J’ai fait des études de cinéma à Paris VIII, à une époque où l’on y trouvait de véritables gangs de cinéphiles, les fans de Kubrick ne se mélangeant pas avec ceux de Coppola. Je travaillais parallèlement comme projectionniste. J’ai ensuite effectué mon service militaire comme assistant réalisateur au Service cinématographique des armées, qui offrait peu de tournages réels, mais où j’ai pu rencontrer de nombreux techniciens, et me frotter aux consoles de régie et de montage. A 25 ans, je suis entré à l’école Louis Lumière, dont l’avantage est de dispenser une formation théorique de grande qualité, tout en permettant de bénéficier de contacts dans le milieu. L’esprit du compagnonnage était encore répandu et Il existait pas mal de vieux chef opérateurs qui te donnaient la chance de travailler avec eux. Ensuite, j’ai évolué à différents postes, du stagiaire électro à l’assistant caméra, pour des courts-métrages, des publicités mais aussi des long-métrages. J’ai travaillé également comme cadreur pour les émissions de Karl Zéro, en ayant la responsabilité technique et artistique de l’image. J’ai aussi travaillé sur des films institutionnels et des captations de concerts.
J’ai donc fait beaucoup de vidéo. Je travaille aujourd’hui comme chef opérateur ou cadreur, essentiellement sur des films institutionnels et évènementiels, même si je ne désespère pas de revenir au long-métrage. Si le savoir-faire et les qualités techniques sont indispensables, et supposent une constante mise à jour de ses connaissances, ils ne suffisent pas, il faut aussi être vif et débrouillard. J’entends souvent dire d’un bon chef opérateur qu’il est charmant. Il doit bien sûr faire une bonne image, être un bon technicien, mais aussi donner une bonne image de lui-même ! L’aspect relationnel est essentiel, il faut toujours rester en contact, relancer, faire connaître ses périodes de disponibilité. C’est 80 pour cent du métier.
On vit un statut social précaire, avec des hauts et des bas. On ne sait jamais ce qu’on fera six mois plus tard, ce qui affecte la vie privée. C’est une économie pyramidale et quand la machine est frileuse, tout le monde en fait les frais.
Quand on sort de l’école, le gros problème est d’avoir de l’argent pour travailler gratuitement sur des courts-métrages et ainsi multiplier les expériences qui permettront de se faire connaître. Il est donc important d’avoir une famille qui vous soutient et vous aide jusqu’à ce que cela marche. En sortant de Louis Lumière, il est assez facile de trouver des places de premier assistant sur des courts-métrages. Aujourd’hui, les élèves sortis de La Fémis ne veulent plus travailler comme assistant et cherchent directement à devenir chef opérateur. A l’époque, il y avait un esprit vieille école, par exemple on ne faisait pas concurrence aux promotions précédentes ; il fallait être humble avec les gens d’expérience. On était stagiaire, puis second, puis premier assistant caméra, mais tout cela change aujourd’hui et je rencontre de plus en plus souvent des chef opérateurs qui ne sont pas passés par l’assistanat.
Le chef opérateur doit partager avec le réalisateur un univers culturel et artistique. Il doit comprendre sa manière de penser pour proposer des solutions qui permettront d’avancer, au découpage mais aussi au montage. Il doit donc avoir une culture de l’image suffisamment large pour absorber celle du réalisateur et pouvoir la traduire émotionnellement. Le chef opérateur dirige aussi une équipe et il est essentiel que les relations en son sein soient bonnes. L’idéal est de connaître parfaitement à la fois son propre travail et celui de son supérieur, de façon à pouvoir anticiper les besoins.
Il faudrait aussi pouvoir consacrer davantage de temps à la formation des autres. Au moment du tournage, il faut que le stagiaire puisse comprendre très vite, soit humble et ait envie de travailler, sinon on ne le garde pas. Les connaissances théoriques acquises dans une école comme Louis Lumière permettent à l’entrée sur le marché du travail d’anticiper les futures responsabilités mais ne remplacent pas l’expérience d’une équipe. On peut même penser que ceux qui ont fait leurs années de formation sur le tas en ont fait leur métier plus vite. Les praticiens ont toujours plus d’expérience qu’un enseignant et il est plus facile d’apprendre sur le terrain que dans une salle de cours.
(Témoignage publié dans l’édition 2005 du Guide des Formations)