Quand j’ai commencé à m’intéresser à l’animation, dans les années 60, il n’y avait pas de véritable formation. J’avais fait des études artistiques en dessin et en peinture et, comme tous ceux de ma génération, j’ai appris sur le tas. C’est seulement plus tard que l’école des Gobelins a ouvert une formation de techniciens pour le dessin animé. L’animation recouvre en fait des métiers très différents. Le court-métrage d’auteur est principalement financé par des aides (dont celles du CNC). L’auteur de court-métrage travaille souvent seul et sur des durées qui peuvent être très longues, parfois plusieurs années. Les films courts sont montrés principalement dans les festivals. Cette économie reste artisanale et n’a rien à voir avec celles du long-métrage d’animation ou des séries télévisées, qui relèvent d’une véritable industrie. En France l’animation à la télévision s’adresse à la jeunesse, presque exclusivement. Elle s’est considérablement développée à partir des années 80. Aujourd’hui, à de rares exceptions près, seule la conception est faite dans l’hexagone, et l’exécution est délocalisée soit en Europe de l’Est, soit en Asie, où les prix de revient sont très bas. Il en est résulté qu’une quantité non négligeable d’animateurs français (les plus doués) choisissent, pour pouvoir exercer leur art d’aller travailler dans les studios américains.
Il existe aujourd’hui de bonnes formations, en particulier l’école de la « Poudrière », qui présente l’originalité de former des réalisateurs, ce qui implique une formation probablement plus généraliste où la créativité doit jouer un rôle important.
La principale difficulté pour les formateurs est d’anticiper suffisamment les évolutions de la technique et du marché. Ceux qui entrent en formation aujourd’hui arriveront sur le marché du travail dans quatre ou cinq ans. Il ne faut pas perdre de vue que le savoir faire et le talent sont plus importants que les diplômes. Quand je réunis une équipe, je regarde d’abord le talent de chacun, pas les diplômes; il est facile de vérifier instantanément la qualité du dessin, le goût pour l’harmonie des couleurs par exemple. Celui qui est doté d’une culture artistique, qui est inventif, créatif et efficace, pourra toujours assimiler rapidement les contraintes techniques qui de toute façon évoluent sans cesse et très vite.
En France, près de 2000 personnes travaillent dans l’animation. La chaîne de travail est très spécialisée. Il faut y trouver sa place, tout en gardant une certaine polyvalence, de façon à pouvoir s’adapter. Les métiers de l’animation, sont caractérisés par une concurrence sévère et la précarité. Il faut être efficace et rapide. Ceux qui sont capables de s’adapter, de dessiner dans tous les styles, mangas, cartoons américains ou styles plus réalistes, ou atypiques, sont bien sûr très appréciés. Les autres doivent être très pointus dans leur spécialité, et savoir se rendre indispensables. J’ai le sentiment que les écoles ne mettent pas suffisamment l’accent sur cet aspect des choses. On dit parfois aux animateurs que de toute façon on aura besoin d’eux pour les jeux vidéos ! Beaucoup de formations appelées « multimédia » se sont ainsi créées autour du mythe des jeux vidéos, mais il y a finalement assez peu de débouchés. Qui plus est, l’animation y est très simplifiée et est déjà fréquemment délocalisée (en Russie par exemple.)
L’animation « traditionnelle » a été entièrement manuelle pendant près d’un siècle, le dessin était peint sur des feuilles transparentes en celluloïd. (les « cellulos »). Ces feuilles étaient placées sur un banc titre, et filmées avec une caméra montée sur crémaillère, les manipulations étant nombreuses et délicates. Un exemple éloquent : au pinceau on gouachait 30 ou 40 cellulos par jour, aujourd’hui avec la colorisation assistée par ordinateur, on va facilement 10 fois plus vite. C’est important si l’on pense qu’il y a 1500 images dans une minute de film !
Pour ce qui est des images de synthèse en 3D, les techniques évoluent très vite. Le travail qui incombe à l’animateur va subir la même évolution, naturellement. Ainsi aujourd’hui la « motion-capture » permet de transférer directement à un personnage virtuel les mouvements d’un acteur enregistrés grâce à des capteurs fixés sur son corps. Les coûts des machines baissent régulièrement, et leur capacité double tous les 18 mois. Ainsi des logiciels comme Flash, After-Effect et Photoshop sont des outils quasi professionnels, facilement accessibles. On peut dors et déjà imaginer que de petites équipes (sans doute inférieures à 10 personnes) pourront prendre en charge la fabrication d’un film pratiquement de A à Z, remettant en question la chaîne de travail classique.
(Témoignage publié dans l’édition 2003 du Guide des Formations)