m’ont amené à reprendre l’écriture du projet. Quand j’ai commencé à filmer, je ne savais pas que j’allais me séparer de ma maison familiale, et encore moins que cette séparation allait devenir l’arc narratif et dramaturgique du film. Je pensais au départ revenir dans ma ville natale et la radiographier à partir de mes souvenirs et des gens que j’allais retrouver. Et puis cette maison a été mise en vente et une page de ma vie s’est tournée, j’étais rattrapé par l’histoire et cet événement intime résonnait tellement avec le propos du film qu’il en est devenu la colonne vertébrale. Restait à trouver comment articuler dans un récit polyphonique mon histoire personnelle et l’histoire universelle de celle ville, son déclin et ses peurs, à travers les personnages que je croisais.
La grande force du documentaire est de pouvoir accueillir ce type d’événement. Cette séparation avec la maison familiale, je l’ai plutôt mal gérée, c’était violent. J’aurais pu laisser cette souffrance en dehors mais il était tellement évident que le mouvement du film était là que ça s’est imposé. Il m’a fallu trois ans pour aller au bout du film mais il ne serait pas ce qu’il est si je n’avais pas pris ce temps.
Comme la production est installée à Marseille et que j’y réside, nous avons eu également une aide au développement de la Région PACA, qui s’est ajoutée aux subventions déjà obtenues de la Lorraine. Nous avons également reçu une aide à la production du Fonds Images de la diversité. Par contre, nous n’avons obtenu ni l’Aide au développement renforcé du CNC, malgré deux tentatives, ni l’aide à la production cinéma en Lorraine, ce qui posait problème puisque le film était pensé pour le cinéma. Du coup, nous avons monté une coproduction avec une société dans la Région Grand Est, ANA films, et une chaîne de télévision locale qui coproduit de nombreux documentaires, Vosges Télévision. Ce montage nous a permis d’avoir des aides à la production audiovisuelle à la fois en Lorraine et en PACA.
Le tournage s’est effectué en trois périodes principales d’une dizaine de jours chacune, avec un preneur de son et un assistant caméra. J’y suis également retourné seul ponctuellement pour filmer des événements plus difficiles à prévoir, ou que je pouvais filmer seul, comme la ville sous la neige ou la fête foraine.
Le montage s’est fait à Marseille et a commencé alors que le plan de financement du film n’était pas bouclé, ce qui était une véritable prise de risque, courageuse de la part des productrices. Au bout de quelques semaines, je leur ai montré un premier montage en leur disant : « on va y arriver, on va sortir le film qu’on imaginait malgré les difficultés, il faut y croire! ». Elles ont vu et ont dit « ok, on suit ».
On a finalement monté le film en huit semaines, ce qui est assez peu pour un long métrage, mais nous souhaitions sortir le film en salles avant les élections présidentielles de 2017, et nous n’avions de toute façon plus d’argent pour monter davantage. Ça a été un peu la course, mais je pense que le montage porte la trace de cette énergie finale, qui contribue à la fois à sa fragilité et à son élan. C’est un film qui s’est fait dans l’urgence de dire les choses, de les poser, et non un projet pour lequel on passe six mois à se poser des questions sur chaque plan.
J’ai fait la post-production à Strasbourg avec ANA films, qui m’a mis en lien avec des collaborateurs à la fois pour le montage son, le mixage et l’étalonnage. Le coproducteur a fait un véritable travail d’accompagnement éditorial. C’était une belle rencontre, avec des gens qui n’étaient pas seulement des prestataires mais qui aimaient vraiment le projet. Ils ont tout fait pour que les choses se passent au mieux, avec une attention particulière à la post-production cinéma, que nous avons pu valider lors d’une projection de travail au cinéma Le Star à Strasbourg.
Puis le film est allé au Cinéma du Réel et est sorti en salles sur une quinzaine de copies, distribué par Docks 66 avec le soutien de l’Acid et de son réseau de salles adhérentes. Le programmateur qui a travaillé sur la distribution a fait un excellent travail et nous en étions cet été à plus de 15 000 entrées, avec quelques soixante-deux débats en un peu moins de trois mois…
En accompagnant le film que j’ai fait une rencontre, qui est à l’origine d’un nouveau projet de film. Il s’inscrira dans la continuité de « Retour à Forbach »: construire un cinéma du récit intime qui part de mon pour aller vers les autres.
Régis Sauder
(Témoignage publié dans l’édition 2017 du Guide des Aides)