C’est Jean-François Le Corre, alors producteur à Lazennec Bretagne et aujourd’hui à Vivement lundi, qui m’a proposé l’adaptation d’une nouvelle illustrée de Gilles Gozzer, qu’il avait trouvée dans un fanzine, l’histoire d’un homme aux bras démesurés qui marche dans une ville endormie. Un conte en six cases et en noir et blanc, simple et fantastique, un univers plastique abouti. J’ai abandonné un autre scénario sur lequel je m’acharnais depuis trop longtemps et j’ai commencé à réfléchir à une adaptation en marionnette.
Gilles habite à Annecy, moi à Rennes. On s’est finalement rencontré dans un café à Montparnasse, avec le producteur. Il me laissait la liberté de l’adaptation mais trouvait pourtant le premier jet décevant.
En rentrant à Rennes, piqué au vif, je me suis remis au travail. Parallèlement, j’ai contacté un compositeur, Yann Tiersen, avec lequel j’avais déjà travaillé. Ce que je connaissais de son univers musical « collait » parfaitement avec les images que j’avais en tête.
Et puis il y a eu le dossier. C’était à mes yeux la partie la plus difficile. J’écris de façon laborieuse, sans doute parce que tant que rien n’est sur le papier, j’ai l’impression que le film est mentalement abouti, alors qu’en fait, les problèmes d’écriture mettent en évidence le travail qui reste à accomplir, qu’il s’agisse des choix plastiques, narratifs ou sonores, pour que le film s’emboîte effectivement. C’est aussi sans doute un mauvais souvenir d’école, l’angoisse du devoir à rendre et l’attente de la note.
Au total, le film aura coûté 321.000 F. Le CNC a apporté 170.000 F., Canal + 50.000 F., le Conseil Régional de Bretagne 70.000 F. et la Procirep 15.000 F. C’est le producteur, comme il se doit, qui a géré ce montage financier. Moi, je suis un peu le gosse qui demande des clous et des légos pour faire des « trucs super importants ». Le producteur, c’est celui qui est capable de croire que ce « truc super important » l’est vraiment et de convaincre d’autres personnes de lui céder ces fameux clous et légos.
Nous avons rencontré Brigitte Pardo, qui s’occupe avec Alain Burosse des programmes courts à Canal +, et la discussion a été très simple, même si j’ai eu l’impression de passer un examen. A la Région, ils ont été surpris de lire que ce n’était pas du dessin animé, parce que le story board était peint, et je crois qu’il n’y avait pas de photos de volume. Par contre, pour le CNC, nous avions décidé de fabriquer la marionnette et d’en faire des photos, ce qui, entre les premières recherches et la marionnette photographiée, a pris encore quelques semaines.
Le film dure quatre minutes, générique compris, alors j’ai un peu honte de dire qu’il s’est écoulé au moins deux ans entre la lecture de la BD de Gilles et la sortie de la copie zéro. Ce film, je l’ai imaginé comme je me représente la facture des violons dont la qualité sonore doit être aussi belle que l’aspect physique. J’ai donc fait une maquette vidéo en papier découpé animé. Une fois cette maquette montée, j’en ai envoyé une copie VHS au compositeur pour qu’il puisse travailler. L’accord du CNC est arrivé au moment du tournage, après un mois consacré à la fabrication des décors. Cette nouvelle a fait monter la température de quelques degrés dans l’atelier, ce qui n’était pas superflu puisqu’on était en hiver et qu’il n’y avait pas d’isolation…
Ce que j’aime dans l’animation, c’est le côté « fourmi », comme pour les cathédrales, mais en plus rapide, quand même. Pourtant, enfermé avec le chef opérateur, Olivier Gillon, un mois et demi dans la pénombre et un quasi-silence, à travailler image par image, on a parfois l’impression que le temps est quasiment suspendu.
Ensuite sont venus les festivals et les Prix : six, dont le FIPA d’or en 1998 et le Prix spécial à Annecy. Ça, c’était incroyable, parce que je commençais à m’assoupir quand j’ai entendu mon nom dans le micro. Presque toute l’équipe était dans une salle voisine à suivre une retransmission simultanée. Je me suis adressé à eux, alors qu’en fait, ils avaient déjà tous filé au café.
Nous sommes un petit groupe de cinéastes d’animation à Vivement Lundi. A Rennes, il y a aussi JPI Productions, qui a produit « Le Cyclope de la mer » (une quinzaine de prix dont le FIPA en 1999). Gravitent autour de ces structures d’autres animateurs issus d’un atelier de l’université. Il y a une émulation très vive autour du cinéma d’animation dans la région. Nous commençons à bien nous connaître et comme nous sommes pluridisciplinaires, nous changeons souvent de casquette d’un projet à l’autre. Je crois que nous avons tous le souhait de pouvoir rester travailler en Bretagne, et nous finissons par croire que c’est possible, sans avoir à envier ce qui se fait ailleurs.
(Témoignage publié dans l’édition 2000 du Guide des Aides)