Après des études d’histoire et de cinéma, j’ai fait différents stages dans des sociétés de production puis j’ai intégré en 2003 le DESS de Poitiers « Réalisation de films documentaires » (devenu aujourd’hui le master pro Creadoc à Angoulême). Le projet pédagogique de cette formation, qui fonctionnait plutôt comme un atelier, était centré sur la réalisation d’un film et j’ai ainsi réalisé « Route de Limoges », un film documentaire sur un camp d’internement à Poitiers qui enfermait des Juifs et des Tsiganes durant la Seconde Guerre mondiale.
Avant le DESS, j’avais commencé un premier film documentaire, « Algérie, d’autres regards », sur l’engagement de cinéastes français contre la guerre d’Algérie (René Vautier, Pierre Clément, Olga Poliakoff et Yann Le Masson). Le film, qui a été produit par Artefilm et diffusé sur Citizen TV en 2005, revient sur les conditions d’engagement de ces réalisateurs et sur leurs choix de production et de diffusion. C’est en faisant ce film que je me suis rendu compte qu’il était possible de faire des films avec peu d’argent. J’ai alors décidé avec d’autres copains du DESS de monter une structure pour produire nos propres films et d’autres projets extérieurs. Nous avons ainsi créé en 2007 « l’atelier documentaire », une société qui fonctionne en coopérative, afin que les décisions soient prises collectivement.
Nous avons voulu faire exister nos films en accentuant le travail sur la diffusion car le documentaire n’a pas pour seule vocation d’être montré à la télévision et peut aussi être projeté au cinéma, dans les médiathèques ou dans les MJC. Pour « des Français sans Histoire », un autre film que j’ai réalisé sur l’internement des gens du voyage pendant la guerre, nous avons ainsi crée un partenariat avec une quinzaine de salles d’art et essai de la région Poitou-Charentes et avec des réseaux d’association de « gens du voyage », ce qui nous a permis d’organiser plus d’une centaine de projections généralement suivies de débats.
En cinq ans, l’atelier documentaire a produit huit films. La structure est à Bordeaux et comprend trois personnes, dont deux producteurs-réalisateurs Fabrice Marache et moi-même. D’autres personnes nous accompagnent comme Jacques Lavergne, créateur du DESS de Poitiers, qui a été très présent sur toute la phase de création de la structure et qui nous conseille sur certains projets. C’est un ancien de la Bande à Lumière, qui a une longue expérience dans la formation et l’éducation populaire. Il a aussi réalisé quelques films.
En 2011, nous avons produit « Fragement d’une révolution », un film sur les élections iraniennes de 2009, coproduit avec Mille et une Films et la chaîne parlementaire (LCP). Le film circule dans les festivals et a reçu de nombreux prix mais il a été difficile de le financer, d’autant qu’il se prêtait peu à l’écriture. Actuellement, je produis un prolongement du film « Bassidji », du réalisateur iranien Merhan Tamadon. C’est un film que nous avons décidé de produire pour le cinéma, en montant une coproduction avec une société suisse, Box Production. C’est un film tourné sur une longue durée et il aurait été difficile de le faire avec la télévision. En parallèle, j’achève la post-production de mon troisième film autour des gens du voyage, un sujet qui me passionne depuis mes études.
J’interviens aussi en formation dans plusieurs master pro, à Angoulême et à Bordeaux, pour parler du contexte économique du documentaire et du métier de producteur. Le master pro d’Angoulême est dans la continuité pédagogique de l’ancien DESS : chaque étudiant réalise un documentaire sonore en 1re année et un documentaire image en 2e année. Le passage à l’acte, dans des conditions proches des situations professionnelles, est au centre de la pédagogie et il faut une certaine maturité pour construire un point de vue, ce qui n’est pas toujours facile pour des étudiants qui ont moins de 25 ans en moyenne et qui sortent de licence.
Lorsqu’on parle de « documentaire », il faut distinguer les 2 000 heures environ de programmes produits chaque année pour la télévision et soutenus par le CNC et les véritables documentaires d’auteur, qui ont un point de vue assumé sur le réel. Les grandes chaînes de télévision diffusent de moins en moins ce type de films, sauf lorsqu’ils sont portés par des réalisateurs connus, et la plupart des films sélectionnés dans les festivals sont produits sans l’apport de ces « grandes » chaînes.
Beaucoup de jeunes réalisateurs se font une idée fausse du métier de producteur. Ils négligent son rôle sur le plan artistique, qui est de collaborer avec le réalisateur à chaque étape de la création, et le voient surtout comme quelqu’un qui a de l’argent ou qui chercherait à profiter d’eux. En réalité, les producteurs de documentaires d’auteur ont souvent peu d’argent et sollicitent des financements auprès des différents guichets. Si l’on veut être réalisateur aujourd’hui, il faut s’intéresser aux conditions de production des œuvres, ne serait-ce que pour comprendre les enjeux économiques qui influenceront forcément les différentes étapes de la fabrication du film et pour penser, dès le départ, à la diffusion de l’œuvre à venir.
(Témoignage publié dans l’édition 2012/2013 du Guide des Formations)