Régis Jaulin, Scénariste et membre de la guilde française des scénaristes

Régis Jaulin, Scénariste et membre de la guilde française des scénaristes

J’ai toujours voulu être scénariste. Enfant, j’étais fasciné par les œuvres de Carl Barks, le créateur de Picsou et de Géo Trouvetou ou de Peyo, l’inventeur des Schtroumpfs. Mon grand frère m’a alors expliqué que derrière ces bandes dessinées, il y avait des auteurs qui inventaient ces histoires. Comme je dessinais très mal, cette révélation a déterminé ma vocation de scénariste.

Après le bac, j’ai donc fait un DUT de journalisme à Bordeaux, ce qui m’a appris à écrire dans l’urgence. Ensuite, tout en travaillant pour la presse, j’ai suivi une formation en écriture hypertextuelle à Paris viii. C’était en 1993, l’époque des premiers CD-Rom et des balbutiements d’internet. J’ai pu faire une maîtrise puis un DEA en consacrant mes mémoires de fin d’études à la création de mondes imaginaires et à la dramaturgie spécifique de ces « histoires en formes d’univers ». Je suis alors devenu scénariste de jeu vidéo dans une multinationale, avant d’intégrer un petit studio de création de mondes imaginaires : nous fabriquions à six des univers clefs en main pour les sociétés de jeu vidéo, en inventant les genèses, les magies, les peuples, les cultures, les faunes et les flores de ces mondes. L’entreprise a été malheureusement emportée par l’explosion de la bulle internet de 2001 mais nous venions de vendre un univers à une société de dessins animés : j’ai pu à cette occasion commencer à écrire pour l’animation. C’est là que j’ai vraiment commencé à exercer mon métier tout en payant ma dette envers la bande dessinée, en ayant par exemple la chance de donner vie le temps de quelques épisodes à des personnages comme le marsupilami. À partir de là, tout en continuant l’animation, j’ai commencé à écrire pour le cinéma et la télévision.

L’animation est un secteur florissant qui a grandi en une décennie en formant et en portant une génération d’auteurs qui a eu la chance d’écrire énormément d’histoires et d’apprendre le métier de façon rigoureuse, notamment parce qu’il s’agit de coproductions internationales. J’ai vu en 12 ans une formidable industrialisation se mettre en place. Les scénaristes de dessins animés sont aujourd’hui capables de livrer en huit mois des séries de 52×26 minutes à destination du marché international. Ce savoir-faire est cependant difficilement exportable pour l’instant au cinéma français ou à la fiction télé ; les distributeurs et les décideurs des chaînes semblent allergiques à la fantaisie et à l’audace dès lors qu’elles relèvent du fantastique ou de la science-fiction.

Les contraintes du travail dans l’animation sont fortes mais clairement établies : le concept de la série validée, la cible identifiée, les producteurs vous appellent et vous commandent des épisodes alors que leur fabrication commence. En fiction télé, pour les unitaires comme pour les séries, l’intervention des diffuseurs est disproportionnée : il faut des années pour que le concept d’un téléfilm ou d’une série soit validé, amendé ou repris. Et même s’il est écrit, vous n’êtes jamais sûr qu’il sera un jour produit. Le cinéma offre plus de liberté : il n’y a pas pléthore de personnes pour donner leur avis ou censurer l’histoire, mais il est en revanche difficile d’écrire sans être associé à un réalisateur, tout comme il est difficile d’œuvrer dans la bande dessinée sans dessinateur.

Si j’avais des conseils à donner aux jeunes qui veulent se lancer dans le métier, j’en donnerais trois : d’abord, il faut écrire. Écrire encore et encore pour faire toutes les erreurs que les livres sur la dramaturgie soulignent. Ces erreurs, on ne les comprend qu’en les faisant : donc, oui, il faut commencer par écrire beaucoup de mauvais scénarios pour espérer un jour en écrire un bon. C’est un métier qui est de toute façon cyclothymique : un jour les choses se font, le lendemain non ; parfois, on a la grâce, parfois on se trompe, et il ne faut envisager cette voie que si l’on est capable d’endurer ces phases successives d’enthousiasme et de découragement.

Ensuite, il faut lire tous ces livres sur la dramaturgie, il y a une technicité à connaître. Je reste ainsi stupéfait de constater que le modèle du « voyage du héros » qui est celui d’une grande partie de la production hollywoodienne soit à ce point méconnu en France. Ce n’est qu’un outil, mais il faut le connaître, comme tous les autres.

Enfin, il ne faut jamais oublier que le spectateur est la clef de tout. Il faut se relire en se mettant à la place du spectateur, en se demandant ce qu’il comprend, ce qu’il veut savoir, ce qu’il sait et ce que le personnage ignore (ou l’inverse, même si le suspens est généralement préférable à la surprise). Ce souci du spectateur, on le voit par exemple formidablement à l’œuvre dans les films de Bollywood. Écrivez des histoires d’amours contrariées, c’est sans doute la meilleure école !

http://www.guildedesscenaristes.org

(Témoignage publié dans l’édition 2012/2013 du Guide des Formations)