Je réalise tous mes projets autour d’El Bolsón, le village de Patagonie argentine où j’ai grandi. Mon premier court métrage, que j’ai tourné en VHS à l’âge de 15 ans dans le cadre d’un atelier du lycée, a reçu le premier Prix de la Biennale Patagonique d’Art, me permettant ainsi d’acheter une caméra vidéo. Un deuxième court-métrage primé m’a aidé à partir dans la région de Mendoza pour faire des études de cinéma.
Loin de Buenos Aires, l’isolement de la production culturelle était flagrant. Ceci, ajouté à ma situation économique extrêmement précaire, me faisait sentir que je ne m’en sortirais jamais. J’ai alors tenté, dans ma dernière année d’études, un pari fou : tourner un long-métrage en 35mm sans un centime, en coopérative avec d’autres élèves, dans un désert. Par un heureux enchaînement de sacrifices, d’apports solidaires et de débrouille, nous avons réussi à faire le tournage mais pas la postproduction. Notre vieille caméra, trop bruyante, nous avait empêchés de prendre du son direct. Doubler tout un long-métrage sans argent et alors que je ne savais pas toujours moi-même où j’allais dormir, s’est avéré un défi insurmontable.
J’ai été cependant invité aux Rencontres Cinémas d’Amérique latine à Toulouse où j’ai pu en présenter un extrait, et je suis resté en Europe. Actuellement, j’ai la double nationalité franco-argentine et je partage mon temps entre ces deux pays.
En 2004 et 2005, je suis retourné plusieurs fois en Argentine, pour les repérages d’un documentaire (grâce à une aide du CNC) et pour animer un atelier vidéo pour les enfants du bidonville rural où j’ai grandi (grâce à une bourse de la Mairie de Paris). J’y ai également tourné un court-métrage, Lejos del Sol, qui a été primé au Festival de Buenos Aires (Bafici) et au Festival de Cork.
En 2005, j’ai obtenu une résidence au Céci (Centre d’Ecritures Cinématographiques-Moulin d’Andé) pour développer un long-métrage de fiction. C’est un lieu charmant, où l’on peut s’isoler mais aussi rencontrer des gens, des réalisateurs, des scénaristes, des musiciens. Afin de tester mes propres choix de mise en scène, j’ai scénarisé en forme de court-métrage l’une des scènes du film. Il s’agit d’un moment critique de la vie en Patagonie d’une jeune mère et son enfant. Elle doit se battre pour leur survie alors qu’il réclame de l’affection, ce qui génère une montée de tension qui finit par mettre en péril leur propre vie. Je l’ai appelé « Première neige ».
Il a été financé avec l’Aide au Court-métrage du CNC (57 000€) et quelques apports du côté du mécénat, des institutions locales, des collectivités locales et d’un co-producteur argentin. J’ai demandé au CNC une dérogation pour pouvoir tourner en Patagonie et en espagnol, ce qui était important pour des raisons à la fois esthétiques et narratives. Pour trouver mes deux personnages principaux, nous avons organisé un casting avec près de 200 enfants et plus de 400 femmes, dont nous avons filmé une centaine pour des essais de trente minutes. Afin d’obtenir une monochromie subtile, sans filtres ni effets de labo, le tournage a eu lieu dans une forêt incendiée que les flammes avaient laissée entière mais teinte en noir et gris. J’ai aussi fait construire trois décors reproduisant une même cabane grise, un pour filmer les intérieurs, un autre pour permettre un long travelling intérieur – extérieur et un troisième pour le placer au milieu d’un paysage enneigé, comme si la neige était tombée après. Dans la façon de tourner et de monter, j’ai cherché à être le plus cru possible afin de dissimuler ce travail plastique qui aurait pu devenir trop esthétisant et de redonner la place centrale au drame humain.
Tous ces travaux sont pour moi des exercices et des étapes dans une recherche approfondie pour le développement d’un projet de long-métrage particulièrement ambitieux, sur lequel je travaille depuis presque quatre ans déjà. Je reviens toujours à cette même vallée de la Patagonie, qui est aussi le lieu que je connais le mieux, et je mets à l’épreuve des façons de l’aborder. J’ai travaillé à chaque fois avec des maisons de production, des équipes techniques et des conditions financières assez différentes. Je crois avoir trouvé maintenant les bons producteurs pour mon film.
Le temps de trouver un producteur, très long, a été plus au moins le temps de réécriture du scénario. J’ai participé à plusieurs ateliers, résidences et rencontres qui m’ont permis à la fois de continuer à travailler mon projet dans de bonnes conditions, de le confronter au regard critique d’autres personnes et de le faire connaître. Outre la résidence du Céci, le projet a obtenu l’aide au développement du Festival d’Amiens, la Cinéfondation de Cannes (quatre mois et demi dans un appartement du neuvième arrondissement partagé avec 5 autres réalisateurs venus des quatre coins du monde), les ateliers de la Casa de America (un lieu à Madrid où l’on retravaille des projets avec l’accompagnement de scénaristes, producteurs et réalisateurs reconnus) et « Produire au Sud », des ateliers de production qui ont lieu pendant le Bafici ou le Festival des Trois Continents). J’ai aussi participé aux rencontres des festivals de Toulouse, Biarritz et Guadalajara, rencontres qui constituent autant d’occasions pour présenter le projet à des producteurs, des distributeurs et des diffuseurs).
Le film lui-même a beaucoup à voir avec ce « voyage », ce processus de maturation que je viens de raconter. A un moment donné, je me suis dit : « Faire un film est tellement difficile et il y a une telle profusion de films dans le monde, que la seule justification pour en réaliser un autre serait de montrer quelque chose d’unique, de profondément intime, que personne d’autre ne pourrait exprimer à ma place ».
Avec cette démarche, bien sûr, je suis tombé sur mon enfance en Patagonie, dans un village à la fois rural et cosmopolite, habité par des fugitifs venus des quatre coins du monde, fuyant la chute de croyances, idéologies et courants différents. Une jeune mère qui revient d’une trop longue absence, probablement de prison, récupère son enfant, presque inconnu, et part avec lui dans ce village, à la recherche d’une vie nouvelle.
En me servant des éléments de ma propre expérience, j’ai trouvé un terrain où creuser et creuser encore, dans une sorte d’exercice de mémoire émotive et sensorielle. Ce raisonnement m’a servi pour trouver ce que je peux offrir et pour découvrir que le plus intime, lorsqu’il est authentique, devient universel.
(Témoignage publié dans l’édition 2005 du Guide des Aides)
*Prix du Jury, Festival de Cannes 2006.