Comme tout le reste, le patrimoine cinématographique est profondément affecté par le numérique qui apparaît pour ce domaine à la fois comme une planche de salut (tout numériser) et comme un casse-tête (quels documents valoriser et comment ?). Cette tension entre ces deux pôles est en réalité sous-tendue par une autre, encore plus importante, qui est celle entre cinéma (conçu sur les bases de la cinéphilie des années 20 aux années 70) et audiovisuel (vidéo et télévision). C’est en effet bien le statut et la place du cinéma qui se trouvent à nouveau questionnés par l’arrivée du numérique, non ontologiquement (ce n’est pas ce qui nous occupe ici) mais patrimonialement. Tant que les films étaient préservés dans une semi-clandestinité, la question de l’objet (le 7ème art) et celle des droits d’exploitation ne se posaient pas. Le public et le para-public s’élevaient contre le privé au nom de la culture (on préserve ce que l’industrie détruit), mais depuis que l’édition vidéo existe (VHS, puis DVD et déjà VOD), le privé a repris la main dans le secteur cinématographique sur le film de fiction, laissant les archives face à des documents « socialement défavorisés » parce que dépourvus de l’appréciation symbolique et culturelle dévolue traditionnellement aux films de fiction et aux acteurs.
Par ailleurs, l’ouverture massive offerte par le numérique via Internet, qui donne accès en tous lieux et sur tous sujets à d’immenses bases de données, dont l’image animée n’est plus qu’une partie, contraint les archives cinématographiques à revoir leur position et leur rôle. On peut aujourd’hui télécharger en toute légalité sur son portable It’s a wonderful life de Capra, dans la copie détenue par la Library of Congress, en raison d’une situation juridique particulière. On peut discuter de la validité de regarder sur un écran de portable (on l’a déjà fait pour l’écran de télévision, la VHS et le DVD) un film fait pour la salle de cinéma, mais on ne peut rien contre la facilité offerte. Les usages ont changé et opposer le vague ou le secret à une demande de consultation n’est plus tenable pour une cinémathèque ou une archive.
On comprend alors que les métiers du patrimoine cinématographique et audiovisuel soient en train de changer radicalement, en même temps que la définition des objets, des missions et des usages.
C’est aussi la répartition des tâches à l’intérieur des archives qui s’en trouve réexaminée, distinguant maintenant plus clairement entre les métiers spécifiques (propres au domaine des archives audiovisuelles) et les métiers, tout aussi nécessaires, non-spécifiques (gestion des ressources humaines, comptabilité, logistique des œuvres) : on pourra sur ces points se reporter au référentiel des métiers du patrimoine cinématographique mis en ligne par l’Institut national du patrimoine (inp.fr).
Pour l’heure, en Europe comme dans l’ensemble des pays occidentaux, ce ne sont pas les bouleversements technologiques qui ont ouvert des bassins d’emploi. Le secteur créant encore peu d’activité, il ne crée pas non plus énormément d’emplois, quoique la génération des fondateurs part ou s’apprête à partir à la retraite, laissant la place à une génération plus jeune et mieux formée.
Longtemps les métiers du patrimoine cinématographique n’ont pas fait l’objet d’une formation initiale spécifique (sauf pour les techniciens de la conservation), car la formation sur le tas, pour des raisons historiques, prévalait. En France, on peut identifier aujourd’hui trois filières, deux concernant les responsables de la conservation et une les documentalistes audiovisuels.
Pour les responsables de la conservation, deux voies sont possibles. La première (chronologiquement parlant) est traditionnelle et passe par l’Ecole des Chartes, avec éventuellement ensuite l’Institut national du patrimoine ou l’ENSSIB. L’Ecole des Chartes offre une excellente base professionnelle généraliste et l’on peut ensuite se spécialiser à titre personnel en cinéma ou en audiovisuel. Mais il faut savoir que les institutions patrimoniales recrutent fort peu à ce niveau de compétences et de rémunération. La seconde, récente, est l’option Conservation offerte depuis 2007 par l’Ina. Le cursus est sur deux ans pour 20 personnes par an, recrutées sur concours (en avril). Cette filière vient de se mettre en place : elle offre de très sérieuses garanties sur la qualité de la formation, mais il reste à voir à la sortie de la première promotion en 2009 comment se feront les recrutements.
La troisième filière est celle, plus traditionnelle aujourd’hui, des documentalistes audiovisuels, dont le métier a beaucoup évolué en direction des métadonnées et de la valorisation de contenus. Elle passe aujourd’hui par l’INTD ou des structures universitaires comme celle du Val de Marne. Plusieurs projets de Master Pro ont été avancé ces dernières années, mais aucun à ma connaissance n’a véritablement pris corps ou survécu à une première année.
On pourrait ajouter à ces métiers celui de responsable de collections audiovisuelles en médiathèque, dont la formation initiale est celle des métiers du livre, complétée après les concours de recrutement par des stages.
A noter qu’il existe aussi des stages courts de formation continue pour les personnels travaillant sous contrat dans une institution patrimoniale (musées, cinémathèques, médiathèques…), organisés par l’Institut national du patrimoine et par l’association Images en bibliothèques ainsi que certaines universités.
—Marc Vernet est aussi Conseiller pour le patrimoine cinématographique (Institut national du patrimoine) et Coordinateur du programme de recherche ANR « Cinémarchive » (2007-2010)—
(Témoignage publié dans l’édition 2010 du Guide des Formations)