Mon premier film, « L’Afrance », raconte l’histoire d’un étudiant sénégalais venu étudier à Paris et qui se retrouve placé en centre de détention parce qu’il a négligé de renouveler ses papiers à temps. Le film a été tourné en 2000 à Paris et au Sénégal, d’où est originaire une partie de ma famille.
Je ne viens pas du tout d’un milieu artistique, même si mon frère Patrice est devenu musicien et a fait notamment la musique de mes films. J’ai été recalé aux concours de la Fémis et de Louis Lumière et, mes parents n’ayant pas les moyens de me payer une école privée, je me suis inscrit en Histoire de l’art à Paris 1, où j’ai fait une Licence puis une Maîtrise. C’est durant mes études que j’ai écrit le scénario de « L’Afrance », que j’ai présenté comme mémoire de fin d’études. Il fallait faire un stage en entreprise et un ami m’a mis en contact avec la société du réalisateur Idrissa Ouedraogo, Les Films de la Plaine. J’ai demandé à la gérante, Sophie Salbot, de lire mon scénario et elle a décidé de le produire. A l’époque, sauf quelques films amateurs, je n’avais aucune expérience dans le cinéma.
Nous avons signé un contrat et nous avons déposé le scénario à l’Avance sur recettes, que j’ai obtenue au premier tour. C’est ensuite que les choses se sont compliquées. Sophie Salbot a fondé sa propre société et j’ai quitté Les Films de la Plaine. J’ai alors entamé un long processus de réécriture, qui a duré un an et demi, en espérant trouver des compléments de financement, car l’Avance sur recettes ne suffit pas pour faire un film. J’ai alors rencontré l’équipe de Mille et Une Productions, avec qui je me suis bien entendu et qui a accepté de préparer le tournage sans chaine de télévision ni distributeur, avec peu de moyens donc, mais aussi avec la liberté dont j’avais besoin pour faire ce film.
Après plusieurs castings avec des comédiens professionnels, j’ai fait des essais avec un ami sénégalais, Djolof Mbengue, qui s’est révélé être très bien pour le rôle principal. Il tiendra aussi un rôle dans « Andalucia » et j’écrirai par la suite plusieurs scénarios avec lui. Il n’est pas simple de vendre un film dont le personnage principal est noir et inconnu, et ni les chaînes de télévision, ni les distributeurs ne voulaient prendre ce risque.
Avec la production, nous avons constitué l’équipe technique et le tournage a enfin démarré. Il a duré cinq semaines. Après le tournage, nous avons obtenu l’aide du FAS (devenu l’Acsé) puis de la Région Ile-de-France (alors gérée par le Thécif), qui nous a permis d’achever la post-production. L’Acid a décidé de le soutenir et de le montrer au festival de Cannes. C’est à cette occasion que Ciné Classic a décidé de le distribuer en salles. Il a été sélectionné au Festival de Locarno, où il a reçu le Léopard d’Argent en 2002, puis il a tourné dans de nombreux festivals (Sundance, Rotterdam, Hambourg…) et Canal Plus a finit par l’acheter.
Après un court métrage intitulé « Petite lumière », qui m’a permis d’explorer de nouvelles pistes d’écriture, en particulier au niveau du son, je me suis lancé dans le scénario de « Andalucia », cette fois-ci avec le soutien financier de Mille et Une Productions. C’est un film qui poursuit les interrogations de « L’Afrance » sur le poids des origines et j’en ai écrit le scénario en toute liberté, sans chercher à plaire aux financeurs potentiels. Pour le rôle principal, j’ai choisi Samir Guesmi, qui avait déjà joué dans « L’Afrance ». Nous avons été confrontés aux mêmes difficultés que pour le précédent : je n’avais toujours pas de tête d’affiche et le scénario avait une forme qui ne correspondait pas aux canons de la narration classique. Aucune chaine n’a voulu le financer et les distributeurs qui auraient pu le faire me demandaient d’écrire une « vraie histoire » et souhaitaient discuter le casting.
Nous avons obtenu à nouveau l’Avance sur recettes (400 000€) puis l’aide de l’APCVL (aujourd’hui Centre Images), d’abord au stade de l’écriture, puis à celui du développement et de la production (200 000€ au total).
Pour le tournage, j’avais choisi d’accorder une part d’improvisation aux acteurs, laissant la caméra tourner plus longtemps pour qu’ils puissent se réapproprier les scènes. Les techniciens, pourtant peu habitués à cette méthode, ont accepté rapidement de jouer le jeu. Il y avait parfois une vingtaine de techniciens mais, pour quelques séquences, j’étais seulement avec le chef opérateur et l’ingénieur du son. Nous filmions en vidéo HD, ce qui permettait de tourner plus longtemps qu’en pellicule, même si au bout du compte, le film a coûté un peu plus cher que si il avait été fait en 16 mm.
C’est au montage que l’écriture du film a été finalisée et c’est pourquoi celui-ci a duré seize semaines. Nous travaillions les rushes comme de la pâte à modeler, en cherchant le bon rythme. J’ai le sentiment d’avoir beaucoup appris durant cette expérience.
Le producteur a monté une coproduction avec deux sociétés espagnoles, qui ont eu le soutien de chaines en Espagne, mais aucune n’en a voulu en France. Le film est distribué par Eurozoom et a été sélectionné à Venise, où il a été bien accueilli par la critique. La réaction du public a été plus partagée, on a reçu des témoignages de sympathie, voire d’enthousiasme, mais il y a eu aussi des réactions violentes et parfois de l’incompréhension sur le sens du film et sur sa forme.
Il y a une place dans l’économie du cinéma pour ce genre de films mais il faut forcer à chaque étape les différents guichets, qu’il s’agisse des aides à la production, de la distribution ou de l’exploitation. Comment aller chercher un nouveau public d’aujourd’hui ? Tout reste à inventer et c’est à nous de le faire.
(Témoignage publié dans l’édition 2009 du Guide des Aides)