J’ai une formation dans les Arts plastiques, j’ai fait les Arts décoratifs à Paris et, pendant une quinzaine d’années, j’ai conçu des installations et des vidéos expérimentales qui souvent s’inspiraient du documentaire mais dans une approche plus plastique. « Le Plein pays » est mon premier film documentaire, si on considère sa forme et sa durée.
Tout a commencé en 2005 lorsque j’ai découvert le personnage du film. J’étais accueilli en résidence de création dans le Lot où je travaillais sur des projets liés à la ruralité. On m’a parlé d’un homme qui vivait dans l’isolement et gravait sur des pierres des signes mystérieux en professant des catastrophes à venir. Ca m’a fasciné et j’ai eu envie de le rencontrer, avant tout pour partager cette expérience. Lorsque je suis allé le voir, il dégageait une telle force que je me suis mis à penser à un film. Quelque chose dans la radicalité de sa démarche, dans son obstination a mener sa mission jusqu’au bout, venait questionner mon propre rapport à l’Art.
Pendant deux ans, j’ai pensé à cette rencontre sans trouver la manière de la prolonger. Finalement, je suis retourné le voir avec une caméra pour mettre fin à mon questionnement et tenter quelque chose. A ce stade là, je n’avais écrit qu’un vague texte pour expliquer mes intentions à quelques personnes qui s’occupaient de lui. Etant donnée la nature extrêmement fragile de notre relation, je voulais d’abord m’assurer qu’un film puisse se faire, c’est-à-dire gagner sa confiance avant de m’engager dans l’écriture et des demandes de financement. Filmer cet homme étrange, c’était pour moi une chose nouvelle, compliquée mais excitante à la fois. Il s’agissait d’abandonner la distance que j’avais souvent maintenu dans mes projets précédents pour arriver à aborder ce personnage qui demandait des comptes.
Au bout de six mois, j’ai repris l’écriture sur la base des repérages filmés. J’ai d’abord obtenu une aide du département du Lot (7500€) puis la bourse Brouillon d’un Rêve de la Scam (6000€) et enfin, après plusieurs réecritures, la contribution financière au court métrage du CNC (35 000€). J’ai écrit mon dossier comme il me semblait juste de le faire, ne connaissant pas les codes en la matière et ne cherchant pas à le formater. L’attente de financements a pris presque une année, pendant laquelle je continuais à repérer et à filmer, car il était évident pour moi que le film devait se faire, meme si j’espérais récupérer, au moins en partie, l’argent que j’engageais. Comme il n’y avait pas de pression de la part d’un producteur ou d’une chaine, je pouvais prendre mon temps, un temps sans lequel rien n’aurait pu se faire.
Le film a été bien accueilli en festival, d’abord au FID à Marseille puis ailleurs en France et à l’étranger. Arte a décidé de l’acheter. Puis, un distributeur (Les Films du Paradoxe) s’est engagé à le sortir en salle et à l’éditer en DVD. La carrière du film s’est donc faite au fur et à mesure des programmations en festivals.
C’est un film qui attire la curiosité, par son sujet et par son traitement. Jamais je ne tente d’expliquer le personnage, je me contente d’être à ses côté, ouvert à ses propositions et prêt à m’effacer quand il le faut, ce qui permet, je crois, qu’une certaine intimité se crée entre lui et le spectateur. On ne comprend pas tout mais, au fur et à mesure, un lien sensible se tisse entre lui et nous. Ce personnage, c’est un peu l’ogre au milieu de la forêt qu’on imagine un peu dangereux, qui vit en solitaire. Quand il apparait, on a un choc. Mon travail a été de dépasser cette première impression et de voir l’humanité et la force vitale qui se dégage. Et à la fin, cet homme reste une énigme, mais cet indicible le rend très fort et empêche qu’on le saisisse. Le film s’arrête et on se pose autant de questions qu’au début, et pourtant on a reconnu cet homme.
(témoignage publié dans le guide des aides 2011)