Nous avons conçu « Les Zappys » en réponse à un appel à projets de Canal Plus, pour la « Journée de la télévision ». Il s’agissait cette année-là d’une carte blanche aux producteurs sur le thème : « La télévision de demain ».
C’est un film de 6 mn., en marionnettes, sur une famille « téléacro », dans laquelle chacun passe son temps enfermé dans sa pièce, à zapper des milliers de chaînes. Cinq ans plus tard, on retrouve la famille Zappys : tout a explosé, y compris la télévision. Les personnages du petit écran sont devenus de pales figurines, manipulées dans la rue par un montreur de marionnettes.
La production de ce film est assez représentative de notre façon de travailler. Avec une demi-heure à une heure de production annuelle, nous sommes plutôt des artisans, à la fois réalisateurs et producteurs, attachés à l’animation d' »auteur ». Nous travaillons essentiellement pour Canal Plus, car les autres chaînes ne coproduisent pas de court métrage d’animation. Même la Sept-Arte, qui coproduit beaucoup dans différents genres, le documentaire notamment, fait dans le domaine de l’animation essentiellement des achats.
Avant d’aller présenter le projet des « Zappys » à Canal Plus, nous avons fait, comme à l’habitude, un dossier. Ce dossier, d’une vingtaine de pages (il peut faire plus pour des projets plus importants), comprenait une note d’intention d’une demi-page, des documents graphiques présentant les personnages, et — ce qui compte au moins pour moitié aux yeux des décideurs — un budget et un plan de financement prévisionnel. Le budget des « Zappys » était de 440.000 francs, soit un peu plus de 70.000 francs la minute.
Canal a apporté 100.000 francs, dont 60% en coproduction et 40% en préachat. Pour avoir des aides, et en particulier le COSIP au CNC, il faut que la chaîne apporte au moins 15%. Il faut donc veiller à ce que les budgets ne soient pas trop élevés, surtout si la chaîne n’entre pas dans la production mais se contente d’un préachat, lequel peut aller de 10.000 à 50.000 francs selon la durée du film.
Ayant accès au compte de soutien automatique du CNC, nous avons utilisé 150.000 francs. On a demandé 50.000 francs à la Procirep, que l’on a obtenus. Nous avons apporté 140.000 francs. En fait nous avons mis en argent frais seulement 20% de cette somme, le reste correspondant à un apport en industrie, apport qui nous coûte d’autant moins que nous sommes bien équipés. Il faut ajouter à ces financements de petites recettes prévisibles, émanant des ventes à l’étranger par exemple.
On peut imaginer, au vu de cet exposé, les difficultés de la production indépendante. Pour faire quelque chose de bien en animation, en traditionnel, il faut compter un minimum de 40.000 francs la minute (la moitié pour une production bas-de-gamme fabriquée en Corée). Un jeune réalisateur en animation peut rarement espérer trouver plus de 10.000 francs la minute pour faire son film. On a fait huit films depuis notre création en 1986 et c’est le troisième sur lequel on commence à se payer, et encore modestement. C’est l’animation institutionnelle qui nous a longtemps permis de vivre, et même de survivre. C’est aussi la dimension artisanale de notre structure, car pour pouvoir travailler avec des budgets si serrés, il faut avoir peu de frais fixes.
Les réalisateurs ne sont pas souvent conscients de cette situation, sauf ceux qui sont obligés de se débrouiller eux-mêmes. Mais on se heurte alors à d’autres types de difficultés. Il y a des aides, celle du CNC en particulier, que l’on ne peut obtenir sans producteur ; les chaînes hésitent à investir de l’argent sur quelqu’un qui n’a pas de surface financière, à moins de devenir elles-mêmes productrices du projet, sans parler de la difficulté qu’il y a à s’improviser producteur.
Produire un film est un métier, et il est préférable de trouver un producteur avant de se lancer. Encore faut-il trouver un bon producteur, qui s’implique vraiment dans un projet, et non quelqu’un qui se contente d’empocher 50% du budget en « frais de production »…
(Témoignage publié dans l’édition 1995 du Guide des Aides)