Frédéric Sojcher, réalisateur*

Frédéric Sojcher, réalisateur*

Après la réalisation d’un un court métrage aux frontières du documentaire et de la fiction qui s’appelle « Fumeurs de charme », avec Serge Gainsbourg, Bernard Lavilliers et Michael Lonsdale, j’ai intégré l’INSAS à Bruxelles, dans la section « réalisation ». J’avais 18 ans.

L’Insas est la richesse du cinéma belge. Créée dans les années soixante sur le modèle de l’école de Lodz, c’est une école diversifiée dans ses enseignements mais fortement ancrée dans l’idée d’un cinéma d’auteur nourri d’une confrontation avec le réel. On y cultive les passerelles entre fiction et documentaire. C’est une école du cinéma « pauvre », ou en tout cas d’un cinéma fait avec des moyens modestes. J’ai été très marqué par le cinéaste André Delvaux, l’un des fondateurs de l’école. Pour lui, l’enseignement et la réalisation procédaient d’une même volonté de transmission et je m’inscris volontiers dans cette filiation.

Je suis ensuite venu à Paris pour préparer une thèse de doctorat sur l’histoire du cinéma belge, à l’université Paris I, tout en y intervenant comme chargé de TD. A côté des cours sur l’histoire du cinéma et la production, on enseignait le scénario et aussi le cinéma expérimental. Je me suis bien retrouvé dans cette ambiance même si je regrette un peu l’esprit de promotion qu’on avait à l’Insas, un esprit qui crée des liens qui perdureront tout au long du parcours professionnel.

Nous avons monté le Master professionnel de Paris 1 il y a deux ans avec l’idée d’aborder à la fois le scénario, la réalisation et la production, qui sont les trois piliers du cinéma. Notre approche fait une large place à la pratique et nous nous efforçons de construire des passerelles entre l’université et le monde professionnel, notamment grâce à des partenariats avec un producteur, Swan Films, avec Arte ou Ciné-Cinéma. Le droit d’auteur est la philosophie du cinéma français et la réalisation doit rester au cœur de la création ; c’est un combat dans lequel il ne faut jamais baisser la garde. C’est la métaphore du chef d’orchestre : les musiciens les plus merveilleux ne produiraient que de la cacophonie s’ils ne jouaient pas la même partition. Un grand réalisateur s’entoure de grands créateurs, mais il les met au service d’une seule vision. La réalisation, c’est la cohérence du regard.

Les étudiants du Master sont recrutés à Bac+4, à raison d’une vingtaine par promotion (250 candidatures). Nous choisissons des profils complémentaires et prêtons une grande attention aux expériences des candidats en dehors de l’université. Chaque étudiant écrit un projet personnel et le réalise. Outre les ateliers et les cours, nous organisons aussi de nombreuses rencontres professionnelles avec des réalisateurs, mais aussi avec des comédiens et des producteurs. Ces rencontres sont organisées autour d’un thème (les films à petit budget ou la direction d’acteurs par exemple) et font ensuite l’objet d’une publication aux éditions du Rocher.

Que peut-on attendre des études de cinéma ? Outre les grandes écoles, nous avons la chance d’avoir en France un très grand nombre de filières, et ce dans presque toutes les régions. Chacune d’elles a sa légitimité et tout dépend de l’adéquation entre l’objectif de l’étudiant et ce qui est proposé. Je remarque que presque tous nos étudiants trouvent du travail en sortant du Master, même si ce n’est pas forcément dans la création pure. Je suis plus réservé sur les écoles privées, non en raison de la qualité des enseignements, qui sont parfois très bons, mais plutôt à cause du coût des formations, certaines écoles ayant tendance à prendre le maximum d’inscriptions pour des raisons financières.

Parallèlement à mes activités d’enseignement, je continue à faire des films. J’ai fait une petite dizaine de courts métrages puis deux longs métrages, dont l’un, « Cinéastes à tout prix », raconte ce parcours du combattant que connaissent beaucoup de cinéastes décidés à faire un film sans moyens. Comme de juste, j’ai mis moi-même cinq ou six années à produire ce film et c’est seulement maintenant que j’arrive à trouver une certaine adéquation entre mes projets et mes moyens. La grande difficulté du cinéma, c’est que c’est une machine anthropophage. Il est difficile de faire un deuxième film si le premier n’a pas connu de succès critique ou commercial. C’est le système de l’entonnoir. Mais le cinéma n’est pas une science exacte et chaque parcours est un cas particulier. La seule règle est la persévérance, la pugnacité. Tout peut enrichir ce parcours, y compris l’expérience des autres. Il faut se cultiver, travailler, voyager, être curieux du monde et se nourrir de tout ce qui nous entoure. Il faut bien sûr avoir un désir de cinéma, cette maladie qu’est le désir du cinéma vécu comme une nécessité impérieuse, mais ce n’est pas suffisant ; il faut aussi parvenir à le transmettre et à utiliser tous les chemins qui s’offrent à vous.

*Responsable du master professionnel cinécréation (scénario, réalisation, production) à l’université Paris I
(Témoignage publié dans l’édition 2010 du Guide des Formations)