J’ai occupé pas mal de postes avant de passer à la réalisation : assistant réalisateur, décorateur, machiniste, comédien… Ces connaissances sont utiles car elles permettent de mieux communiquer avec les techniciens afin de trouver l’alchimie permettant à l’équipe de s’impliquer dans le projet.
Mon premier film était un moyen-métrage de fiction sur un quartier populaire du Nord, Inch’allah. Pour le financer, j’ai créé une association qui m’a permis de trouver des subventions auprès des collectivités territoriales puis j’ai trouvé une société de production qui s’est associée au projet en tant que co-producteur. Ce premier film a été présenté dans de nombreux festivals et m’a aidé à faire le suivant. J’ai également suivi une formation aux Ateliers Varan où j’ai réalisé un documentaire sur le marché Saint-Pierre à Paris, La vie de Saint-Pierre.
J’alterne aujourd’hui projets personnels et commandes. Il y a peut-être deux douzaines de cinéastes documentaristes en France qui vivent correctement de leur métier, les autres doivent trouver des ressources complémentaires en travaillant sur des séries TV ou des magazines. J’interviens également dans le cadre du DESS Image et société à l’université d’Evry, dont l’enseignement touche à la fois le cinéma documentaire et la sociologie. En fin d’année chaque étudiant doit réaliser un court métrage documentaire que je suis de l’écriture jusqu’au montage. J’interviens aussi dans d’autres formations, notamment à Altermédia et à l’INA.
Au début j’étais très éloigné, sur le plan social, des milieux intellectuels et artistiques. J’ai dû construire seul mon propre réseau. J’ai fait des rencontres à travers les festivals, à partir de mes films et du travail que j’ai fait pour d’autres. Le pire pour quelqu’un qui voudrait devenir réalisateur, c’est d’attendre qu’on vienne le chercher. Ne parlons même pas de ceux qui perdent leur temps à envoyer des CV. Il faut aller au contact, rencontrer des gens, les relancer, en visant les professionnels qui ont du poids, leur montrer ce que l’on sait faire, proposer des projets, des idées… Cela demande de la persévérance mais comme le dit le proverbe africain, « Celui qui veut traverser la rivière, il n’hésite pas à se mouiller ».
L’étape de la recherche d’un producteur est difficile et il ne faut pas hésiter à en rencontrer plusieurs avant de faire un choix. Même si ce n’est pas son métier, il n’est pas inutile pour un réalisateur de connaître l’environnement économique dans lequel il travaille. L’obtention d’une aide à l’écriture, l’apport de contacts ou de pistes de financements peuvent faciliter la mise en production du projet. Les affinités et la confiance sont également importantes. Plusieurs stratégies sont possibles : faut-il tenter sa chance auprès d’un producteur bien connu des chaînes, au risque d’être un peu noyé dans la masse de projets, ou plutôt trouver un petit producteur, qui assurera un suivi plus personnalisé, mais qui n’a pas forcément les contacts avec les diffuseurs ? Car la véritable difficulté sera pour le producteur de trouver la chaîne qui déclenchera le financement du film et donc sa mise en route effective.
Il y a beaucoup de projets et peu de cases documentaires pour les accueillir. Les chances d’obtenir l’accord d’une grande chaîne sont donc minces, surtout pour un premier film. Mais il ne faut pas être bloqué par un refus, d’autres solutions sont possibles, en particulier avec les chaînes thématiques et locales, même si les financements qu’elles permettent de dégager sont très insuffisants. D’ailleurs, la majorité des documentaires sélectionnés dans les festivals sont aujourd’hui coproduits avec ce type de chaîne, confirmant la mise en place d’une économie à double vitesse.
Il y a de plus en plus de films qui oscillent entre documentaire, fiction et art vidéo. On ne peut admettre qu’autant de films restent dans les tiroirs à l’heure de l’explosion du DVD et des nouveaux circuits de diffusion dans les régions, les quartiers et les associations. De nouvelles façons de produire et de montrer les films naîtront peut-être de ce paysage inédit.
(Témoignage publié dans l’édition 2003 du Guide des Formations)