J’ai fait le Centre de Formation des Journalistes après une licence d’histoire. J’ai passé le concours d’entrée pour être JRI. La formation m’a appris à manier la caméra et à « écrire avec des images », mais aussi à acquérir des réflexes de journaliste. J’ai fait ensuite mon service militaire à l’ECPA (Etablissement Cinéma Photo des Armées), où de vieux briscards cameramen m’ont transmis leur expérience du métier en ce qui concerne la technique caméra.
Un bon JRI est avant tout un bon journaliste. Il doit saisir l’information sur le vif, capter l’événement, ce qui ne permet pas toujours de faire la meilleure image. Il lui faut trouver le compromis nécessaire entre la qualité de l’image et celle de l’information. La personnalité est essentielle, il faut être capable d’aller vers les gens, savoir leur parler et s’intégrer à leur milieu. Au début, le stress d’être seul responsable de son sujet est très lourd à porter, on se sent prisonnier de la technique et on a peur de ne pas faire de bonnes images, mais il ne faut pas se décourager. Si deux ans suffisent pour former un opérateur de prise de vues, il faut beaucoup d’expérience pour devenir un bon JRI. Il faut « bouffer » de l’image, se confronter à toutes les urgences possibles, ne jamais laisser passer l’occasion de prendre une caméra et de partir tourner. L’idéal, c’est France 3 pendant un an, en tournant un sujet par jour. Mais il ne faut pas se limiter aux grandes chaînes, si les places pour le JT de TF1 sont chères, il existe aussi des chaînes thématiques.
Les premiers JRI étaient d’anciens OPV (opérateurs de prise de vues) avec une carte de presse. Aujourd’hui, ils ont une formation de journalistes, mais souvent, à cause de l’organisation du travail dans les grandes chaînes, ils sont confinés au planning caméra, où ils sont plutôt prestataires du service image, sans véritables contacts avec les rédacteurs en chef journalistiques, sans avoir le choix de leur sujets ni de vrais retours sur leur travail. Dans d’autres chaînes qui n’ont pas beaucoup de moyens de production, le risque est de devenir l’homme à tout faire, sous prétexte de polyvalence, et de ne plus pouvoir progresser. Certaines chaînes fonctionnent comme ça. Il faut résister, veiller à ne pas se faire exploiter, se battre pour trouver sa place. Le JRI doit savoir s’il est un homme orchestre, un pion économique, ou s’il peut exercer son métier dans de bonnes conditions, dans l’échange et le dialogue avec un vrai rédacteur en chef journalistique.
Au bout d’un an et demi de pratique, lorsqu’on commence à maîtriser la caméra et le journalisme, il faut trouver sa place et savoir ce que l’on veut faire. Cela demande une forte culture de l’image et de la narration. Il faut voir beaucoup de films, de fictions et documentaires. Regarder, analyser, distinguer les différentes écritures pour trouver la sienne, loin des images formatées des news et du JT. Il faudrait aussi pouvoir être présent au montage, ce qui malheureusement ne se fait pas dans la plupart des chaînes. Le montage est un véritable cours du soir : voir comment on utilise ses images, visionner ses rushes, y voir ses manques, connaître ses erreurs pour pouvoir progresser. Un vrai JRI en magazine doit pouvoir monter ses propres images.
L’apport des outils numériques est colossal : du jour au lendemain, avec 5000 €, on peut disposer d’une caméra type PD150 et d’un outil de montage, ce qui veut dire que l’on peut apprendre à écrire avec des images plus facilement. Les organismes de formation, dont les intervenants viennent souvent des chaînes nationales hertziennes équipées avec du matériel haut de gamme, feraient mieux d’acheter un plus grand nombre de caméras légères plutôt que de s’équiper avec du gros matériel en quantité insuffisante.
En ce qui concerne la production, les choix sont différents : ce n’est pas tellement une question économique, car si les caméras légères permettent d’abaisser les coûts de tournage, les frais de post-production sont plus élevés. C’est par contre un assouplissement dans la manière de produire du journalisme audiovisuel, car on ne tourne pas de la même façon avec une Betacam et une PD150. Parfois, on peut passer là où on se ferait refouler avec une grosse caméra. L’important est d’avoir le choix de l’outil.
A CAPA, nous ne pouvons pas prendre le risque d’embaucher des néophytes. Je demande aux débutants qui sortent des écoles de repasser après un an et demi d’expérience. Il y a aussi de plus en plus de gens qui se lancent sans passer par les écoles. Certes, ils manquent souvent de méthodes, mais certains ont de vraies intentions, de vrais partis pris. Ce qui compte aussi, c’est la régularité : je préfère employer quelqu’un qui va pouvoir se tirer de toutes les situations en ramenant chaque jour un reportage, plutôt que quelqu’un qui fera quelque chose de très bon seulement s’il est inspiré.
(Témoignage publié dans l’édition 2003 du Guide des Formations)