Je suis colombienne et, avant de venir en France pour suivre des études et du cinéma, j’ai travaillé pour la télévision publique en Colombie, mais je ne pouvais cependant imaginer mon avenir de cinéaste là-bas.
En France j’ai suivi un master Cinéma à l’université Paris VIII et parallèlement, j’ai eu la possibilité de suivre un stage d’initiation à la réalisation documentaire aux Ateliers Varan. J’ai réalisé dans ce cadre un court-métrage, « Ici et Là-bas », qui a été acheté par la Cité Internationale de l’Histoire de l’Immigration et programmé dans différents festivals en France et en Colombie, ainsi qu’à New-York, au Maysles Cinéma.
J’ai réalisé ensuite un documentaire sur un bureau parisien du Planning familial, « Espaces intimes », d’une durée de 26’, qui a circulé parmi de nombreuses ONG et mouvements de femmes, surtout en Amérique Latine. La cinéaste Claire Simon, qui enseignait à Paris VIII, a accompagné ce travail et m’a proposé de collaborer à l’écriture de son projet de fiction sur le même sujet, « Les Bureaux de Dieu ». J’ai d’abord travaillé sur le film en tant que co-scénariste, puis j’ai participé au casting et j’ai été scripte sur le tournage. Je me suis énormément impliquée dans cette aventure, qui s’est étalée sur presque quatre ans et qui m’a beaucoup apporté en termes artistiques. Le montage financier du film n’a pas été facile malgré une démarche très originale et un casting prometteur. Présenté à la Quinzaine des réalisateurs, le film a reçu le Prix du meilleur film francophone décerné par la SACD et est sorti en salles en 2008. J’ai suivi de près cette sortie, qui m’a permis de découvrir que le cinéma était aussi, selon le mot de Malraux, « une industrie ». J’ai accompagné le film dans différentes salles Art et Essai en France, où j’ai rencontré des programmateurs très motivés et efficaces ainsi qu’une curiosité et une envie d’échanges extraordinaires de la part du public, tout cela me confortant dans mon désir de continuer à faire des films.
Tout en travaillant sur « Les Bureaux de Dieu », j’ai commencé à écrire « Clarita », un projet documentaire sur l’évolution du monde paysan dans une région isolée des Andes colombiennes, à travers le personnage principal d’une femme divorcée, Clarita. Je la suivais depuis des années et chaque retour en Colombie me permettait de constater les bouleversements du monde paysan. Les chevaux sont remplacés par des scooters et des 4×4 et vivre de l’agriculture et/ou de l’élevage artisanal y devient de plus en plus difficile. Ces changements, qui ont lieu partout dans le monde, sont très marqués dans cette région. Comme cette évolution n’est pas visible au jour le jour, j’ai conçu un tournage sur la durée, en montrant comment se dissout petit à petit ce monde traditionnel. Je me suis concentré sur les femmes, qui sont culturellement très effacées et au sein desquelles Clarita incarne les tentatives des paysans pour s’en sortir face à la modernité qui s’impose. Ses récits permettent de rentrer dans l’intimité de ce monde, de rencontrer sa sensibilité et de l’appréhender en profondeur.
L’écriture de ce projet a été un exercice long et difficile. C’était la première fois que je devais faire une note d’intention et un synopsis et il ne m’a pas fallut moins de cinq ou six réécritures successives pour en venir à bout. J’ai postulé au programme de résidence du Moulin d’Andé, mais le film leur semblait déjà trop écrit. J’ai alors fait une demande au Fonds d’aide à l’innovation du CNC, où le film est arrivé en plénière et où la commission m’a demandé une note complémentaire, pour finalement me donner une réponse négative à la session suivante, deux mois plus tard. Cette expectative malheureuse a été difficile à vivre, surtout pour un premier film, auquel j’avais consacré toute mon énergie.
J’ai ensuite déposé le projet à la bourse de la SCAM, Brouillon d’un Rêve, qui m’a accordé une aide de 4000€. J’ai cru un peu naïvement que cette bourse me permettrait de rencontrer facilement un producteur mais cela n’a pas été le cas. Il n’est pas toujours évident quand on fait un premier film de savoir dans quel ordre faire les choses : faut-il chercher un producteur ou commencer à tourner ? Plutôt que d’attendre sans fin la réponse d’un producteur, je suis partie deux fois en Colombie avec une caméra. Une société de production m’a apporté son soutien matériel et moral mais elle n’avait pas suffisamment de moyens pour financer toute la fabrication du film.
A mon retour, j’ai déposé le dossier à la bourse Déclic Jeunes de la Fondation de France, en y incluant des séquences que j’avais ramenées. Alors que j’attendais la réponse, j’ai été sélectionnée par le Festival international de cinéma de Guadalajara pour participer à un laboratoire de création destiné aux documentaristes hispanophones. Durant une semaine, j’ai pu assister à des workshops et rencontrer des réalisateurs, des professionnels et des producteurs. Toutes ces rencontres m’ont remonté le moral et je suis rentrée à Paris avec un regain d’enthousiasme, d’autant que j’ai appris que mon projet était sélectionné par la Fondation de France. Grâce aux 7600€ de la bourse, j’ai pu repartir deux mois en Colombie pour finir le tournage.
J’ai encore un peu d’argent pour le montage, mais pas suffisamment pour payer à la fois la salle et le monteur. Or, il me semble important d’avoir un temps et un espace dédié uniquement au film et je ne veux pas non plus faire travailler des gens sans les payer, même modestement. Jusqu’à présent, tous les gens qui ont travaillé avec moi, y compris Clarita, la protagoniste du film, l’ont été. Je suis donc repartie à la « pêche » au producteur. J’en ai besoin pour démarcher des diffuseurs et postuler à d’autres aides mais aussi parce que je voudrais un véritable accompagnement, le regard de quelqu’un d’extérieur qui prenne le temps et qui pose les bonnes questions, celles qui font avancer. Beaucoup de gens m’ont aidée et soutenue jusqu’à présent et je leur en suis très reconnaissante, mais cela ne remplace pas l’implication d’un producteur. C’est ainsi que j’ai commencé à travailler avec Les Fées Productions, une société gérée par des femmes, qui porte un regard très intéressant sur mon travail.
Il est trop tôt pour tirer des conclusions de cette expérience encore inachevée, mais elle m’a enseigné beaucoup de choses, par exemple à faire un plan de financement ou un budget prévisionnel, ce qui ne s’improvise pas, mais aussi à regarder les rushes. Je sais désormais que je tiens mes séquences et que le but est proche, ce qui m’encourage à aller de l’avant. Elle m’a surtout appris l’endurance, qui est à la fois une leçon de vie et de cinéma.
(témoignage publié dans le guide des aides 2011)