“L’Age d’or ?”, film documentaire de Laurent Hasse (52’)

“L’Age d’or ?”, film documentaire de Laurent Hasse (52’)

Je devais avoir 25 ans lorsque j’ai déposé ma candidature pour la bourse DÉFI-Jeune. Cette demande concernait un projet de film documentaire sur les personnes âgées et la place que la société leur accorde, intitulé « L’âge d’or ? ».

Ma rencontre avec le genre documentaire s’était faite quelques années auparavant, un peu par hasard. J’avais décidé de suivre des études universitaires à Poitiers avant tout pour fuir ma Lorraine natale. J’ai commencé par un DEUG de communication, avant de prolonger ce cursus par un D.U, puis un D.U.E.S intitulés « Filmer le réel » (l’ancêtre du DESS Documentaire). C’est véritablement à cette époque que j’ai découvert le genre, grâce, entre autres, aux films de Marker, Painlevé, Franju, Wiseman, Storck…

Diplômes en poche, je suis monté à Paris, bien décidé à être auteur-réalisateur de documentaire, sans véritable expérience et non sans naïveté. J’ai donc connu une période assez difficile, à écrire des projets qui ne dépassaient jamais le stade du papier, tout en tentant de m’imposer comme technicien sur des films institutionnels ou diverses productions plus ou moins intéressantes. Puis le hasard m’a fait croiser la route de Jean Schmidt dont je suis devenu l’assistant. Une expérience formatrice et décisive pour la suite et qui a renforcé mon goût pour le cinéma du réel.

L’idée de « L’âge d’or ? » avait germé d’un simple constat : la société vieillit, les personnes âgées sont de plus en plus nombreuses et pourtant vieillir est presque considéré comme une maladie honteuse. Les médias en parlent peu. Moi, Je rêvais justement d’un film pour briser les tabous et l’hypocrisie… Un film comme une plongée au pays des vieux. Les débuts furent tâtonnants. J’ai écrit un dossier maladroit car trop scénarisé. Le réel et la magie des rencontres y étaient étouffés par la volonté de tout prévoir et tout contrôler. J’ai envoyé ce dossier dans toutes les productions influentes. J’attends encore aujourd’hui leurs réponses. J’ai contacté toutes les chaînes de télévisions. Je me souviens même avoir téléphoné à TF1 (déjà privatisée) en leur demandant le nom du responsable de l’unité documentaire !!!!

Je venais de Lorraine et c’est là que je souhaitais tourner mon film. Localement, les dispositifs d’aides pour l’audiovisuel n’existaient guère. Défi-Jeune m’a semblé être une alternative intéressante, j’ai donc contacté la direction départementale de la Jeunesse et des Sports à Metz. Parallèlement, j’avais répondu à l’annonce de Sombrero Productions, une toute jeune société parisienne qui recherchait des projets pour démarrer son activité. « L’âge d’or ? » les intéressait, mais il me fallait affiner le dossier. Écrire et réécrire, encore et toujours ; manier le stylo dans l’espoir de pouvoir diriger, un jour, une caméra. L’obtention de la Bourse Défi-Jeune est arrivée à temps pour m’éviter le découragement. Cette Bourse était, certes, une somme d’argent non négligeable (40 000 frs soit 6098€), mais c’était surtout pour moi un gage de sérieux. Mon travail était enfin reconnu par une institution, ce qui allait faciliter les démarches ultérieures. De plus parmi le Jury de Défi-Jeune figurait le responsable d’une télévision locale potentiellement intéressée par le film. Autant d’éléments qui ont, je pense, pesé dans la décision de Sombrero de me faire confiance. Affaire conclue, contrat signé. Une production, un diffuseur, des partenaires privés et institutionnels, de l’argent frais… le film allait enfin pouvoir se faire même si ce n’était qu’un « film-câble », autant dire un film fauché. Le tournage ne pouvait excéder 15 jours et le montage allait se faire sur un banc cut VHS dans ma cuisine. Mais c’était pour moi la possibilité de concrétiser enfin mes désirs de réalisation. Le film a pu voir le jour, il a été diffusé sur des chaînes françaises, suisse et canadienne. Il a également participé à quelques festivals, et continue à circuler encore aujourd’hui grâce à la distribution en VHS.

Depuis, j’ai travaillé comme caméraman, enseigné l’audiovisuel, réalisé une vingtaine de captations de concerts et surtout j’ai pu tourné quatre autres films documentaires. Cela fait, à présent, dix ans que je vis de mon métier, pourtant chaque nouveau film est un recommencement à zéro.

Le dernier en date s’intitule « Sur les cendres du vieux monde ». Il s’agit d’un long-métrage documentaire qui a nécessité plus de trois ans de préparation. Le projet a fait l’objet d’un « pitch » au festival de Nyon, d’une résidence d’écriture à Lussas, d’un an et demi de tournage et six mois de montage. Il s’agit d’une coproduction française (Iskra, Sombrero, Arte), belge (CVB, RTBF) et Luxembourgeoise (Tarantula). Le film a été diffusé en 2001, je l’ai accompagné dans bon nombre de festivals et autres projections publiques en 2002 et 2003, et, grâce au THECIF et à la CCAS, 2004 devrait être l’année de son kinescopage… Pas mal de chemin parcouru depuis Défi-Jeune et « L’âge d’or ? ».

Je reste indirectement en contact avec le dispositif Défi-jeune puisque l’étiquette d’ancien lauréat me confère un statut de « grand frère ». Je rencontre régulièrement des jeunes gens porteurs de projets documentaires et postulants à la bourse de Jeunesse et Sports. C’est l’occasion de faire partager ma petite expérience. À chaque fois, je rencontre des personnes pleines de désirs et de motivations, ce qui semble plutôt rassurant pour le devenir du cinéma du réel. Mais le contexte a cruellement changé en quelques années, le genre documentaire a acquis une sorte de respectabilité de façade (sans doute portée par le succès de « Etre et avoir » de N. Philibert), alors que, dans le même temps, son économie est attaquée de toutes parts : course à l’audimat engendrant le formatage des films, affaiblissement du service public, refonte des modes de financements, dilution de la notion d’œuvre dans les programmes de flux pollués par le déferlement massif de la télé-réalité… et bien sûr dynamitage du statut d’intermittent… Nul doute que le contexte économique et politique pèsera lourdement sur l’avenir du genre documentaire et de la profession.

À moins, au contraire, que cette triste période, n’engendre par effet de boomerang, une production massive de films militants, engagés, enragés… réalisés avec ou sans Défi-Jeune.

(Témoignage publié dans l’édition 2004 du Guide des Aides)