J’ai eu l’idée du court-métrage « L’Enfance de Catherine » en travaillant à l’écriture d’un projet de long-métrage. J’essayais d’imaginer le passé du personnage principal, Catherine, et je me demandais en particulier quelle relation elle avait eu avec sa mère. Et puis la vie m’a offert un de ces évènements qui crée l’urgence et le désir. En quelques heures, un synopsis de court-métrage s’est imposé à moi. J’en ai tiré une nouvelle puis un scénario.
« L’Enfance de Catherine » raconte l’histoire d’une petite fille fascinée par la beauté de sa mère, éperdue d’amour pour elle et qui est le témoin de la passion physique qui brûle entre ses parents. Laissée pour compte, elle invente un chemin bien à elle, qui la délivrera du cercle enchanté où ils l’ont abandonnée. Initiation douloureuse qui prépare son avènement au monde. Toute l’action se déroule durant une seule après-midi de vacances en Corse. J’ai eu envie de m’imposer des contraintes d’écriture assez fortes qui me paraissaient convenir à un film court. Je voulais très peu de personnages – les deux parents et l’enfant– peu de dialogues et uniquement des extérieurs, à part ce qui se passe dans la voiture.
J’ai écrit le scénario entre Juin et Septembre 2001. Je l’ai aussitôt présenté au CNC, à l’aide au court-métrage. Le projet a d’abord été rejeté en décembre. Mais Jean-François Vincenti, des Films du Sirocco, qui faisait partie de la commission, m’a alors contactée pour me proposer de produire le film. J’ai été touchée qu’il aime le projet et le soutienne alors que le film avait été refusé et je me suis engagée avec lui. Je ne l’ai pas regretté car tout au long de cette « petite aventure » qu’est la réalisation d’un premier court-métrage, il m’a toujours fait confiance et m’a soutenue dans mes choix.
Nous avons retravaillé la note d’intention principalement, car les partis pris esthétiques et d’écriture demandaient, sans doute, à être mieux expliqués et justifiés mais nous n’avons pratiquement pas touché au scénario. Nous l’avons représenté très vite et j’ai obtenu l’aide du CNC en mars 2002, c’est-à-dire environ 40 000€. Nous n’avons pas obtenu d’autres financements, mis à part l’aide sélective à la musique de 3000€.. Et un achat par France 2, très récent, dont l’argent n’a donc pas pu entrer dans le budget du tournage.
Dès que j’ai su que j’allais pouvoir tourner le film, je me suis préoccupée de la musique parce que je voulais assurer un budget indépendant pour permettre l’écriture et l’enregistrement d’une musique originale. Je désirais une musique qui s’intègre au projet esthétique du film tel qu’il s’imposait à moi : éloigné du réalisme par une certaine stylisation et par la recherche d’une simplicité abstraite à travers le travail de la lumière et du son. Je me suis donc dirigée vers la musique contemporaine. J’étais aussi très curieuse de découvrir un univers musical que je connais peu et j’avais envie de prendre un risque, ce que permet encore le court-métrage. Je suis allée au Centre de Musique Contemporaine qui se trouve Cité de la Musique, à la Villette. Un documentaliste, à qui j’ai expliqué mon projet, a sélectionné pour moi un certain nombre d’œuvres parmi lesquelles un disque de Sophie Lacaze. Lorsque j’ai entendu les œuvres de Sophie Lacaze, j’ai eu le sentiment de faire une rencontre… Comme si son univers entretenait de souterraines affinités avec le mien. J’ai été séduite par les sources de son inspiration : la nature australienne, la culture aborigène et la part qu’elle laisse au rêve, ainsi que par l’utilisation qu’elle faisait des instruments à cordes. Certains passages firent immédiatement naître en moi des représentations du film. Nous nous sommes rencontrées et elle a accepté d’écrire la musique de « L’enfance de Catherine ». Le moulin d’Andé nous a accueillies deux jours en résidence pendant lesquels nous avons travaillé ensemble pour déterminer, à partir du scénario, à quel moment il fallait de la musique. Elle a écrit une partition d’environ dix minutes pour trio à cordes et flûte que le quatuor Hélios a enregistrée un peu avant le début du montage.
Le casting ensuite s’est déroulé assez facilement. J’ai été aidée par une jeune femme, Florence Benoist, qui m’a suggéré, pour jouer le rôle du père, Stanislas Merhar. Il a accepté de tourner et m’a présenté une jeune actrice, Marie Piot. Je venais de rencontrer Alice Allwright, qui devait jouer le rôle de la petite fille et j’ai été très frappée par leur ressemblance physique et l’harmonie qui se dégageait de leur présence à tous les trois ensemble.
Nous avons tourné en Septembre 2002 pendant huit jours en Corse. Nous étions une équipe d’environ une vingtaine de personnes. J’avais fait la connaissance de la chef opératrice, Nathalie Durand, par l’intermédiaire d’Agnès Godard. Elle-même a amené sa propre équipe et nous a présenté Nalini des Rosario, l’assistante à la réalisation. L’équipe était soudée et très efficace. Et je suis, aujourd’hui encore, très émue de penser à l’énergie et à la passion qui animent ceux qui acceptent de participer à un court-métrage. Tous bénévoles, ils paraissaient liés par un investissement personnel très fort et un même désir de cinéma. Alors que la réforme des Assédic menace gravement tous les intermittents du spectacle et bien sûr cet espace de liberté qu’était encore le court-métrage, cette expérience m’apparaît d’autant plus essentielle que s’y manifeste ce qui donne encore du sens à ce que nous faisons, loin des formatages et des diktats des diffuseurs.
Pour la dernière étape du film, le montage, j’ai rencontré Laure Gardette qui a travaillé pour le film avec autant de talent que de générosité. Elle a donné son temps sans compter, explorant au millimètre toutes les ressources du découpage. Bien que monteuse comme elle, j’avais besoin d’en passer par un autre regard et d’avoir confiance en lui. J’ai pu vérifier combien les places du réalisateur et du monteur sont différentes et expérimenter qu’à celle de réalisatrice, et à cette étape là, je me sentais aveugle. J’ai donc laissé Laure aller au bout d’un premier montage toute seule et puis nous avons continué ensemble. C’est grâce à Laure que j’ai pu connaître ensuite Béatrice Wick qui a accepté de faire le montage son et Emmanuel Croset, qui a mixé le film.
Ainsi les difficultés que j’ai pu rencontrer sur ce court-métrage, difficultés inhérentes au projet lui-même, à la remise en cause et aux doutes qui accompagnent la réalisation, n’ont jamais été liées aux conditions extérieures. Au contraire, compte tenu de l’absence totale de moyens, j’ai eu le sentiment de bénéficier de conditions exceptionnelles puisque tous les choix de production ont été pris dans un souci d’excellence technique. J’ai vécu ce court-métrage comme une enclave dans le monde professionnel, un lieu de liberté et de désir, à des années-lumière des pressions que nous subissons tous dans le monde audiovisuel. Un lieu qui existe grâce à l’investissement sans limites de ceux, producteur, acteurs, techniciens, qui donnent ce qu’ils sont et leur amour du cinéma, pour qu’existe encore un peu de temps la possibilité de faire des films hors des sentiers battus.
(Témoignage publié dans l’édition 2004 du Guide des Aides)