Un bon scénariste doit aimer et savoir raconter des histoires, ce qui, contrairement à une idée reçue, n’est pas donné à tout le monde. Il faut être très curieux, être capable de s’intéresser à toutes sortes de sujets, d’expressions et d’anecdotes, de trouver matière à histoires dans la vie, la sienne et celle qui nous entoure. En général un scénariste est cultivé, il lit beaucoup et il a un point de vue sur le monde… Enfin c’est quelqu’un qui est capable de traduire sa pensée en situations dramatiques.
Je suis sortie de La Fémis il y a une dizaine d’années et j’y suis retournée comme intervenante. L’avantage majeur de la Fémis est de proposer un tronc commun permettant aux étudiants de toucher à tous les corps de métier. Deux films sont réalisés la première année, et on passe par tous les postes : production, image, montage, etc., ce qui permet un apprentissage des techniques, mais surtout l’acquisition d’un vocabulaire commun. C’est essentiel, car le scénariste n’écrit pas seulement pour un réalisateur et des acteurs, mais aussi pour l’image, le son, le montage ; son travail est déjà une réflexion sur la mise en scène. Si l’on n’est pas scénariste en sortant de la Fémis, on y a acquis les outils pour le devenir.
J’ai travaillé avec des étudiants en 3e année (section scénario) qui préparaient leur scénario de fin d’études (long-métrage). C’est un moment très difficile car c’est souvent la première fois qu’ils se livrent à un tel exercice : écrire un film de 90’, cela paraît énorme ! Ils sont confrontés à des choix dramaturgiques cruciaux, mais aussi au potentiel de leur histoire, dont ils n’ont pas toujours conscience, car cela demande de l’expérience. Ils croient souvent que les outils qu’on leur donne brident leur créativité, alors qu’il faut s’en servir pour la libérer.
Parmi les autres formations à l’écriture de scénario, le Conservatoire Européen d’Écriture Audiovisuelle est une école très intéressante. Elle a été fondée en 1996 à l’initative de la Guilde des scénaristes. La majorité des intervenants sont des scénaristes suffisamment passionnés par leur métier pour avoir envie de transmettre leur savoir à des débutants. C’est une démarche magnifique.
En France, un des effets de la Nouvelle vague fut la négation du scénariste au profit de l’auteur-réalisateur. Le scénariste n’existe pas dans la nomenclature des métiers établie par le CNC. Il est protégé par la loi sur le droit d’auteur, mais il est encore difficile dans la pratique de faire reconnaître son rôle et de faire respecter ses droits. Cependant, depuis une dizaine d’années, les scénaristes se sont organisés pour se défendre. L’Union-Guilde des scénaristes en regroupe environ 200, et est devenue un interlocuteur incontournable pour tous les partenaires : réalisateurs, producteurs, diffuseurs, institutions…
Cette reconnaissance passe aujourd’hui essentiellement par la télévision, où la très grande majorité des scénaristes gagnent leur vie (une dizaine seulement travaillent régulièrement pour le cinéma). Alors qu’au cinéma, en France, un film se monte sur le nom d’un réalisateur, à la télévision, c’est d’abord l’association producteur-scénariste qui préside au projet, le réalisateur venant seulement ensuite (et parfois trop tard…). La télévision est cependant loin d’être une panacée : d’abord parce qu’il n’y a que six chaînes susceptibles de coproduire des projets, ce qui réduit énormément les débouchés, ensuite parce que les « décideurs » sont multiples : producteur, responsable du développement, chargé de programme, directeur de la fiction, directeur des programmes… Tous ont un point de vue sur l’écriture, sur ce qui va marcher ou non, et ils ne sont pas forcément d’accord entre eux ! Il faut donc être à la fois souple et très solide pour résister, et faire passer les histoires que l’on veut raconter sans les trahir.
Je ne me souviens pas de ses termes exacts, mais Serge Daney a écrit quelque part que le scénariste est comme un griot moderne. Sa fonction, comme celle de tout raconteur d’histoires, est double : d’une part il doit éveiller les consciences, poser des questions, faire réfléchir, et d’autre part – momentanément bien sûr – il doit apaiser l’inquiétude de ceux qui écoutent son histoire. A la télévision surtout, les décideurs ne voient souvent que la fonction d’apaisement. On nous demande d’endormir un public de consommateurs, là où nous désirons toucher nos frères humains !
Mais le saviez-vous, l’anagramme de scénariste, c’est résistance…
(Témoignage publié dans l’édition 2003 du Guide des Formations)