« Jack, l’image d’un père » est d’abord une réponse à ma fille de trois ans, qui voulait savoir qui était son grand-père. J’ai essayé de lui répondre par un film construit à la manière d’un conte. J’avais moins l’espoir de retrouver ce père que je n’ai jamais connu que de rassembler tout ce que je savais sur lui et d’esquisser des pistes qui pourraient servir plus tard à ma fille.
J’ai fait l’école des Beaux arts à Marseille, où j’ai appris seul à travailler l’image et à bidouiller sur toutes sortes de format (16mm, Super 8, U-Matic). Par ma pratique du dessin, j’étais plus habitué à l’esquisse et à une démarche instinctive qu’à l’idée de construire un scénario. J’ai fait lire celui de « Jack » à des amis et je l’ai déposé à l’aide à l’écriture du CNC, que je n’ai pas eue, puis à « Brouillon d’un rêve » à la Scam, que j’ai obtenu (5500€). J’ai aussi postulé à une aide de la région PACA, que j’ai obtenue également (5000€). Mon ami Michel Dunan (chef opérateur du film) m’a présenté un jeune producteur, Philippe Djivas, qui montait sa société (Dynamo Production) et qui a aimé le projet.
Nous avons été sélectionnés à Lussas pour présenter le projet aux diffuseurs dans le cadre des Rencontres de Saint-Laurent. Même si ces rencontres ne se traduisent pas par un engagement financier, les diffuseurs jouent le jeu. Nous avons eu des contacts avec France 2 et Arte avant d’engager, après réécriture du scénario, une coproduction avec France 3 Méditerranée. Par la suite, la région PACA nous a accordé une aide à la production (25 000€) qui était d’autant plus bienvenue que les régions de France 3 ne donnent pas de numéraire.
J’ai commencé l’enquête filmée pour rechercher mon père, dont je ne connaissais que le prénom, Jack, et dont je savais seulement qu’il avait des origines anglo-indiennes. J’ai essayé de retrouver sa piste dans plusieurs pays. Dans le désert de Mauritanie, à la frontière du Sénégal, un ami m’a fait rencontrer un marabout qui disait avoir vu mon père en rêve, qu’il était vivant et que je devais partir en Inde pour le retrouver.
Avant de partir là-bas, j’ai commencé l’enquête à Paris et j’ai proposé à ma mère de revenir là où elle avait rencontré mon père, 40 ans plus tôt. C’était en 1966, sur le boulevard Pasteur, où il avait failli la renverser. Il lui avait raconté qu’il était figurant dans des westerns spaghettis et qu’il jouait des rôles d’Apache. Ma mère, intriguée par ma démarche, acceptait de participer à mon projet mais n’y trouvait aucun intérêt.
J’ai suivi la piste du western et je me suis documenté. J’ai ainsi appris que les Italiens n’avaient jamais fait jouer d’apaches dans leurs films, contrairement aux Allemands. Ils tournaient dans les années soixante ce qu’on a appelé des « western choucroute », dont le plus connu est « Winnetou ». Un festival se tient chaque année à Bad Segeberg et les fans de Winetou s’y retrouvent pour rejouer les meilleures scènes du film. Nous sommes parti tourner là-bas sur les traces des acteurs et musiciens de l’époque, espérant obtenir d’autres informations. La tâche était presque impossible car les figurants n’étaient pas inscrits au générique. Je me suis alors rendu à Londres pour rencontrer Derek Malcolm, un spécialiste du cinéma indien, et j’ai été pris sous l’aile d’un « père adoptif », par Stuart, un écrivain qui m’a encouragé dans ma démarche. Voulant en savoir plus sur la communauté anglo-indienne, d’où venait certainement mon père, je suis allé à Wembley où vit une très importante communauté venue de la province du Gujarat.
J’avais imaginé plusieurs fins possibles, selon que je retrouvais mon père ou non. Dans l’une de ces fins, je le retrouvais et je lui faisais tourner un film en Inde avant de lui dévoiler finalement que j’étais son fils. Le film se terminait par une fête en l’honneur du fils retrouvé. Je n’ai pas retrouvé mon père, mais j’ai mis en scène cette fin, filmée à la manière de Bollywood. Je suis parti avec mon équipe à Pondichéry, en Inde, et un producteur exécutif indien a trouvé un studio et des acteurs à Hyderabad. Ma fille m’aidait à faire le casting et éliminait les « pères » qui ne lui convenaient pas.
La scène finale, qui se déroule dans une atmosphère onirique, a été tournée entre deux pluies de mousson dans le jardin d’un palais merveilleux, avec des arbustes taillés en animaux. Il y avait une trentaine de figurants, une cantine, des cuisiniers, une trentaine de techniciens pour gérer les travellings, la lumière et la caméra 35mm. En Inde, les techniciens vont avec le matériel loué et il est impossible de faire sans eux.
Pour la postproduction, tout s’est fait dans la foulée et, deux semaines après la fin du tournage, nous attaquions le montage, avec Martine Armand, une très bonne monteuse de France 3 venue de la fiction TV. Le montage a duré cinq semaines.
Le film ne rentrait pas dans les grilles de programme de France 3 Méditerrannée et il a été diffusé un an plus tard, lors d’une nuit spéciale consacrée au documentaire. Il s’est passé un an entre le moment où il a été terminé et sa diffusion. Le film a aussi fait l’objet de projections à la Scam et au cinéma l’Alhambra, à Marseille, qui est partenaire de la Région, avant de circuler dans les petits festivals, comme Songe d’une nuit DV ou Quintessence au Bénin.
Ce premier film a été un long processus et un véritable parcours du combattant. J’envisage peut-être de faire maintenant une suite avec une adaptation fiction et le diffuser en salle. Je continue mon enquête et il n’est pas exclu que je finisse par retrouver mon père. Cela continue de nourrir mon imaginaire. J’écris actuellement une fiction avec des comédiens, qui explore toujours cette frontière du vrai et du faux.
(Témoignage publié dans l’édition 2009 du Guide des Aides)