Avant toute chose, j’ai été cinéphile. Depuis l’adolescence, j’ai le goût et le plaisir de voir des films, de lire des textes et des ouvrages sur le cinéma. Ces activités sont plus essentielles que n’importe quelle formation. À qui veut devenir critique ou enseignant de cinéma, je donnerais donc d’abord ce simple conseil : voyez le plus de films possible, et intéressez-vous à tout ce qui a été pensé et écrit sur le cinéma.
Après le Bac, j’ai fait des études de cinéma à l’université Paris 8. Mon idée était d’obtenir un Deug (aujourd’hui L2) pour pouvoir passer le concours de la fémis, qui est ouvert à Bac+2 mais mes premières années à l’université m’ont fait changer d’avis. J’y ai rencontré des professeurs et des étudiants qui m’ont donné envie d’y rester, d’autant que Paris 8 permet de faire beaucoup de pratique et que j’ai pu réaliser un premier court-métrage en 16 mm avant même la fin du Deug. Je suis donc resté à l’université jusqu’au DEA (aujourd’hui M2) et j’ai commencé à gagner en partie ma vie avec le cinéma. D’abord en animant des ateliers pédagogiques, théoriques à la Cinémathèque Française puis pratiques à la Cinémathèque Robert-Lynen (cinémathèque scolaire de la ville de Paris). Depuis quelques années, j’anime aussi des formations dans le cadre de différents dispositifs scolaires (École et cinéma, Collégiens au cinéma, Lycéens et apprentis au cinéma) et des formations continues pour les bibliothécaires responsables de fonds Dvd avec l’association Images en bibliothèques.
Dans mon expérience, l’université m’a surtout servi à rencontrer des gens et à découvrir encore plus de films et de textes que si j’étais resté un cinéphile solitaire, même si j’y ai trouvé aussi des moyens techniques pour réaliser des courts-métrages. Plus qu’une formation m’ouvrant des perspectives professionnelles concrètes, elle m’a donc surtout apporté un enrichissement personnel qui m’a servi professionnellement. Si j’avais continué mes études jusqu’à la thèse, j’aurais pu tenter d’enseigner à l’université. Il s’agit cependant d’un parcours personnel, car il existe aussi, et de plus en plus, de véritables diplômes professionnels à l’université, notamment pour les métiers touchant à la conservation ou à la documentation.
De ma maîtrise, j’ai tiré un texte que j’ai envoyé à la revue Trafic. Il a été accepté et j’ai commencé à écrire régulièrement pour des revues de cinéma, essentiellement Trafic et Vertigo. J’ai été co-rédacteur en chef de Vertigo et je suis désormais membre du conseil de rédaction de Trafic. J’ai aussi dirigé ou participé à divers ouvrages collectifs sur des cinéastes (Joao César Monteiro, Tod Browning, Jerzy Skolimowski) et je dirige une collection d’ouvrages sur le cinéma intitulée Côté Films aux éditions Yellow Now. Il faut préciser que ces différentes activités d’écriture et d’édition sont peu ou pas rémunérées, car c’est la condition de la survie de beaucoup de publications sur le cinéma. Peu d’auteurs gagnent donc leur vie uniquement à travers la critique, sauf ceux qui interviennent régulièrement dans des médias très diffusés (quotidiens, hebdomadaires, télévision, radio). Les autres vivent surtout de l’enseignement universitaire et de l’animation de formations dans les cadres évoqués plus haut, ou encore de l’écriture de textes de commande, comme les livrets pédagogiques que j’ai écrits pour École et cinéma ou Lycéens au cinéma. On peut se demander dès lors pourquoi écrire si l’on n’est pas payé et j’aurais envie de répondre à ceux qui se posent la question qu’ils ne devraient pas essayer de devenir critiques !
Depuis 2010, je suis également programmateur cinéma à l’Auditorium du Musée d’Orsay. Je n’avais pas vraiment fait de programmation auparavant, et je crois avoir été recruté pour mes connaissances en cinéma. Le premier travail du programmateur est effectivement d’avoir suffisamment de films en tête pour imaginer des ensembles de films cohérents, à partir d’auteurs ou de thèmes, par exemple. S’ajoutent à cela un passionnant travail de visionnage de films et un travail plus rébarbatif de recherches de copies et d’ayants droit dont j’ai appris les ficelles par la pratique.
Bien qu’apparemment décousu et éclaté, mon parcours n’est pas aussi atypique qu’il peut en avoir l’air. Dans les domaines de l’écriture et de l’enseignement cinématographique, nombreux sont ceux qui cumulent diverses activités plus ou moins ponctuelles pour pouvoir en vivre. Il faut comprendre que tout cela est lié : que ce soit dans l’écriture, l’enseignement ou la programmation, il s’agit toujours de transmettre sa réflexion, son savoir et, n’ayons pas peur du mot, sa passion.
(Témoignage publié dans l’édition 2012/2013 du Guide des Formations)