En 2008, j’ai monté avec un associé, Voto, une société de production: Vidéotor Films. Avant de devenir auteurs-réalisateurs-producteurs, nous étions tous deux journalistes dans la presse magazine pour enfants et adolescents, moi comme rédactrice en chef et lui comme directeur artistique. Produire nous-mêmes nos films nous donnait une plus grande liberté en évitant que nos discours ne soient changés à la guise d’un diffuseur ou d’un producteur.
Nous avions alors commencé à filmer un de nos amis, Jean Le Bitoux, qui était une figure emblématique des luttes homosexuelles. Il avait notamment participé à la création du FHAR (Front homosexuel d’action révolutionnaire) en 1971, puis fondé en 1979 le journal Le Gai Pied. Jean était malade et nous l’avons filmé durant les deux dernières années de sa vie. Au début, nous filmions sans avoir rien écrit et sans savoir où cela allait nous mener, à l’instinct pur, pour capter son image, sa parole, et garder une trace de son engagement, notamment de son combat pour la reconnaissance de la déportation des homosexuels et de sa lutte contre le sida.
C’est sous son impulsion que nous avons décidé d’en faire un film avec l’idée de montrer, à travers la vie d’un militant, l’histoire des luttes homosexuelles en France depuis l’après-guerre. C’est Jean qui nous en a proposé le titre, Le Gai tapant, que lui avait suggéré Michel Foucault à la création du Gai Pied. Jean est mort en 2010 et nous avons monté nous-mêmes le film, de façon quasi expérimentale. Il dure 54′ et a été sélectionné au Festival Gay de Paris et au festival Chéries, chéris au Forum des images, où il a reçu le Prix du documentaire, ce qui a eu pour conséquence son achat et sa diffusion par Pink TV. Il a été également édité en DVD par Epicentre Films.
Notre deuxième film documentaire, Histoire(s) d’homos, a été réalisé par Sylvain Bergère. À la différence du film précédent, nous en avons écrit le scénario, en nous appuyant sur l’éclairage de l’historien Daniel Borillo. Nous visions une diffusion sur une chaîne hertzienne et il est plus facile de défendre son point de vue avec un projet très écrit et référencé. C’est un film riche en archives, qui est illustré par six destins d’homosexuels âgés de 22 à 98 ans, et qui raconte l’histoire des gays en France depuis 1945, en marge de l’histoire nationale. Les personnages ne sont pas des militants, ils racontent leur histoire intime et les obstacles auxquels ils ont été confrontés. Le film est passé sur France 3, dans la case Docs interdits, puis sur France 4 et a eu une audience qui allait au-delà de la seule communauté homosexuelle, ce qui nous importait beaucoup.
Après ce documentaire entièrement dédié aux luttes des hommes, nous avons décidé de consacrer nos prochains films aux femmes, avec deux nouveaux projets, toujours à base de témoignages et de documents d’archives: l’un sur l’adolescence au féminin et la prise de conscience féministe, intitulé provisoirement «Debout les filles!» et l’autre sur l’histoire des luttes des femmes homosexuelles.
Pour «Debout les filles!», je bénéficie depuis janvier 2013 de l’aide à l’écriture de scénario de la région Ile-de-France. Ce nouveau dispositif, construit sur le principe de la résidence, accorde pendant neuf mois aux auteurs lauréats une bourse pour l’écriture d’un scénario qui s’inscrit dans un projet culturel, au sein d’une structure d’accueil francilienne. En échange, l’auteur s’engage à mettre en place des actions pour partager son travail de création avec le public durant la durée de la résidence. C’est le Centre Simone de Beauvoir, à Paris, qui m’accueille. Je profite de leur incroyable fonds d’archives pour préparer le contenu historique du film et faire réagir les adolescentes que je rencontre aux images des luttes féministes depuis 1971. Le Centre me permet d’entrer en contact avec de nombreux organismes dont la mission est d’accompagner les jeunes.
Comme il n’était pas possible de demander la résidence avec un co-auteur, je l’ai demandée seule mais le film sera coréalisé avec Voto. À l’heure où ce témoignage est recueilli, le projet est toujours en phase d’écriture. L’intérêt du film tiendra à la qualité des témoignages des adolescentes choisies. Une grande partie de mon travail depuis plusieurs mois est de partir à leur recherche, dans des milieux sociaux, culturels et géographiques divers. J’ai déjà rencontré des dizaines de filles par le biais de collèges et de lycées mais aussi de centres sociaux, sportifs et culturels. Nous cherchons des adolescentes (entre 14 et 17 ans) sensibles aux inégalités entre les femmes et les hommes. Des filles qui ont envie de témoigner d’un monde où elles estiment qu’être une fille comporte des inconvénients et parfois même des dangers.
J’ai une démarche de recherche assez instinctive. Il m’arrive d’aborder des filles croisées dans la rue ou chez Mc Do pour les questionner. Je perçois chaque film comme une musique. Je ne connais pas encore toutes les filles qui seront présentes dans mon documentaire, mais je sais la musique qui se dégagera du film. Elle me permet de sentir assez rapidement qui pourra ou non s’inscrire dans ce rythme.
(Témoignage publié dans l’édition 2013/2014 du Guide des Aides)