« Le temps des grâces », un film de Dominique Marchais, produit par Capricci Films (123’, 2010)

« Le temps des grâces », un film de Dominique Marchais, produit par Capricci Films (123’, 2010)

J’ai grandi à la campagne, en Eure et Loir. Mon père et ses frères étaient dans le négoce en céréales. C’est une région qui est devenue exclusivement céréalière alors qu’avant il y avait de l’élevage. J’ai pris conscience, avec un sentiment de tristesse, de la disparition d’une certaine agriculture et j’ai eu envie de comprendre ce qui s’était passé pour qu’on en soit arrivé là aujourd’hui.

J’ai fait des études de philosophie puis j’ai travaillé aux Inrocks comme critique de cinéma, ainsi que pour le festival de Belfort, en tant que sélectionneur. J’ai aussi travaillé comme assistant réalisateur et comme assistant monteur, avant de réaliser un premier court métrage, en 2003, « Lenz échappé », dans le cadre d’une commande passée par Arte à de jeunes auteurs. Cette variation sur une nouvelle de Buchner, tournée dans les Vosges, traitait déjà de la relation avec la nature et de la manière dont la conscience de soi est affectée par l’extérieur, par l’espace.

Je ne voulais pas faire un film militant sur l’agriculture mais proposer plusieurs points de vue possibles, en laissant le spectateur trouver sa place. J’ai commencé par des lectures très techniques, en allant au plus proche des spécialités et des réglementations, sans me contenter des essais sur les méfaits de la mondialisation et des explications fournies par les médias. Ces connaissances m’ont permis de dialoguer avec mes interlocuteurs. Mes questions ont évolué pendant l’écriture, le tournage, le montage et chaque nouvel entretien s’est enrichi de celui qui le précédait. De même, pendant le montage, nous avons découvert dans les rushes des subtilités dont nous n’étions pas conscients au tournage, ce qui nous a permis de recréer des articulations plus fines et plus concrètes que celles imaginées au départ.

J’ai d’abord obtenu l’aide à l’écriture du CNC (7000€) après avoir travaillé sur le dossier durant six mois. Puis j’ai rencontré Thierry Lounas, de Capricci Films, qui s’est intéressé au projet. « Profils paysans » de Depardon et « We feed the word » de Erwin Wagenhofer n’étaient pas encore sortis en salle et le sujet était alors relativement peu traité au cinéma.

La recherche de financements a été très longue. La première aide qui a été déterminante a été celle de la Région Limousin, d’un montant de 80 000€, puis la Région Ile-de-France nous a accordé 90 000€ et nous avons finalement obtenu, à la troisième tentative, l’Avance sur recettes, d’un montant de 150 000€. La région Centre (20 000€) puis les Pays de la Loire (50 000€) ont suivi. Le budget du film est assez élevé (632 000€) car nous avions besoin de beaucoup de tournages (11 semaines) et d’un temps long de montage, 9 à 10 mois au total. Il y avait aussi des frais de kinéscopage pour la sortie en salles.

Nous avons mené une cinquantaine d’entretiens auprès d’agriculteurs, de paysagistes, d’écrivains, de scientifiques et d’économistes, dont 13 sont restés dans le film. Nous avions environ 200 heures de rushes. Le film a été très largement réécrit au montage, en s’appuyant sur la parole des agriculteurs, qui traitait tout à la fois du paysage, du bocage, de la modernisation, des trente glorieuses, des politiques agricoles et des questions environnementales. Il était important pour moi de ne pas chapitrer le film par thèmes mais de trouver un rythme, un mouvement, qui permette de rester toujours dans l’interdisciplinarité.

Le film est passé dans de nombreux festivals (Locarno, Lussas, Viennale, Vendôme, Belfort, Bafici) puis est sorti sur 13 copies en salles en février 2010, en faisant plus de 30 000 entrées, avec de nombreux articles de presse et le soutien de l’ACID qui a permis d’organiser près de 70 débats en 12 mois. Je prépare actuellement un nouveau long métrage documentaire intitulé France, Terra Incognita : ça parlera de paysage et de politique.

(témoignage publié dans le guide des aides 2011)