J’ai l’habitude de dire qu’un bon distributeur connaît bien les salles et qu’un bon exploitant connaît bien la distribution. À la fémis, nous privilégions une pédagogie où les étudiants se forment à tous les aspects du métier mais vont également à la rencontre des professionnels en dehors de l’école. Le fondement de notre cursus est de former des jeunes étudiants (ils doivent avoir un Bac+3 pour passer le concours de la fémis) pour qu’ils occupent des postes de direction dans toutes les entreprises qui composent les secteurs de la distribution et de l’exploitation.
Nous sommes une école publique nous nous devons d’être ouvert aux grands circuits de distribution et aux salles Art et Essai les plus « pointues». Nos anciens étudiants distributeurs travaillent chez Warner et Universal mais aussi chez Shellac et Capricci, pour les exploitants, certains d’entre eux sont chez UGC ou dans le circuit Davoine mais aussi au Ciné 104 à Pantin, au Méliès de Montreuil. Les étudiants du département Distribution Exploitation se rendent ainsi chaque année aux festivals d’Angers, de Cannes, puis à Londres pour étudier les pratiques des diffuseurs à l’étranger et enfin en province (cette année dans l’agglomération lyonnaise) pour rencontrer des directeurs de petites, moyennes et grandes salles. Suivent des cours spécifiques à chaque département, la comptabilité, la gestion, le management pour les exploitants, la VOD, les ventes internationales, les SOFICA, les chaînes TV pour les distributeurs. Les étudiants ont ensuite cinq mois de stage à faire et doivent rédiger un mémoire sur une problématique professionnelle. Ce travail est sanctionné par un diplôme délivré par un jury composé de professionnels du secteur et d’un réalisateur. Tous nos anciens étudiants travaillent.
En 2008, poussés par le secteur professionnel (en particulier les cinémas Gaumont Pathé), nous avons également ouvert un cursus de formation continue pour des exploitants qui veulent évoluer dans leur métier, comme par exemple des adjoints qui souhaitent devenir directeurs de salle.
Les métiers de l’exploitation ont beaucoup changé en quelques années. J’ai participé au développement des salles municipales. Dans les années quatre-vingt, sous l’impulsion de l’État, de nombreuses municipalités ont ouvert ou réouvert des cinémas. La forte implication des collectivités territoriales dans l’exploitation est une particularité française. Cette action publique permet d’avoir une présence du cinéma en salle sur tout le territoire. J’ai été directeur d’un cinéma Art et Essai entre 1987 et 2007, à Tremblay-en-France, le Jacques Tati. Nous sommes passés d’un à trois écrans, avec près de 200 000 spectateurs par an.
Dans les années quatre-vingt-dix, l’apparition des multiplexes a fortement bouleversé la distribution et l’exploitation. Le nombre d’écrans s’est multiplié, l’offre de films s’est élargie, tout est allé beaucoup plus vite avec une très forte rotation des films à l’affiche. Lorsque j’ai débuté, il n’était pas rare qu’un film vive six mois sur les écrans, ce qui n’arrive plus. L’accès au film est devenu quasi immédiat avec un élargissement des plans de sorties, il est fréquent qu’un film sorte environ sur 800 écrans en sortie nationale.
Le changement majeur aujourd’hui est bien sûr le passage au numérique et la fin des projections en 35 mm. Le numérique est un formidable atout pour l’exploitation (3D, qualité des projections et du son) mais il ne faut pas que la salle de cinéma devienne une « grande télévision », l’animation, l’éditorialisation doivent être au cœur du métier d’exploitant. Aujourd’hui un cinéma doit être le contraire d’internet (un robinet à images sans critères ni hiérarchisation).
Les métiers de projectionniste ou de caissier tendent à disparaître avec la dématérialisation des billets. D’autres apparaissent autour de l’animation, de la communication. Aujourd’hui, le responsable technique d’un cinéma doit surtout avoir de bonnes connaissances en informatique.
Le public lui aussi évolue. L’augmentation de la fréquentation est spectaculaire avec 215 millions de spectateurs en 2011, contre 116 millions en 1992. Les spectateurs se soucient de l’accueil et attendent de bonnes conditions de projection ils sont plus cultivés et cinéphiles. Les directeurs de salle doivent s’adapter à cette demande.
Le secteur de l’exploitation est très dynamique en France aussi bien dans les grandes entreprises, Gaumont-Pathé, UGC, CGR que dans les cinémas Art et Essai et indépendants. Les investissements sont importants quelque soit la taille des cinémas. Le poids des salles s’est renforcé dans la diffusion des œuvres. La « sanction » de la fréquentation des cinémas est déterminante dans la vie d’un film même si aujourd’hui son financement se construit grâce à la télévision.
Pour conclure, la diffusion des films devient de plus en plus complexe et nécessite des professionnels formés. Le cursus de la fémis contribue pleinement au renouvellement des responsables de la distribution et de l’exploitation. Beaucoup de pays d’Europe (La Grande-Bretagne, l’Allemagne…) nous envient et souhaitent créer des formations similaires… c’est plutôt bon signe.
(Emmanuel Papillon est responsable du département distribution-exploitation de la Fémis)
(Témoignage publié dans l’édition 2012/2013 du Guide des Formations)