Arnaud Demuynck

PRODUCTEUR (LES FILMS DU NORD)
À PROPOS DU FILM DE CLÉMENTINE ROBACH, LA MOUFLE (2014, 8’)

La Moufle est à l’origine un conte traditionnel ukrainien autour d’une moufle perdue que des animaux de la forêt vont se partager, bon gré mal gré. Chaque animal, grelottant, vient se réchauffer à la chaleur de la laine en poussant un peu l’animal déjà installé. La moufle devient un gîte de fortune, bienvenu mais fragile et surtout convoité de tous. Distendue, elle finira par éclater, dispersant tous les animaux bien surpris.

Ce conte, issu de la tradition orale, a fait l’objet d’une abondance de versions et de variantes aux illustrations très différentes, toutes aussi originales les unes que les autres. Dans la version traditionnelle, c’est un bûcheron qui a perdu sa moufle en allant couper du bois, dans d’autres c’est un chasseur étourdi, un gros homme pressé ou encore un enfant insouciant. Dans d’autres encore, la moufle est là, oubliée par on ne sait qui et c’est sans importance. Les enfants sont sensibles à cette histoire parce qu’elle se raconte comme une ritournelle. La surprise et l’inquiétude des animaux déjà abrités sont récurrentes et permettent aux enfants d’anticiper l’action avec plaisir. Ils connaissent les occupant·es et savent qu’ils vont devoir partager la chaleur de l’abri. Jusqu’au moment où ce n’est plus possible et c’est l’explosion, provoquée par la plus petite d’entre eux, la puce qui vient chatouiller l’ours.

On trouve des albums illustrés, des versions à toucher et des petits romans « premier lecteur », mais il est étonnant de constater qu’une telle success-story en littérature jeunesse n’ait pas fait plus souvent l’objet d’une adaptation au cinéma. L’histoire est trop courte pour exister dans un format commercial, mais elle est parfaite pour un court métrage. Son espièglerie, son rythme, sa sagesse, sa galerie de personnages, offrent tous les éléments nécessaires à un bon film.

En écrivant le scénario, j’ai ajouté le personnage d’une enfant à laquelle les jeunes spectateur·rices pourront facilement s’identifier car, comme eux, la petite Lily est sensible au sort réservé aux animaux en hiver. Elle est chez ses grands-parents, et voit le grand-père construire un petit nichoir pour les oiseaux. Mais, en voyant un écureuil, la gamine se demande comment feront les autres animaux pour trouver un abri chaleureux. Elle va alors déposer une moufle au pied de l’arbre… Le conte se déroule entre fantaisie et réalité. Le matin, Lily ne trouve plus sa moufle dans la neige, mais voit sa grand-mère la réparer. Que s’est-il vraiment passé cette nuit ? L’histoire se déploie « entre veille et sommeil », la gamine ne sait pas vraiment si c’est un rêve ou la réalité.

Clémentine Robach est une jeune réalisatrice qui était déjà venue travailler aux Films du Nord sur les décors d’un autre film. Sa mise en scène a su respecter l’esprit du conte traditionnel tout en lui apportant sa touche personnelle. Son utilisation du papier découpé, qui met à la fois en valeur la fragilité des animaux en hiver et la poésie de la situation, laisse le/la jeune spectateur·rice rêveur·se.

Clémentine a parcouru une longue période de développement, assistée par Nicolas Liguori qui a offert tout son talent et son expérience au projet. Les recherches se sont concentrées sur le style de papier (papiers de Chine, d’Inde, opaques, transparents, plastifiés ou de soie, colorés dans la matière ou en peinture, etc.), la technique d’animation (papier découpé, papier déchiré, pantins animés directement ou par substitution, etc.), le découpage, le rythme, la musique… Il a fallu rédiger et illustrer un dossier de production séduisant pour convaincre les investisseurs potentiels.

Il est difficile d’obtenir un soutien pour ce genre de film à la Contribution financière du CNC (Aide au court métrage). Les films « pour les enfants » ne sont en général pas jugés assez sérieux, pas assez « d’auteur·rice » et la technique d’animation image par image n’est pas vraiment dans la culture des membres de la commission qui sont plus habitué·es aux prises de vues réelles. La durée très courte des films pour enfants, qui sont mis en compétition avec des films de quarante-cinq minutes pour adultes, ne favorise pas non plus les premiers. Pour les mêmes raisons, ce type de film reçoit rarement l’Aide après réalisation du CNC.

Heureusement, Les Films du Nord bénéficient depuis de nombreuses années de l’Aide au programme d’entreprise du CNC, ce qui nous a permis de développer une ligne éditoriale spécifique pour le jeune public. C’est le succès du catalogue qui donne les points nécessaires pour être éligible, constituant ainsi un cercle vertueux qui permet la professionnalisation du court métrage. Il existe aussi le Fonds d’Aide à l’Innovation au CNC, qui permet de développer des œuvres ayant besoin d’une longue période de recherche. Le nouveau projet de Clémentine Robach, La soupe au caillou, est lauréat de cette aide.

La Moufle a bénéficié d’un devis confortable de 145 000 €, grâce au soutien du CNC et de deux Régions : le Nord-Pas-de-Calais (Pictanovo), qui a investi 29 500 € en coproduction et la Région Centre (Ciclic), qui l’a soutenu à hauteur de 32 000 €. Pictanovo est un de nos partenaires historiques et Ciclic mène une action volontaire dans le domaine de l’animation. France Télévisions a préacheté le film à hauteur de 8 000 €, ce qui est malheureusement exceptionnel, car la chaîne n’a pas vraiment de case pour ce format. Le reste du budget a été apporté par les Films du Nord et le coproducteur, Les Films de l’île (studio d’animation situé à Roubaix).

La Moufle a été diffusé sur France Télévisions avec une belle audience, la WDR en Allemagne l’a acquis, et il sera vendu prochainement sur plusieurs territoires à l’international, l’absence de dialogues facilitant sa diffusion. Son thème d’entre veille et sommeil va servir de conducteur à un nouveau programme jeune public en salles et nous préparons avec le distributeur un making of ainsi qu’une mallette pédagogique pour faire découvrir aux enfants l’univers du film, sa technique, ses interprétations, ses différentes versions. Le travail à réaliser avec les films d’animation pour les enfants est important et ouvre de grandes perspectives à l’éducation à l’image. La Moufle n’a certainement pas fini de séduire son public.

Témoignage publié dans le Guide des Aides 2015.