Après avoir suivi un cursus en Lettres modernes, j’ai fait un DEA d’études cinématographiques et je travaille actuellement à une thèse consacrée aux échanges entre Hollywood et Hong Kong. J’ai également réalisé depuis l’âge de 15 ans une dizaine de petits films en vidéo, tournés avec des amis, films dont les insuffisances techniques empêchaient malheureusement toute diffusion. Le Sphinx sans secret aurait pu n’être qu’un court métrage amateur de plus si un ami ne m’avait parlé du GREC.
Le Sphinx est adapté d’une nouvelle d’Oscar Wilde que j’avais lue dix ans plus tôt et dont j’ai transposé l’action (la rencontre d’un jeune homme avec une femme mystérieuse) dans le Paris d’aujourd’hui. La simplicité de l’argument, le petit nombre de personnages et de décors me paraissaient convenir à un premier exercice d’adaptation et à la modestie de mes moyens.
Cependant, plus j’avançais dans l’écriture du scénario et plus je m’inquiétais de ne pas être, faute de moyens, à la hauteur de ce bloc d’opacité que représente l’héroïne, plus je craignais de trahir la fascination qu’elle suscite chez le protagoniste, fascination qui est le cœur même de l’œuvre. A mon attachement croissant aux personnages et à l’histoire correspondait le désir plus impérieux de faire enfin un « vrai » film, qui soit vu au-delà du cercle restreint des amis et des intimes participant au projet. Je voulais me confronter à une véritable altérité, à des regards différents qui pourraient enrichir l’œuvre présente et nourrir celles à venir. Ce désir de « partager » le film était d’autant plus grand qu’au centre du Sphinx se trouve un mystère, un manque, une absence d’explications.
J’ai adressé au GREC un scénario d’une douzaine de pages, sous la forme d’une continuité dialoguée. Le collège de lecture s’est montré intéressé mais m’a demandé de le réécrire. J’ai coupé une scène qui ne présentait guère d’intérêt et transformé l’intégralité du récit du protagoniste en voix off. J’ai représenté le projet et j’ai obtenu une aide d’environ 15 000€. L’équipe du GREC m’a aidé à établir le budget, nous avons signé un contrat et j’ai pu demander les autorisations de tournage.
Tout en conservant au projet une dimension minimale, intime, un ton proche de la confession amicale, les conditions de production offertes par le GREC m’ont permis de me familiariser progressivement avec les composantes de la « machine cinématographique » et de compenser la faiblesse de mes compétences techniques qui, en d’autres circonstances, se serait révélée un handicap insurmontable.
Le tournage a duré quatre jours, avec comme chef opérateur un ami, membre d’un atelier de cinéma expérimental, l’Etna. Nous avons filmé en vidéo avec une SONY PD 150, au lieu d’utiliser le petit caméscope que devait me prêter initialement une amie, et un pied permettant de réaliser des panoramiques et des plans fixes dignes de ce nom. Le montage s’est fait avec une monteuse professionnelle et a duré trois jours. Nous avons pu enregistrer la voix off en auditorium. Le film est actuellement en cours de kinescopage, ce qui lui permettra de circuler dans les festivals.
J’ai peu à peu découvert la possibilité de travailler autrement que dans l’urgence et l’approximation ; je me suis progressivement fait à l’idée – jusque-là à mes yeux irréaliste – que le film pouvait venir au monde autrement qu’abîmé, blessé, défiguré par les ratés d’une technique incertaine.
En octobre 1967, Jacques Aumont écrivait dans les Cahiers du cinéma à propos de La Religieuse de Jacques Rivette : « Le cinéma c’est alors, non ce qui dénude des mystères, mais ce qui les pose au grand jour dans l’épaisseur de leur obscurité. » Je ne pense pas qu’il y ait grand-chose de commun entre la Suzanne Simonin de La Religieuse et la jeune femme de mon film ; mais si cette citation me revient néanmoins à l’esprit, c’est que j’ai le sentiment que le GREC m’a effectivement aidé à poser au grand jour, dans toute l’épaisseur de son obscurité, le mystère de l’héroïne du Sphinx sans secret.
(Témoignage publié dans l’édition 2004 du Guide des Aides)