“Depuis qu’Otar est parti…” Julie Bertuccelli (1h42’, 2003)

“Depuis qu’Otar est parti…” Julie Bertuccelli (1h42’, 2003)

Avant ce premier long-métrage, j’ai fait des documentaires mais j’ai aussi longtemps travaillé comme assistante à la mise en scène avec des cinéastes comme Otar Iosseliani, Krzysztof Kieslowski, Bertrand Tavernier, Emmanuel Finkiel ou Rithy Pahn. Mon père était lui-même réalisateur. Je connaissais donc déjà le monde de la fiction, même si je n’ai jamais fait de court-métrage. Plutôt que de préparer les concours des écoles de cinéma, j’avais préféré faire des études de philosophie avant de commencer à travailler sur le « tas ». Puis, pendant que j’étais assistante, j’ai suivi la formation des ateliers Varan (d’initiation à la réalisation de documentaire). J’ai développé ensuite des projets documentaires en continuant l’assistanat, jusqu’au moment où j’ai commencé à pouvoir vivre de mes propres films.

Le documentaire me passionne, choisir les personnages, mettre en place les circonstances, un procédé et une distance juste pour les observer et faire confiance à son propre regard. Mais l’histoire que je voulais raconter – qui s’inspire d’une histoire vraie racontée par une amie – était trop intime pour faire l’objet d’un documentaire. Je me suis donc lancée dans une autre forme de narration. La fiction était un rêve d’adolescente, mais je crois que j’avais besoin d’observer le monde avant de pouvoir raconter des choses plus personnelles.

Je suis allée voir une amie productrice, Yaël Fogiel (les Films du Poisson), qui avait produit « Voyages » d’Emmanuel Finkiel. L’idée lui a plu, et elle m’a demandé quelques pages de présentation. Avec le scénariste Bernard Renucci, avec lequel j’avais déjà travaillé notamment sur le feuilleton documentaire « Bienvenue au grand magasin », nous avons écrit une dizaine de feuillets.

La productrice a obtenu avec ce premier document l’aide au développement du CNC (30 000€), qui a surtout permis de payer le scénariste. Nous avons travaillé deux ans sur le scénario, en le réécrivant sans cesse et avec de multiples allers-retours avec la productrice. L’écriture était d’autant plus difficile qu’il s’agissait d’un premier long métrage. J’ai continué pendant cette période à faire des documentaires.

Nous avons obtenu également l’aide à l’écriture au premier long métrage proposée par l’APCVL, d’un montant total de 15 000€. C’est une aide en trois étapes – aide au traitement, aide à la première version puis aide à la réécriture – qui, contrairement à d’autres, ne concerne pas uniquement les projets en région. De plus, la commission, animée par une équipe formidable, accompagne réellement les projets à chaque étape de l’écriture.

L’aide de l’APCVL nous a permis de partir en Géorgie pour approfondir l’écriture et le scénariste a pu découvrir le pays. Je le connaissais déjà pour y avoir fait un film avec Otar Iosseliani. Nous en sommes revenus avec de nombreuses idées de scènes mais beaucoup ont été abandonnées ultérieurement. Je ne souhaitais pas faire un film exhaustif sur la Géorgie ou sombrer dans l’exotisme.
Après deux ans d’écriture, le scénario était enfin prêt à être déposé à l’Avance sur recettes, que nous avons obtenue du premier coup (380 000€, récupération 30% sur fonds de soutien) Nous avons eu également le Grand Prix du meilleur scénariste (6 000€) et la Fondation Beaumarchais (3 800€). Le festival Premiers plans d’Angers, qui organise des lectures de scénarios par des comédiens professionnels, l’a sélectionné. J’ai eu également l’aide d’Emergence, qui propose chaque année à une dizaine d’auteurs de se retrouver en résidence dans le Midi pendant trois semaines, durant lesquelles l’auteur choisit deux scènes de son scénario pour les tourner en vidéo avec de jeunes techniciens et comédiens. J’ai choisi de tourner les scènes de lecture des lettres, les plus difficiles à filmer. Les responsables d’Emergence proposent aux réalisateurs de choisir un parrain, et j’ai demandé à Emmanuel Finkiel de tenir ce rôle.

Toutes ces aides m’ont donné l’occasion de confronter le scénario à de nouveaux regards et j’ai pu constater qu’il y avait encore du travail, le scénario était encore trop long. J’ai continué à écrire seule, puis j’ai demandé à un autre scénariste, Roger Bohbot, de m’aider à y apporter un dernier remaniement.

Canal+ (450 000€, 10 % recettes) et Arte (380 000€, coproduction 20% recettes et fond de soutien) ont alors confirmé leur accord pour entrer dans la production (Les Films du poisson mettant leur fonds de soutien, 80 000€). Un distributeur (Haut et Court) a pris contact avec la productrice (60 000€ de minimum garanti), laquelle a trouvé simultanément un vendeur international (Celluloid dreams, 75 000€ de minimum garanti), et une coproduction en Belgique (Entre chien et loup) qui ont apporté l’aide du CNC belge (150 000€, 3% recette) un distributeur Benelux ABC (40 000€, minimum garanti). et le préachat de la télévision belge (15 000€). L’aide européenne s’est aussi jointe au montage financier via Eurimages, (230 000€). La productrice a pu participer également à l’atelier de cinéma européen (ACE), un stage de 10 jours autour du film avec des professionnels européens (suivi du scénario et du montage financier, contacts avec tout un réseau de producteurs européens). Le budget total de fabrication du film était de 2 100 000€.

Nous avons pu alors commencer la pré-préparation et partir en repérage, avec la productrice, la directrice de production géorgienne, le chef opérateur, les responsables du casting et de la déco à la recherche des deux décors principaux, l’appartement à Tbilissi et la maison de campagne.

Le casting a commencé en janvier 2002. A la mi-juin, je suis allée m’installer en Géorgie où nous avons achevé la préparation fin août. Simultanément, il a fallu lancer la préparation de la deuxième partie du tournage à Paris. On a tourné en septembre et en octobre en Géorgie puis début novembre à Paris, le tournage se faisant à peu près dans l’ordre chronologique du film. Les rushes étaient développés à Paris et la monteuse les voyait avant que nous les récupérions en vidéo. Emmanuel Finkiel les voyait également et jouait un peu le rôle d’un conseiller artistique.

Nous continuions durant le tournage à modifier des scènes et à réécrire des dialogues. C’est un film sur les non-dits, et il fallait supprimer des dialogues, ménager des silences pour faire passer les émotions. C’est un film qui tient sur un fil. Je ne voulais pas faire une comédie à suspense autour des quiproquos suscités par un mensonge, mais m’attacher à l’histoire de ces trois femmes et montrer la façon dont elles et leurs relations évoluent. Il fallait que l’on puisse s’attacher à chacune d’elles, qu’elles soient au même niveau, et ce tout au long du film, ce qui n’était pas évident au montage, tout en gardant présent les thèmes de l’exil, de la fin du communisme, des rapports mère-fille, de ce que veut dire devenir une femme…

La monteuse, Emmanuelle Castro, a commencé à travailler seule, et a pu me présenter un début de film lors de mon retour à Paris en novembre. On a monté ensuite ensemble durant quatre mois. La post-production a été achevée à Bruxelles à la veille du festival de Cannes, qui l’avait sélectionné sur copie de travail.

Le film a eu deux Prix à Cannes et le César du premier film. Depuis, il a été vendu dans 20 pays, ce qui est assez exceptionnel pour un premier long métrage. Il a rencontré un bon accueil critique et marche assez bien en salles (plus de 170 000 entrées Paris-Province au début de l’année 2004). Il circule aussi dans de nombreux festivals aux quatre coins du monde, où il a déjà obtenu pas mal de Prix. Ce succès implique un travail de promotion considérable. Depuis la sortie, je suis allée le présenter dans vingt-cinq villes, dans de nombreux festivals étrangers, sans parler des rencontres avec les journalistes. Ce travail, d’au moins 6 mois, qui il faut le préciser n’est pas rémunéré, est assez épuisant. Les sorties et promotions à l’étranger vont encore s’étaler sur un an.

Je n’ai pas oublié ma passion pour le documentaire. D’ailleurs, mon prochain film sera un portrait d’Otar Iosseliani, pour la série Cinéastes de notre temps.

(Témoignage publié dans l’édition 2004 du Guide des Aides)