Emilie Aussel, Réalisatrice de « L’Ignorance invincible » (22’, 2009)

Emilie Aussel, Réalisatrice de « L’Ignorance invincible » (22’, 2009)

J’ai commencé à faire de petits films en vidéo au cours de mes études aux Beaux-Arts à Montpellier puis à la Villa Arson, à Nice, dont je suis sortie en 2003. Dans le cadre d’une commande pour « An European film project with all members of the New Europe », j’ai réalisé en 2004 mon premier film en Super 16, « Scrubbing », un court métrage de 7’ tourné dans une gare de province en République Tchèque, qui a remporté plusieurs Prix dans des festivals aux Etats-Unis.

Je suis ensuite entrée au Fresnoy, Studio national des arts contemporains, à Tourcoing, où j’ai réalisé un autre court métrage en Super 16, « Pris au souffle ». C’est un film qui cherche à dépeindre les relations entre trois personnes, au sein d’un espace immense et désertique. Toujours au Fresnoy, j’ai créé ensuite une installation pour trois écrans intitulée « Blade Affection », dans laquelle le spectateur est invité à circuler entre un film, une installation vidéo et une performance. Puis, à la sortie du Fresnoy en 2006, j’ai bénéficié d’une résidence à la Cité des Arts à Paris et de l’aide Image/Mouvement du CNAP, pour travailler à un scénario de long métrage, un projet qui s’est révélé complexe et que j’ai dû laisser en chantier.

Afin de sortir de ce travail éprouvant, j’ai écrit « L’Ignorance invincible », sous la forme d’une courte nouvelle qui a servi de base au scénario. Elle raconte l’histoire de deux hommes qui s’installent dans une maison inoccupée sur les hauteurs de Marseille et qui découvrent en l’explorant le journal enregistré sur cassette d’une adolescente. Elle y raconte ses émois, ses virées avec sa bande de copains et l’étrange jeu du silence auquel le groupe s’est livré. À un moment du récit, les jeunes se retrouvent dans une forêt et s’adonnent à un rituel cruel qui les fera sortir de leur silence. C’est un film sur l’adolescence et la circulation problématique de la parole, qui cesse dans le groupe pour revenir sous la forme de cette voix off enregistrée et réécoutée par deux inconnus, lesquels en deviennent ainsi les dépositaires.

Le film dure 22’ et a été tourné en 16 mm, puis gonflé en 35 mm. J’ai fait une demande d’aide individuelle à la création auprès de la DRAC Languedoc-Roussillon, laquelle m’a accordé 3500€ pour poursuivre mes recherches. J’ai également bénéficié d’une bourse d’aide à la création de la Région Languedoc-Roussillon (5000€) pour un autre projet d’installation vidéo que j’ai réinvesti pour ce film.

A partir de cette nouvelle, j’ai écrit un scénario que j’ai déposé au GREC, qui a accepté d’aider le projet à hauteur de 16 000€. Cette somme me paraissait cependant insuffisante pour réaliser mon projet et je voulais un soutien de la Région PACA. Mon chef opérateur, Nicolas Guicheteau m’a alors conseillé de rencontrer Thomas Ordonneau, de Shellac, société de distribution et de production basée à Marseille, qui est entré en coproduction. Shellac a obtenu une aide à la production de la Région PACA, qui nous a accordé 25 000€, ce qui est vraiment une chance car la Région aide peu de courts métrages. En principe, la direction de production des films produits par le GREC est directement assurée par l’auteur, mais dans ce cas, c’est Shellac qui a pris en charge la préparation, le casting et le tournage, le GREC s’occupant surtout de la post-production. Comme j’allais sur mes 30 ans, j’ai également postulé à la bourse Défi-jeunes, qui a malheureusement disparu en 2011. Je l’ai obtenue et nous avons ainsi réuni un budget de 47 000€.

Dans l’ensemble, le tournage a vraiment été un moment très agréable. J’étais entouré de gens en qui j’avais confiance et les jeunes amenaient entre les prises une dynamique et une légèreté qui faisaient du bien à tous. La seule source d’inquiétude était la quantité de pellicule dont on disposait, qui était vraiment juste et qui m’a obligée à revoir parfois le découpage, en faisant un plan là où j’en avais prévu trois. Au terme de la semaine de tournage, il nous restait une bobine de 12’.

Durant mon parcours, j’ai longtemps hésité entre l’art contemporain et le cinéma et j’ai mis du temps à situer mon travail. Les narrations que j’avais réalisées précédemment relevaient davantage d’une ambiance que d’un récit. Ce film s’est par contre tout de suite ancré dans une veine plus cinématographique. Il garde cependant les traces d’une esthétique marquée par l’art contemporain dans le son, les décors, les objets, le choix des corps et le soin minutieux que j’apporte à leur choix.

A la fin de ce projet, j’ai commencé à écrire un nouveau film. J’avais envie de prolonger des pistes que j’avais abordées dans « l’Ignorance invincible » comme le besoin d’appartenir à une communauté et la quête de sentiments collectifs au sortir de l’adolescence, mais je voulais encore ancrer davantage le film dans le cinéma, avec des personnages plus incarnés et plus de dialogues. J’ai passé du temps avec certains des jeunes qui ont joué dans « L’Ignorance Invincible » et j’ai nourri ma fiction de leur vie réelle, de leurs histoires et des lieux qu’ils fréquentent. Ce film, qui est encore actuellement en développement, s’appelle « Do you believe in rapture? » (Croyez-vous à l’extase ?) et est à nouveau produit par Shellac.

(témoignage publié dans le guide des aides 2011)