Mon attirance pour la création artistique s’est développée au lycée. J’aurais aimé après le bac faire les Arts décoratifs, mais je n’avais pas les moyens de financer mes études à Paris et je me suis résolu à suivre un cursus d’arts plastiques à l’Université de Rennes. J’en suis sorti plutôt insatisfait car la formation y restait très théorique. J’ai enseigné ensuite pendant deux ans les arts plastiques au Maroc, tout en travaillant un peu comme graphiste illustrateur, décorateur et animateur d’ateliers de création. J’ai continué ensuite à travailler comme illustrateur pour une collection de guides touristiques, maniant le pinceau en poils de martre rouge ou petit gris pour reproduire en aquarelle des menhirs et des maisons du Moyen Âge. Un ami m’a fait découvrir l’univers de la 3D en m’introduisant sur la préparation d’un long métrage du dessinateur Philippe Druillet, mais la production a été malheureusement interrompue et j’ai repris mes études par un troisième cycle professionnel de management culturel, finalisé par une étude sur l’émergence des technologies multimédia et ses conséquences pour la création et la diffusion.
Je me suis dans ce cadre intéressé au Centre International de Création Vidéo et multimédia que Pierre Bongiovanni avait fondé à Montbéliard. C’était un centre particulièrement innovant et précurseur. Nous étions alors en 1993, le « world wide web » comptait 130 sites ! Je suis resté six ans au CICV, d’abord comme responsable du développement régional puis comme directeur de la communication. J’ai participé à la mise en œuvre d’expositions ou de festivals multimédias artistiques internationaux. C’était une aventure magnifique, avec – et pour – des dizaines et des dizaines d’artistes…
En 2001, après avoir quitté le CICV qui connaissait des difficultés économiques, j’ai rencontré Alain Fleischer, le fondateur et directeur du Fresnoy, Studio national des arts contemporains, qui souhaitait développer la création numérique et m’a proposé un poste de coordinateur pédagogique pour la deuxième année d’études, qui lui est consacrée (la première étant dédiée cinéma et aux arts visuels).
Le Fresnoy est un lieu d’extrême exigence, au croisement des disciplines artistiques, où l’on se forme en faisant, sous la conduite d’artistes professeurs invités. Le projet du Fresnoy peut être résumé par cette phrase d’Alain Fleischer : « la recherche en art consisterait à entreprendre les fouilles autour de ce que la science et les techniques ont fait surgir ici ou là, pour d’autres usagers que les artistes, mais qui modifie radicalement l’ensemble du paysage, laissant sous la surface ce qu’il appartient aux artistes seuls de découvrir, pour peu qu’ils s’emparent des supports, qu’ils adaptent les outils ».
En seconde année, les étudiants du Fresnoy sont donc appelés à concevoir un projet faisant appel aux technologies numériques. Comme en première année, les artistes professeurs invités leur apportent expérience et conseils en dialoguant régulièrement avec eux tout au long de l’année, de la période d’écriture et d’élaboration du projet (octobre-novembre) à celle de sa production et de sa réalisation (janvier-mai) et jusqu’à sa présentation lors de l’exposition Panorama (juin-juillet). Ces projets peuvent concerner tous les supports : films, vidéos, installations vidéo, sonores et interactives, dispositifs électroniques, robotiques et numériques, spectacles multimedia… Les artistes invités doivent trouver une manière d’associer le groupe d’étudiants qu’ils accompagnent à la réalisation de leur propre projet, tandis que d’autres intervenants complètent ce compagnonnage artistique au niveau théorique, à l’occasion de conférences et de rencontres mais aussi d’ateliers/expertises dont le contenu est bâti en fonction des spécificités des projets. Ces intervenants font partie de l’équipe technique du Fresnoy (département son, département film et photo, département construction de décors, département informatique, département vidéo et synthèse) ou sont des collaborateurs techniques extérieurs, spécialistes dans leur domaine (traitement du son et de la vidéo en temps réel, compositing vidéo et image 3D, captation et interaction, robotique, électronique, réseaux, etc.). Les projets les plus innovants peuvent conduire à des partenariats avec des laboratoires de recherche, des universités, des écoles d’ingénieurs, des entreprises, des institutions ou des structures spécialisées, avec lesquelles nous avons développé depuis quelques années, et toujours dans ce souci de veille et d’investigation technique et artistique, différentes actions ponctuelles (Ircam/Paris, Khm/Cologne, Sat/Montréal, CECN Maubeuge…).
Il m’apparaît primordial lorsque l’on souhaite s’orienter vers le multimédia de se positionner sur un choix, technicien ou artiste, car de ce choix découlent des processus de formation très différents. Concernant les nombreuses formations existantes dans ce domaine et mis à part certaines écoles d’art, beaucoup me donnent l’impression d’être hyper spécialisées dans un secteur technique destiné au marché ; un certain sentiment de formatage s’en dégage. Peu se proposent de former de véritables créateurs, si tant est que cela soit possible ! Quand on parle de « création multimédia » on oublie souvent le mot « création » : la création véritable ne peut se réduire à un dispositif de virtuosité technologique et doit au contraire s’émanciper des règles et des conventions par un contenu original et singulier. De ce point de vue, les formations françaises ne sont sans doute pas les plus innovantes, ni les plus performantes au regard des formations anglo-saxonnes, qui sont plus globales.
Ce qui me semble à l’inverse passionnant et pertinent au Fresnoy, c’est justement le croisement des disciplines artistiques et des techniques entre elles, hybridées, réinterrogées, réadaptées à un contenu spécifique et au projet artistique. Comme en témoigne le spectacle vivant, qui est le lieu par excellence de convergence de différents medias, les projets numériques intéressants sont aujourd’hui des projets « en collectif », associant des compétences très diverses et parfois très éloignées les unes des autres : programmation, développement informatique, électronique, robotique, traitement numérique des images et des sons, sans oublier le travail de menuiserie, du métal et de la mécanique ! Les techniques traditionnelles, les technologies low tech comme les plus high tech peuvent être convoquées selon le projet. Il faut aussi ne pas dissocier l’utilisation des technologies de la réflexion théorique, de l’histoire des arts, de la littérature, du cinéma et la photographie, des arts plastiques, de la danse, du théâtre, de la performance, du graphisme ou encore du design… Tous ces arts ont une histoire à visiter, et ce particulièrement lorsque l’on travaille avec des techniques contemporaines ou émergentes.
(Témoignage publié dans l’édition 2010 du Guide des Formations)