Je suis chef-monteuse et réalisatrice. Parallèlement, je co-dirige la section Montage à la Fémis. L’apprentissage du métier va bien au delà des seules compétences techniques, même si la maîtrise des ordinateurs et des logiciels est devenue indispensable. Je vois le montage comme une étape forte où la mise en scène se prolonge et se renouvelle. On demande au monteur de savoir « lire » des images et des sons, de voir tout ce qu’il y a dans les rushes, et seulement ce qui y est. Le réalisateur attend du monteur une collaboration créative, des capacités d’imagination, une ouverture d’esprit pour comprendre et entrer dans son monde, tout en gardant un regard critique. C’est cet aller-retour, cette interaction entre le réalisateur et le monteur qui permet d’interroger, parfois de déstabiliser et de trouver l’écriture du film.
Il faut bien sûr avoir un désir très vif pour le cinéma, l’envie d’y participer en se nourrissant continuellement de films. Il faut aussi, petit à petit, apprendre à travailler avec quelqu’un. La Fémis, qui offre une formation assez longue sur 4 ans, remplit bien ce rôle. Mais il existe d’autres voies. Beaucoup de monteurs se sont formés « sur le tas », en étant stagiaires, puis assistantes, mais ce parcours est rendu aujourd’hui plus difficile par les nouvelles technologies, les stagiaires ne participant plus qu’à certaines étapes du montage. L’assistant monteur est à la fois employé sur le film et en formation. J’attends de lui qu’il remplisse les tâches pour lesquelles on l’a engagé mais aussi qu’il apporte et exerce son propre regard au cours du montage. Le métier a été longtemps essentiellement féminin, mais la mixité est devenue aujourd’hui courante. A ceux qui le choisissent, il faut rappeler que passer le plus clair de son temps dans une salle en équipe restreinte est un choix de vie, de même que n’avoir aucune sécurité de l’emploi.
Le montage virtuel a changé beaucoup de choses, mais ne devrait pas bouleverser profondément la pensée du montage. Je ne pense pas que le montage traditionnel, sur pellicule argentique, soit le paradis perdu, et les défauts des débuts du virtuel (virtuosité technique, multiplication des plans…) tendent aujourd’hui à s’estomper. Il subsiste néanmoins certains dangers. Ainsi, la séparation trop systématique du montage proprement dit et du montage son nécessite une vraie réflexion. Jamais l’outil ne doit dicter les choix et le réalisateur doit être vigilant à ce que rien ne lui échappe.
Dans le triangle Réalisation – Production – Montage, la collaboration se construit surtout avec le réalisateur, mais le producteur apporte le regard indispensable de celui qui suit le projet depuis son origine et qui est en principe le garant du film. La collaboration avec le réalisateur est indispensable dans un esprit de recherche et de dialogue, la solution définitive n’étant jamais trouvée. La complicité, la solidarité par rapport à l’objet film, est importante, l’étape du montage étant aussi celle des bilans où le réalisateur est confronté à des choix et à des doutes, mais il faut aussi garder son indépendance, complicité ne signifie pas fusion.
Un travail de collaboration artistique ne peut se réduire à une définition en quelques mots. C’est un travail qui ne se fait pas dans l’impatience. Il faut aller jusqu’au bout. Etre exigeant, aux aguets. Ne pas se satisfaire trop vite. Cela demande une endurance, une remise en cause incessante, une sorte de vigilance active qui laisse l’imagination au travail. Le montage est comme une mise en valeur de la mise en scène et par conséquent et principalement une mise en valeur des acteurs.
(Témoignage publié dans l’édition 2003 du Guide des Formations)