Je suis née et j’ai grandi en Tunisie, à Sidi Bouzid, une petite ville qui est devenue célèbre depuis que la révolution tunisienne y a commencé. Après avoir fait des études de marketing à HEC Tunis, j’ai voulu me tourner vers le cinéma. Même si je n’avais aucune expérience professionnelle dans le domaine, j’étais membre active de la Fédération tunisienne des cinéastes amateurs, qui regroupe des centaines d’adhérents dans tout le pays. J’ai pu y croiser de nombreux passionnés, échanger avec eux, voir des films, et même m’exercer à la caméra sur de petits tournages. Il n’existait à l’époque en Tunisie que des écoles de cinéma privées, très chères, mais je suis allée voir la directrice de l’une d’elles, l’Ecole des Arts et du Cinéma de Tunis (EDAC), qui a bien voulu m’accepter gratuitement en échange d’une promesse de publicité si je venais à être connue. J’ai réalisé trois films pendant mes deux années de scolarité.
En 2004, je suis venue à Paris, où j’ai intégré l’Université d’été de la Fémis, qui est ouverte aux réalisateurs des pays du Sud, pour réaliser un exercice documentaire avec une journée de tournage et deux jours de montage. L’année suivante, j’ai prolongé cette formation en suivant l’Atelier scénario que la Fémis a mis en place dans le cadre de la formation continue. J’y ai écrit un projet de long métrage, « La cité de plomb », un huis-clos qui se déroule dans un lycée tunisien et qui est toujours en développement. Entretemps, j’ai réalisé un court métrage de fiction, « Moi, ma sœur et la chose », qui raconte l’histoire d’un petit garçon dont la sœur va se marier et qui va faire « la chose ». Il est terrifié et fait tout pour saboter le mariage. Le film a été sélectionné dans plusieurs festivals, dont celui de Carthage en Tunisie.
« Les imams vont à l’école » est né après avoir vu à la télévision, en 2007, un reportage sur l’ouverture à Paris d’une formation sur la laïcité et l’Islam pour de futurs imams. Ayant vécu dans un pays musulman avec des velléités de laïcisation, j’ai grandi dans la culture arabo-musulmane tout en étant nourrie de culture française. Avant moi, mon père est venu travailler en France dans les années soixante-dix comme ouvrier dans les usines automobiles puis il est retourné au pays, où il s’est lancé dans la fabrication de mobilier scolaire pour finir par écrire des romans.
Cette double culture me permet de connaître les clichés des uns sur les autres. J’ai toujours été fascinée par l’histoire de France et en particulier par le retournement contre le clergé, qui a permis de mettre la religion à sa juste place. Etant moi-même issue d’une famille musulmane pratiquante, je rêve d’un monde arabe où la croyance des uns et des autres resterait dans la sphère privée et où l’Etat serait pour tous mais la laïcité, souvent associée à l’athéisme, y a mauvaise presse, sans parler de l’islam politique et des Frères musulmans, qui la jugent incompatible avec la religion.
Je suis donc allée à la Mosquée de Paris et j’y ai rencontré le responsable de la formation théologique, qui a donné son accord au projet. Je suis venue assister aux cours durant six mois sans filmer, ce qui m’a permis d’effectuer les premiers repérages et de faire un premier « casting ». La formation aurait dû être assurée en partenariat avec une université française mais celle-ci a finalement refusé, paradoxalement au nom de la laïcité, et c’est l’Institut catholique qui s’est proposé pour accueillir la formation dans ses locaux. Au départ, le responsable de la formation, Olivier Bobineau, ne voulait pas d’un regard extérieur mais je lui ai expliqué ma démarche, fondée sur une approche dans la durée et à l’opposé de tout sensationnalisme, et il a finalement donné son accord. Je voulais filmer la formation théologique en parallèle avec la formation à la laïcité, l’idée du film était de suivre ces apprentis imams tout au long de leur formation et de rendre compte de leurs tiraillements et de leurs évolutions.
Lorsque j’ai commencé à écrire le scénario, une rumeur persistante dans la promotion disait qu’elle serait la dernière. Il y avait donc urgence et j’ai monté ma propre société de production, Who’z prod, pour produire le film. J’ai obtenu en 2008 l’aide à l’écriture du CNC (Fonds d’aide à l’innovation audiovisuelle), d’un montant de 7000€. J’ai ensuite développé le scénario qui a été sélectionné pour un fonds d’aide à Dubaï destiné à de jeunes réalisateurs arabes. La chaîne Al Arabya News, concurrente d’Al Jazeera, a coproduit le film à hauteur de 15 000$ (environ 10 000€) et détient les droits du film pour le Middle East (Moyen Orient et Maghreb).
J’aime beaucoup écrire les documentaires comme s’il s’agissait de fiction, en imaginant les séquences dans leur continuité, ce me permet de construire des hypothèses pour le tournage, et je savais que le film se terminerait par l’examen oral des imams. J’ai commencé à travailler avec le chef opérateur Walid Mattar et ensuite avec Denis Gravouil, qui avait fait l’image du documentaire « Welcome Europa » et qui nous a rejoint pour la deuxième semaine du tournage.
A la rentrée 2008, j’ai appris que la Mosquée de Paris ne voulait plus que je filme les cours et me proposait de filmer seulement la remise des diplômes. Je suis finalement arrivée à les convaincre de revenir sur leur décision, mais je savais que j’étais seulement tolérée. Il fallait me faire discrète et il n’était pas question, par exemple, d’installer de lumière. Le dispositif prend acte de ces contraintes. Il s’agissait de poser un regard clinique, sur le mode du cinéma direct, sans intervenir ni mettre en scène les personnages.
Dans le film, il y a deux décors, la Mosquée et l’Institut catholique de Paris. Comme les salles de cours se ressemblent, Il fallait un point de repère pour distinguer les lieux. L’arbre qui est dans la cour de la Mosquée m’a servi de marqueur et dans l’Institut catholique, j’ai utilisé comme point de repère le couloir avec une statue de la vierge. Il y a eu beaucoup de rebondissements : certains ont très vite quitté la formation, alors qu’ils faisaient partie des personnages que je voulais suivre, d’autres n’ont plus souhaité être filmés alors qu’ils avaient accepté au début. J’ai dû diviser la salle de classe en deux pour laisser un espace hors caméra. Enfin, les imams sont des personnes réservées, mal à l’aise face à la caméra, un malaise aggravé par le regard souvent négatif porté sur l’Islam en France. J’ai donc fabriqué le film sur leur silence, en opposition avec la volubilité du directeur de la formation à l’Institut. J’ai également filmé les journalistes et le malaise que provoquait leur recherche de sensationnel.
Profitant des moments d’interruption du tournage, j’ai suivi une formation de coproduction internationale à Eurodoc, qui m’a permis de rencontrer des diffuseurs étrangers et de confronter avec eux mes choix artistiques. Finalement j’ai obtenu un pré-achat de la chaîne suisse TSR (8 500€) et le soutien du Festival International de Dubaï (20 000€), non sans avoir dû présenter un dossier en anglais, en français et en arabe avec un trailer. Le film a été achevé fin 2010 et est sélectionné pour l’instant au Festival international du documentaire d’Amsterdam (IDFA) et au Festival de Dubai.
(témoignage publié dans le guide des aides 2011)