Cela fait déjà vingt ans que je fréquente la postproduction. Mon arrivée s’y est faite par la musique. Bassiste, j’ai commencé par des groupes de rock, puis j’ai joué en studio et sur scène comme accompagnateur. Je composais des chansons et aussi des musiques pour des films institutionnels.
J’ai vu arriver la révolution du numérique dans les studios, dans les années 80. C’est le moment où j’ai bifurqué et où je suis passé aux images. Le montage me paraissant être le centre de la question du cinéma, j’ai suivi une formation complète à Gobelins, l’école de l’image : montage cut, montage multi-machines et MediaComposer Avid, qui venait alors d’apparaître sur le marché.
Le montage virtuel était à l’époque une « expérience ». Peu de monteurs vidéo y ont cru. Les monteurs de cinéma, déjà plus… Moi, j’ai vu dans cette évolution une chance à ne pas rater. J’y avais gagné le surnom d’« Informaticien », mais je pensais que pour un jeune monteur, les nouvelles technologies ouvraient des portes d’accès au métier. Je le crois encore : l’évolution rapide des techniques est une chance pour qui sait la prendre au vol et la veille technologique une obligation.
Connaître Avid m’a permis d’intégrer des agences de communication, et d’y rationaliser la postproduction. Pendant ce temps, je continuais à composer, et commençais à scénariser et à faire des films de commande. C’était vers 1992.
Lors de mon passage à Gobelins, l’école de l’image, le responsable de la Formation Continue, rencontré fortuitement lors d’une journée portes ouvertes, m’avait proposé de venir y transmettre mon expérience. En 1993, mes premières interventions comme enseignant m’ont ouvert les yeux sur l’importance d’une pédagogie adaptée, seul moyen de préserver ce que la création audiovisuelle a de particulier et de permettre aux créateurs de s’épanouir dans leur activité. J’ai donc vite privilégié la pédagogie, tout en montant les films du réalisateur vénézuélien Miguel Curiel.
En 1996, on m’a demandé de refondre le stage de montage pour en faire une formation mieux adaptée au nouveau marché du travail. Nous avons développé l’apprentissage de plusieurs logiciels et renforcé l’enseignement de la narration. Ce fut un vif succès, tant au niveau des stagiaires, qui ont presque tous travaillé dès la fin de leur formation, que des organismes de financement ou des entreprises. Les grands institutionnels ont depuis cette époque pirs l’habitude de faire former leur personnel dans notre école.
En 2000 et jusqu’en 2004, j’ai pris la responsabilité de l’ensemble du département vidéo. Nous y avons précisé la définition des métiers, redéfini les tâches et responsabilités de chaque poste, et adapté l’enseignement en insistant sur la narration et la méthodologie, de façon à imposer des bases saines pour le développement ultérieur des stagiaires. Nous avons systématiquement suivi l’évolution technologique (un cadreur touche sept modèles de caméras en deux mois et un monteur connaît au moins deux logiciels de montage) et mis en place un système de validation des acquis, afin que chaque participant puisse mesurer l’apprentissage effectué pendant sa formation.
En 2004, j’ai demandé à reprendre l’enseignement du montage et ouvert des partenariats techniques, en tissant des relations spécifiques avec les éditeurs de logiciels et les fabricants de matériels comme Avid, Nikon, Canon ou Panasonic et en proposant des stages spécifiques au plus près des problématiques de terrain.
Connaître un logiciel de montage n’est rien, même s’il est complexe. La station n’est qu’un outil. Les systèmes de montage virtuel se sont aujourd’hui banalisés, ils sont de moins en moins chers et plus faciles à utiliser. Il existe des dizaines de lieux et de sites proposant des tutoriels plus ou moins réussis. C’est l’affaire de cinq jours. Le vrai problème est l’enseignement du faire-le-cinéma et des moyens méthodologiques à employer pour réussir et optimiser son expression cinématographique.
L’assistant apprenait autrefois le métier en regardant la narration se mettre en place grâce à la créativité et au savoir-faire du monteur. Il passe son temps aujourd’hui à décharger des cartes et à changer les disques durs au lieu d’apprendre le cinéma. Il devient progressivement technicien en Ingesting, en croyant devenir monteur. Cette grave erreur est souvent induite par le système de formation lui-même. Pour moi, un monteur est un conteur d’histoire maîtrisant ses outils, et non un technicien capable de coller des images bout à bout. Et la place de l’assistant, c’est dans la salle de montage !
Ce manque de formation à la narration appliquée est patent dans le domaine de la formation continue. Beaucoup suivent des stages très courts sur des logiciels ou apprennent à maîtriser des effets spéciaux, et demandent en sortant, en plein désarroi, une formation à la narration filmique. À l’aise avec les outils, ils sont désemparés face à la création elle-même. C’est pourquoi nous insistons particulièrement sur cette dimension et demandons à nos candidats davantage des capacités d’écriture et de méthodologie et non seulement des connaissances techniques.
La production audiovisuelle est en crise, le secteur du cinéma est de plus en plus fermé et celui de la publicité est sous pression. Je pense que les monteurs seniors actuels ont eu beaucoup de chance d’avoir connu les métiers de monteur en télévision, en documentaire ou au cinéma tel qu’il s’est pratiqué jusqu’en 2000. Car tout change ou a déjà changé depuis : le statut, les compétences, les productions, les salaires, et souvent aussi le respect. Ce sont les secteurs de la communication et du cross-media qui attirent aujourd’hui le plus de budgets. Le web explose et on demande de plus en plus aux monteurs d’être polyvalents et de s’adapter à de nouveaux formats et à de nouvelles écritures, comme le web documentaire ou les images diffusés sur les téléphones portables.
*Enseignant à l’Ecole des Gobelins, chargé des partenariats techniques
(Témoignage publié dans le guide des formations 2010)