J’ai démarré comme comédien, avec la chance d’être, à 25 ans, à l’affiche du film « Le Pull over rouge », de Michel Drach, adapté du livre de Gilles Perrault. J’ai ensuite régulièrement joué au théâtre et à la télévision, tout en continuant à réaliser mes propres projets. Je mène depuis de front une carrière de comédien, de réalisateur et de metteur en scène.
Je suis né à Erevan en 1955, en Arménie soviétique, puis je suis venu en France dans les années soixante-dix avec mes parents. Mes origines familiales ont joué un rôle important dans mes choix de réalisation. Je voulais raconter l’histoire de mes grands-parents, qui avaient vécu les massacres de l’Empire Ottoman en 1915, un génocide que n’avait jamais évoqué la télévision. J’appartiens à la troisième génération qui a suivi ce génocide et je ressentais le besoin de raconter leur histoire et de me redéfinir par rapport à eux. Les derniers témoins disparaissaient et il fallait absolument recueillir leurs témoignages. Je me suis donc lancé dans la réalisation d’un documentaire, « Sans retour possible », qui a été coréalisé avec un autre cinéaste de la diaspora, Jacques Kebadian, et diffusé sur Antenne 2 en 1983, en deux fois 50’.
La diffusion du film a suscité une levée de boucliers, aussi bien du côté des Turcs, qui nient l’existence du génocide arménien, que du côté de la bourgeoisie arménienne, qui avait du mal à accepter que l’on parle de la communauté arménienne immigrée en France et que l’on montre des Arméniens pauvres, qui n’avaient pas réussi socialement.
J’ai réalisé ensuite d’autres films documentaires (« Que sont mes camarades devenus », « Irina Brook , Le plaisir contagieux »). Après un retour au théâtre, j’ai commencé à faire des films plus personnels, des courts et des moyens métrages de fiction (« Bonjour Monsieur », « Au revoir Madame », « M’sieurs Dames », « Mission accomplie ») ainsi que des poèmes cinématographiques (« J’ai bien connu le soleil », « Le cinquième rêve », « Lux aeterna », « Terra emota »). Je voulais rester indépendant et faire des films très librement, un désir qui m’a conduit à créer ma société de production (Boomerang productions) pour accueillir mes propres films et ceux de certains réalisateurs comme Artavazd Pelechian ou de Serguei Parajdanov. J’ai continué le théâtre et à la télévision comme comédien et depuis cinq ans, je travaille de nouveau avec des producteurs extérieurs. Après avoir réalisé un nouveau documentaire, « Nous avons bu la même eau », sorti en salle en 2008, je travaille actuellement à mon premier long métrage de fiction (« Dernier round ») qui sera produit par Maybe Moves.
« Chienne d’Histoire » est mon troisième film d’animation, après « Ligne de vie » en 2003 et « Un beau matin » en 2005. Il fait appel aux mêmes techniques picturales. Le scénario est basé sur une histoire vraie et raconte l’éradication des chiens des rues à Constantinople en 1910, qui ont été déportés sur une île déserte et laissés à l’abandon et à la mort. Cette histoire méconnue et encore taboue en Turquie se déroule dans un contexte de fin d’Empire et de changement politique. Les chiens ont servi de bouc émissaire aux nouvelles autorités qui avaient besoin de marquer leur territoire avant de déclencher des massacres envers les minorités chrétiennes de l’Empire (Arméniens, Grecs et Assyro-Chaldéens). Les autorités successives se sont évertuées à effacer ce crime de la mémoire populaire, au même titre que toute l’histoire de la fin de l’Empire Ottoman mais ce qui m’a frappé, c’est la nature perverse des rapports entretenus par les Européens et les Turcs de l’époque ; l’Institut Pasteur proposant au gouvernement turc d’éradiquer de façon « hygiénique » les 60 000 chiens de la ville, solution qui a finalement été abandonnée.
Je connaissais cette histoire par bribes, puis je l’ai approfondie. Je voulais parler de ce passé enfoui et souhaitais évoquer l’état d’esprit qui régnait à l’époque, en faisant un film « politique », qui adopte une forme fictionnelle et qui est très stylisé dans sa forme. Mais je voulais rester dans un univers pictural, en choisissant la lumière et les couleurs et en travaillant sur le grain et la profondeur de champ. C’est pourquoi j’ai choisi la technique de la peinture animée, associée à des photographies et des matières intégrées. J’ai collaboré avec un dessinateur de bandes dessinées, Thomas Azuelos, qui a apporté son propre univers. La musique, qui a été composée par Michel Karsky, avec qui j’ai travaillé sur plusieurs de mes films, joue un rôle très important puisqu’il n’y a pas de dialogues. Sans être parlant, le film est sonore et entraine le spectateur vers l’indicible.
Le scénario, écrit avec la scénariste Karin Mazlounian, a demandé une longue préparation et fait l’objet de nombreux allers-retours avec Ron Dyens, de Sacrebleu Productions. Hélène Veyssières, qui est responsable de l’unité court métrage à Arte et qui avait coproduit mes deux précédents films d’animations s’est très vite engagée sur le projet et m’a accordé sa confiance.
En 2009, le scénario a obtenu l’aide sélective au court-métrage du CNC (75 000€), l’aide aux nouvelles technologies du CNC (30 000€), l’aide à la musique de la région PACA et de la SACEM (4500€) – pour faire enregistrer des musiciens – , puis la région Languedoc Roussillon (15 000€) – la Fabrique est rentrée en co-production. Et nous avons fait la sonorisation et le mixage du film à Montpellier. Le budget total du film est d’environ 170 000€.
Le film a été sélectionné au Festival de Cannes, où il a obtenu la Palme d’Or. Ce fut une onde de choc considérable, suscitant des demandes du monde entier. Il a été sélectionné dans plus de 90 festivals et il circule sur vingt-sept copies en 35mm, dont six sous titrées en anglais pour l’Amérique, l’Asie et l’Europe de l’Est. Le festival d’Antalya a édité 10 000 DVD qui sont distribués dans les lycées et collèges. Cette Palme a permis aussi de faire redécouvrir mes films précédents. « Chienne d’histoire » a été mis avec « Valse avec Bachir » d’Ari Folman au programme de « Lycées au cinéma » en Région Languedoc Roussillon et « Ligne de vie » est diffusé dans le même circuit en Région Centre.
*Palme d’Or du court métrage Cannes, 2010
(Témoignage publié dans le guide des aides 2011)