Il y a quelques années, le Conservatoire européen d’écriture audiovisuelle organisait à la Sorbonne un séminaire pour présenter son enseignement et ses différents partenaires européens, en Espagne, aux Pays-Bas et en Allemagne. Chacun justifiait son existence par l’absence de bon scénaristes européens, citant le contre-exemple américain. Selon eux, les européens ne savaient faire que du film d’auteur, informe et mal construit, n’attirant qu’un public confidentiel. L’avantage de leurs écoles étant d’avoir créé des équipes pédagogiques constituées de scénaristes « professionnels ». Ce qui sous-entend qu’être scénariste est bien une profession, alors qu’officiellement la réalité est autre : nous n’avons pas (encore) de statut, nous ne sommes mentionnés en aucune manière dans le code du travail…
A partir de quel moment peut-on considérer qu’un scénariste est « professionnel » ? Quelles écoles, ou quels ateliers recommander, alors que la formation « sur le tas » est, à l’heure actuelle, la plus largement pratiquée et la mieux considérée par nos employeurs ? On assiste à une volonté d’institutionnaliser cette formation « sur le tas ». Cependant, les limites de ces initiatives ne résident-elles pas au dos des cartes qu’elles nous présentent comme atouts ? En effet, les scénaristes qui travaillent actuellement pour la télévision sont bien placés pour savoir que toutes les règles qu’on leur impose, dictées essentiellement par un désir de captation d’audience, limitent la création artistique, et que l’innovation vient trop souvent d’outre-Atlantique… L’employé du diffuseur, mal à l’aise sur son siège éjectable, préfère reproduire des films à succès américains, plutôt que de risquer sa place en misant sur l’imaginaire de ses « auteurs ». Quant au spectateur de télévision, il a souvent la curieuse impression de regarder tous les soirs le même film. Les films de cinéma n’échappent pas toujours à ce carcan : beaucoup de films français sollicitent la participation financière d’une chaîne de télévision, dont le souci est alors de juger si le futur film est visible par un large public/diffusable au meilleur créneau horaire. Et pourtant, le public apprécie aussi des films qui surprennent, dont l’issue n’est pas prévisible, où la présence de tel personnage ou de tel élément n’est pas toujours calculée pour annoncer ou justifier une scène future, mais qui sont peut-être tout simplement beaux, ou qui suscitent chez le spectateur un écho, poétique ou hypnotique. Les règles scénaristiques n’existent-elles pas pour être mieux brisées ?
Faut-il faire former des scénaristes par d’autres scénaristes déjà asservis aux contraintes du métier ? L’école ne doit-elle pas être un lieu qui favorise l’épanouissement des possibilités artistiques ? Doit-il y avoir une formation spécifique pour les scénaristes de cinéma, bien différente de celle des scénaristes de fiction ? Le débat mérite d’être ouvert.
(Témoignage publié dans l’édition 2001 du Guide des Formations)