J’ai fait des études d’économie et de langues à l’université et une école de gestion, puis j’ai suivi une formation à la production au CEFPF, complétée par des stages dans différentes sociétés. Comme je voulais voir l’envers du décor, j’ai travaillé pendant un an dans une chaîne, Canal Horizon, filiale de Canal +, où j’étais chargée de la production d’une émission musicale hebdomadaire. J’ai ensuite été engagée aux Films du Grain de Sable, où je suis restée pendant six ans.
En 1999, j’ai participé à un atelier de l’EAVE (les Entrepreneurs de l’Audiovisuel Européen), un organisme de formation basé à Bruxelles, soutenu par la Commission des Communautés Européennes, qui anime des ateliers de développement de films et programmes TV fondés sur des projets de production en grandeur nature. Ces ateliers, qui se déroulent en anglais, associent séminaires avec d’autres producteurs européens, ce qui permet de confronter les expériences et d’avoir une ouverture sur d’autres méthodes de travail, et tutorat individuel à distance pour le suivi des différentes phases du projet : analyse et développement du scénario, aspects juridiques et financiers, packaging du projet, financement et distribution. J’ai ensuite monté ma propre société, TACT Production.
On peut attendre d’un producteur qu’il soit doté d’une grande curiosité, qu’il aime porter et accompagner des auteurs et des projets, avec des capacités d’écoute et d’analyse, mais aussi qu’il soit un bon négociateur, avec un sens artistique et la maîtrise de plusieurs langues car le marché est de plus en plus international. Je pense aussi, mais c’est un point de vue personnel, qu’il vaut mieux ne pas avoir de velléités de réalisation pour ne pas mélanger les rôles. Il est important enfin de bien maîtriser la chaîne de fabrication d’un film, d’en connaître chaque étape en ayant mis de préférence la main à la pâte, afin de pouvoir déléguer, car un producteur ne travaille jamais seul.
La difficulté principale est directement liée au marché, avec des financements de plus en plus restreints pour le documentaire et la fiction cinéma. Les producteurs sont amenés à concentrer leur énergie, en faisant des choix de production parfois douloureux, et à grignoter tous les postes en réduisant les temps et les équipes, et en recourant parfois un peu trop aux stagiaires. Beaucoup de réalisateurs ne se rendent pas compte de ces difficultés de financement et ont encore une image stéréotypée du producteur qui garde l’argent pour lui. Il est pourtant indispensable que s’établissent entre réalisateur et producteur des relations de complicité et de confiance, permettant de vivre fructueusement une aventure ensemble.
A la télévision, on compte les vrais interlocuteurs pour le documentaire sur les doigts d’une main. Les chaînes subissent le diktat des annonceurs et le poids de l’audimat impose un formatage qui laisse de moins en moins de place à la création. Les chargés de programme ont du mal à définir leurs attentes et ils ont à peine le temps d’affirmer une ligne éditoriale qu’ils sont déjà remplacés. A l’exception d’Arte, la plupart des diffuseurs ne savent pas ou feignent d’ignorer comment on fabrique un programme et à quel coût, et sont peu respectueux de notre travail. Ils ont tendance à se comporter comme s’ils étaient producteurs, sans en avoir véritablement l’étoffe. À l’unité documentaire d’Arte en revanche, il n’y a pas d’étanchéité entre l’administratif et l’éditorial, les réunions de production se font en notre présence et on trouve une véritable complicité éditoriale et financière.
On manque aussi de vrais auteurs-réalisateurs. Il y a trop de formations qui ne sont pas à la hauteur et trop de gens qui veulent faire des films sans véritables intentions ni véritables projets, surtout depuis l’apparition de la DV. Les chaînes manquent d’audace et il est difficile de faire financer le travail d’écriture des jeunes réalisateurs. La moyenne d’âge des réalisateurs avec qui je travaille aujourd’hui tourne autour de 45 ans. La nouvelle génération n’a pas encore pris la relève.
L’évolution technologique a des incidences paradoxales. Si la DV peut permettre de nouvelles écritures, elle ne réduit pas forcément les coûts, qui se déplacent sur la post-production. Certains réalisateurs voudraient jouer tous les rôles, au risque de priver le film des regards d’un chef opérateur et d’un monteur. De même, la baisse des prix des matériels incite les producteurs à s’équiper en caméras et bancs de montage, mais les locaux et la maintenance ne peuvent suivre. La multiplication des chaînes ne provoque pas forcément une plus grande circulation des films et surtout elle n’est pas créatrice de nouveaux programmes, faute d’encadrement et de budgets de production. Quant au développement d’Internet et du multimédia, il ouvre de nouveaux débouchés sur le second marché mais nous n’en avons pas encore acquis toutes les ouvertures.
(Témoignage publié dans l’édition 2003 du Guide des Formations)