L’aventure de Louise Wimmer a commencé en 2006, quand je tournais pour France 5 Jours précaires , un documentaire sur les travailleurs pauvres en Franche-Comté, la région où j’ai grandi. L’un des deux personnages que je filmais était une femme de ménage, qui, pour de multiples raisons, n’avait plus accès à un logement et vivait seule dans sa voiture, en marge de la société. Cette femme, que j’ai perdu de vue par la suite, m’avait beaucoup marqué. Elle s’appelait Corinne, comme la comédienne qui interprétera Louise Wimmer.
Après ce documentaire, je voulais concrétiser mon désir de fiction, qui avait toujours été mon rêve. Je pensais réaliser un court-métrage mais Bruno Nahon, de Zadig Productions, m’a convaincu d’en faire un long. J’ai commencé à écrire le scénario tout en continuant à faire des documentaires: Tahar l’étudiant, un portrait de Tahar Rahim, qui était encore un étudiant en cinéma en galère, originaire comme moi de Belfort et figurant dans mon premier court métrage, puis, pour Arte, Le Journal de Dominique, l’histoire d’une femme gardienne dans une cité de Belfort et qui écrit sur les habitants. J’ai fait aussi un documentaire de 90′ pour Canal Plus, dans la collection 20 ans, le monde et nous, et un 52′ pour France 3, Tout le poids du monde.
Louise Wimmer raconte l’histoire d’une femme qui, après une séparation douloureuse, a laissé sa vie d’avant loin derrière elle. À la veille de ses cinquante ans, elle vit dans sa voiture et a pour seul but de trouver un appartement et de repartir de zéro. Armée de sa voiture et de la voix de Nina Simone, elle veut tout faire pour reconquérir sa vie.
En 2009, j’avais un scénario abouti et nous l’avons présenté à l’Avance sur recettes, que nous avons obtenue au premier tour, à l’unanimité. Bernadette Laffont en a fait une lecture publique au festival Premiers Plans d’Angers, ce qui m’a beaucoup aidé à retoucher certains dialogues et scènes, en écoutant ce qui fonctionnait ou non. Le scénario a été lauréat de l’aide à la production de la Fondation Groupama pour le cinéma et le producteur s’est mis en quête de financements.
Je voulais prendre pour le rôle-titre une comédienne méconnue du grand public, Corinne Masiero, que j’avais rencontrée l’année précédente. Corinne avait fait du théâtre, en particulier du théâtre de rue, et tenu de petits rôles au cinéma et à la télévision. J’ai vraiment écrit le film pour elle. Ce choix d’une inconnue, à la féminité atypique et déjà âgée, n’était pas facile à défendre, d’autant plus qu’il s’agissait de mon premier film, mais nous avons décidé avec Bruno Nahon de ne pas lâcher et le projet a finalement été accueilli avec beaucoup de bienveillance par nos interlocuteurs, tant à Arte cinéma qu’à Canal Plus et en région, en Franche-Comté, où une partie du film était tournée, comme en Ile de France. Le budget du film était d’environ 2 millions.
Le tournage s’est déroulé en juin et juillet 2010. Nous avions 40 jours de tournage. Je connaissais bien le chef opérateur, Thomas Lettelier, qui avait déjà fait l’image du Journal de Dominique et de mon premier court métrage, en 2007. Toute l’équipe était très impliquée dans le film, ce qui m’a beaucoup aidé car je n’étais pas très à l’aise à l’idée de diriger 40 personnes, moi qui avait l’habitude des petites équipes de documentaire. De plus, le tournage se faisait dans deux régions et ne suivait pas la chronologie de l’action. Parfois, il fallait finir une scène commencée plusieurs semaines plus tôt en retrouvant l’intention initiale. C’était assez compliqué.
Je n’avais jamais dirigé de comédiens, même si j’orientais beaucoup déjà dans mes documentaires le jeu des personnages. Ce travail a été pour moi un moment exceptionnel et une découverte formidable. En documentaire, on demande aux personnages de donner le meilleur d’eux-mêmes mais on est tout de même contraint par le réel. Là, les scènes et les dialogues étaient écrits mais il restait toutes sortes de choix à faire sur l’interprétation: trouver une façon d’être, de parler, de marcher… Corinne m’a vraiment laissé façonner son personnage et j’ai pu l’emmener là où parfois elle ne voulait pas se risquer d’elle-même. Sur le plateau, elle avait une oreillette en permanence et je lui faisais des propositions au micro. Corinne était marquée par la télévision, qui donnait d’elle une image de femme du nord, assez rugueuse. Tout l’enjeu était pour moi de la faire sortir de cet archétype et de la découvrir totalement, d’atteindre une vérité du personnage qui invite le réel dans la fiction. C’est d’ailleurs amusant car certains spectateurs ont pris le film pour un documentaire, en croyant même parfois qu’il avait été filmé à l’épaule, alors que tout a été tourné sur pied, de façon très classique.
J’ai fait le montage avec Valérie Bregaint, qui avait aussi monté mes documentaires. Le montage a duré 7 mois, de septembre 2010 à mars 2011 et il a fallu faire tomber beaucoup de choses par rapport au scénario filmé. Je voulais faire un film de moins de 90′ pour garder l’énergie du personnage, le sculpter au plus près pour le rendre le plus fort possible, tout en ménageant des lenteurs et des répétitions dans le rythme et des zones d’ombre dans le récit. C’est la pratique du documentaire qui m’a appris à resserrer le film autour du personnage et à abandonner des choses que j’aime si j’estime que c’est nécessaire pour le film.
Valérie avait suivi le projet depuis le début. Elle se sentait proche du personnage de Louise et avait le même âge qu’elle. Elle a mis dans le montage beaucoup d’elle-même, en faisant des propositions et en remontant parfois le film. Le montage est le résultat d’une vraie collaboration entre nous.
Le film terminé, nous avons voulu tenter Cannes, qui ne l’a finalement pas pris. Il a par contre été sélectionné à la Mostra de Venise à la fin du mois d’août 2011, où il a commencé sa carrière. La salle était pleine, avec toute la presse française. Dès le lendemain, les critiques tombaient, très élogieuses. Ensuite il a fait 28 festivals dans le monde entier et obtenu 12 récompenses, dont le Prix Louis Delluc du meilleur premier film, celui du syndicat français de la critique de cinéma, l’Étoile d’or de la presse, les Prix de la Sacd et de la Scam et le César du meilleur premier film. Corinne a obtenu également plusieurs Prix pour l’interprétation et été nominée pour le César de la meilleure actrice. Désormais, elle n’a plus besoin de passer de casting et le rêve constitutif du projet, son enjeu et son ressort cinématographique, s’est réalisé au-delà de mes espérances.
Le film, distribué par Haut et court, est sorti sur une soixantaine de copies, principalement dans les circuits Art et essai. Il a fait environ 200 000 entrées et est encore à l’affiche en province à l’heure où ces lignes sont écrites. Il a été diffusé sur Canal Plus et va passer sur Ciné Plus et Arte au début 2014. Il est également sorti en DVD, dans une belle édition incluant Tahar l’étudiant et Le Journal de Dominique.
Le film sera présenté à nouveau en 2014 au festival Premiers Plans d’Angers, à l’invitation de Jeanne Moreau, et je me réjouis à l’idée que cette belle aventure se termine là où elle a commencé.
(Témoignage publié dans l’édition 2013/2014 du Guide des Aides)