Martin Boissau

ingénieur du son

J’ai découvert l’univers du son à l’adolescence, à l’occasion d’une longue maladie qui m’a cloué au lit. Pour m’occuper, j’écoutais la radio qui est devenue la porte de sortie d’une enfance à la campagne où il n’y avait pas beaucoup d’ouverture sur le monde.

Après mon bac, je suis venu à Paris et je suis entré au Centre d’Etude et de Recherche sur l’Image et le Son (CERIS, aujourd’hui l’INFA), une école privée dans laquelle j’ai choisi l’option Son en deuxième année. A l’époque, je voulais plutôt m’orienter vers la radio et la musique que vers le cinéma.

C’était l’époque des radios libres que nous appelions encore radios pirates, jusqu’à leur légalisation à l’arrivée de la gauche en 1981 et cette passion m’a conduit jusqu’en Afghanistan, où j’ai installé des émetteurs de radio pour la résistance à l’occupation soviétique, entre autre chez le commandant Massoud. J’avais 20 ans et je fréquentais les médecins français·es de l’aide médicale internationale. Je suis ensuite parti à deux reprises au Kurdistan iranien pour aider au fonctionnement du système de radiocommunications des combattants kurdes.

Rentré en France, j’ai fait des news mais aussi des émissions et des magazines pour les radios régionales, qui étaient alors chapeautées par FR3. L’opportunité de rentrer dans l’univers du long métrage et du cinéma s’est présentée lorsque j’ai rencontré Antoine Bonfanti, René et Dominique Levert, une famille de technicien·nes qui était l’une des meilleures du son français. C’étaient des gens très engagés dans un certain type de cinéma et ils m’ont donné une éducation politique qui allait de pair avec leur pratique professionnelle. Au-delà de l’apprentissage du geste, il y avait la responsabilité du geste : pour qui travailles-tu et quelles idées as-tu envie de défendre ? C’est avec eux/elles que j’ai découvert les métiers du cinéma.

J’ai fait de l’assistanat jusqu’à l’aube des années 2000, dont 13 ans de perche, tout en étant ingénieur du son sur quelques petites productions. La perche, ce n’est pas qu’un effort physique, c’est aussi la complicité qui s’établit avec le/la comédien·ne. Le plaisir qu’éprouve ce dernier à jouer, le/la perchman·woman le ressent lorsqu’il/elle va chercher le son. Il existe ainsi une alchimie qui fait que les technicien·nes, bien qu’ils/elles restent hors-champ, sont aussi dans le jeu.

Le travail s’envisage aussi d’une manière cérébrale lorsque nous nous trouvons aux manettes car nous devons faire un son cohérent avec l’image afin de raconter le film au mieux. C’est ce que Bonfanti – qui est la branche maîtresse de mon arbre généalogique professionnel – a essayé de me transmettre. Quand il se passe plusieurs choses dans l’image, où dois-je placer le micro ? Que donne-t-on à entendre ? C’est une responsabilité qui se trouve bien au-delà de la technique.

Les stagiaires de niveau bac+3, bac+4 qui se présentent pour m’épauler ont tous de bonnes formations techniques, théoriques et scientifiques en électricité, électronique et acoustique. C’est très important mais pas suffisant car une fois ce bagage acquis, il est primordial de développer la dimension humaine, la sensibilité artistique et la capacité à dialoguer avec le/la metteur·e en scène, le/la chef·fe opérateur·rice ou la script. Ce sont des qualités qui se construisent avec l’expérience. On ne devient pas ingénieur·e du son du jour au lendemain et il faut percher sur une bonne dizaine de longs métrages pour observer comment l’ingénieur·e du son travaille avec les comédien·nes, le/la metteur·e en scène, le/la cadreur·se, le/la chef·fe opérateur·rice, les autres membres de l’équipe et la façon dont il traduit et répond à leurs demandes. Le savoir-faire s’apprend à l’école, le savoir-être sur les plateaux.

Le travail de l’ingénieur·e du son consiste à ramener le plus de sons possibles : les dialogues bien sûr, mais également les sons d’ambiance et des sons seuls afin d’enrichir le montage qui se fera par la suite. A partir de ce matériau, nous pouvons faire des propositions au monteur son. C’est là qu’intervient notre marge de créativité. Sinon, l’essentiel est d’enregistrer aux mieux les comédien·nes de manière à ce qu’il n’y ait pas, en post-production, ce travail de doublage qui coûte très cher en matériel, en ressources humaines et en gestion de planning. Je ne fais pas de post-production mais je reste en contact avec le/la monteur·se son et le/la monteur·se de direct afin qu’ils/elles se sentent connecté·es au plateau et non pas isolé·es dans leur salle.

Les machines numériques ont changé beaucoup de choses au niveau de la façon de travailler sur un tournage grâce, entre autres, à l’utilisation d’enregistreurs multipistes qui permettent d’affecter une piste par comédien.·ne Mais c’est en post-production que les outils numériques ont ouvert un champ immense d’intervention sur le matériau brut qui vient du plateau. Les possibilités de nettoyage des sons de plateau et de direct sont aujourd’hui hallucinantes. Il est possible d´éliminer complètement des bruits parasites, d’aller chercher des voyelles ou des consonnes et de refaire un dialogue syllabe par syllabe. J’ai fait dernièrement un western au Maroc où il a fallu travailler, en post-production, sur les résidus d’accent de Viggo Mortensen, bien qu’il parle très bien français. L’effet est étonnant et son accent vraiment atténué. Les jeunes qui savent à la fois se comporter sur un plateau et maîtriser les logiciels sont très demandés.

Une carrière se construit aussi sur des rencontres avec des réalisateur·rices. Certains m’ont marqué plus que d’autres. Parmi ceux-ci, Paul Vecchiali, pour sa capacité à faire vivre l’héritage poétique des grands films français d’avant-guerre ; Claire Denis, pour son talent de plasticienne et la façon dont elle arrive à orchestrer des découpages et des filmages qui n’appartiennent qu’à elle. Et dernièrement, Fabrice Gobert, le réalisateur de la série « Les Revenants », qui est à la fois un auteur, un réalisateur et un être humain irréprochable sur un plateau. Quant à Luc Besson, grand bosseur, il m’a permis de me confronter à des films à gros budgets alors que j’avais surtout travaillé sur des films d’auteur. L’intérêt de ce métier est de se remettre en permanence en question lorsque l’on aborde le travail. Il faut être capable de s’adapter et surtout ne pas être prisonnier·e de dogmes ou de manières de faire.

Témoignage publié dans le guide des formations 2014.