J’ai filmé en 2002 une famille italienne qui faisait du cirque pour les enfants. C’était ma première expérience et le film a connu un petit succès en Italie où il a été beaucoup montré en festivals. Je suis ensuite venue en France en 2003 pour suivre la formation à la réalisation documentaire des Ateliers Varan. J’ai réalisé dans ce cadre un court métrage intitulé « Je m’appelle Mohammed ». J’ai poursuivi ensuite mes études de cinéma à l’université de Paris I, où j’ai préparé un DEA sur les films de famille des années 50 en Italie. J’ai rencontré à cette occasion l’association Home Movies, qui a fondé une cinémathèque d’archives familiales et privées en Italie. Je travaille depuis régulièrement avec eux. Nous avons édité des ouvrages et organisé des colloques en Italie et à l’étranger sur ce thème.
Dans le prolongement de mes recherches, j’ai continué à visionner des archives, tout en filmant moi-même en super 8. Je filmais mon quotidien, mon quartier, mes voisins, ma famille. Quand j’étais enceinte, j’ai écrit une lettre filmée à mon fils avant sa naissance, pour un projet de film intitulé « Espetando » (« En t’attendant »). C’est la période où j’ai commencé à intégrer des archives privées à mes propres films. Par exemple, j’ai découvert les images d’un homme qui s’était filmé dans un camping, toujours durant les années 50. Il avait filmé les moments vides, sa femme et sa fille regardant la télévision, ses perroquets, le camping… C’étaient des images très étranges et troublantes. L’homme semblait seul au milieu de sa famille. J’ai construit une atmosphère sonore autour de ces images, en utilisant des archives sonores de la même période mixées avec les improvisations d’un musicien.
Durant l’été 2003 j’étais en vacances sur l’île de Lampedusa avec mon compagnon, Sébastien Laudenbach, qui est cinéaste d’animation. Il avait emporté son matériel et filmait ses dessins image par image. C’est un travail très minutieux, qui demande beaucoup de patience et de concentration. Comme il faisait très chaud, il travaillait torse nu. J’étais fascinée et j’ai commencé à le filmer en vidéo noir et blanc. Lorsque je le filmais, Sébastien me sollicitait de plus en plus en s’adressant à moi. Ma présence s’inscrivait dans son regard et un jeu de mise en scène s’est installé entre nous. On s’est amusé à parler de notre vie, de l’amour et des films, à travers la caméra. Je nous ai aussi filmé en Super 8 faisant le tour de l’Île en scooter.
« L’Isle » mélange ces images réelles avec des images d’animation faites par Sébastien : une histoire d’amour dessinée, la femme filme l’homme, puis celui-ci la fait sortir du dessin et jette la caméra à la mer, le personnage devient réel et ils partent ensemble à la découverte de l’île.
Je me suis amusée à raconter cette histoire en mélangeant les différents formats, la pellicule couleur, la vidéo noir et blanc et le dessin animé. Il y a aussi un travail sur le son, les dialogues sont muets et une chanson populaire des années 60 accompagne le voyage en scooter. Les images de la fin sont tout à fait documentaires. Les textures du film correspondent à des temps différents : le passé est en dessin animé, le présent en vidéo et le futur en super 8.
J’ai présenté une maquette du film à la Berlinale – Talent Campus, qui permet à des réalisateurs d’échanger sur leur travail et de chercher des producteurs. J’ai rencontré Fabien, qui était encore élève de la Fémis et qui m’a proposé de produire « l’Ile ». Il s’est appuyé sur une structure de production, Vendôme films, et m’a incité à présenter mon projet à Arcadi. Après avoir fait le montage image, il me restait encore tout le montage son et le transfert en 35mm. L’aide d’Arcadi (3500€) finançait en partie le kinescopage mais ne permettait pas de travailler sur la bande sonore. Une amie ingénieur du son, Claire–Anne Largeron, m’a aidée ainsi que le studio Orlando pour le mixage.
Pour le kinescopage, j’ai travaillé avec Jean Paul Musson, qui est un habitué du cinéma d’animation. Nous avons fini le film en novembre 2005, juste à temps pour le festival de Clermont-Ferrand, qui l’a sélectionné en compétition nationale. J’ai tiré ensuite d’autres copies à mes frais, ce qui a permis de le faire circuler dans différents festivals.
Venant du documentaire, le 35mm m’avait semblé au départ inabordable. J’ai découvert en passant à la pellicule d’autres réseaux et une autre façon de faire des films. J’ai vu que les gens étaient touchés par ma démarche et cela m’a encouragé à poursuivre dans cette direction, en continuant à mélanger les genres et les supports, entre documentaire et fiction, animation et expérimental.
(Témoignage publié dans l’édition 2005 du Guide des Aides)