Je suis arrivée de Colombie il y a vingt-six ans. Comme je ne savais pas parler français j’ai fait une école de mime, Jacques Lecoq à Paris puis j’ai étudié l’anthropologie visuelle à l’École des hautes études en sciences sociales avant de suivre un stage de réalisation documentaire aux Ateliers Varan, en 1987. Nous réalisions alors deux films, l’un en vidéo et l’autre en 16 mm, en travaillant par groupes de trois ; je faisais équipe avec un Papou de Nouvelle-Guinée et un Sud-Africain. Ce fut une expérience formidable.
J’ai préparé ensuite le concours de la Fémis en section réalisation, que j’ai réussi. En sortant de l’école trois ans plus tard, en 1992, j’ai commencé à travailler sur des films documentaires. D’abord en tant que co-auteur sur un film français, tourné en Colombie, El Espectador, réalisé par Claude Massot, un intervenant de la Fémis. Le film, diffusé sur La Sept, ce qui a précedé ARTE, m’a ouvert des portes et j’ai réalisé un premier film sur le « Seigneurs » de la drogue en Colombie puis, en 1997 et toujours pour Arte, Cahiers de Medellin. Pour le faire nous avons été d’accord avec Jacques Bidou, producteur du film, pour créer un atelier à l’école où j’ai tourné ce film en Colombie. Cette expérience a été un tournant très important et m’a donné le goût de la transmission.
C’est alors que j’ai commencé à enseigner à Varan. J’ai monté un nouvel atelier en Colombie, dont j’ai assuré le suivi des projets durant deux ans. Je voulais que ces films soient des regards multiples sur Bogota et racontent ce pays dans sa diversité sociale, à la manière d’un puzzle. Les douze stagiaires avaient une envie incroyable de filmer, avec un très fort sentiment d’urgence, que j’ai rarement retrouvé ensuite. Mon travail a consisté à canaliser et épurer ce foisonnement. J’ai ensuite animé plusieurs stages de réalisation à Marseille, à Lisbonne ou encore au Venezuela.
En parallèle à mes interventions à Varan, je suis tutrice à l’atelier documentaire de la Fémis. Je fonctionne en binôme avec le réalisateur et scénariste Jacques Deschamps. Je suis tutrice de six projets et j’apporte un regard extérieur sur les autres. L’atelier de la Fémis fonctionne très différemment de Varan. Il s’agit souvent d’une deuxième étape dans le parcours de réalisateurs qui viennent avec des projets qui se tourneront dans le monde entier, la plupart d’entre eux avec au moins une expérience en réalisation et un regard déjà affirmé.
L’atelier dure neuf mois, tout un symbole, au rythme d’une semaine par mois. Parallèlement au travail sur le dispositif et l’écriture des films, les stagiaires réalisent des exercices filmés qui font écho à leur projet et assistent à des projections et des cours assurés par François Niney, professeur à Paris III et spécialiste du documentaire. Ils réalisent ensuite un film esquisse de leur projet, d’une durée de 5 à 10 minutes. Ces exercices sont visionnés collectivement et nourrissent une réflexion sur ce qui marche ou non, nous conduisant à questionner en permanence le geste de cinéma.
Je conçois mon travail au sein de ces ateliers comme un partage d’expériences plutôt qu’un enseignement, un laboratoire et non une école, même si certains stagiaires ont parfois trop peur de rater leur film pour prendre des risques. Ce qui compte, plus que le résultat final, c’est de pouvoir trouver en soi le noyau de sa pratique, comprendre d’où l’on questionne le monde et pourquoi cette pratique s’impose comme une nécessité. Et c’est en nous laissant pénétrer par les projets et les univers des stagiaires que nous pouvons leur transmettre quelque chose de notre propre sensibilité.
Faire des films documentaires est une chose difficile. C’est une quête de soi et du monde, qui demande plus de questions que de réponses et qui est peu compatible avec ce qu’est devenue une télévision avide de produits formatés. Pour confronter les stagiaires à ce paradoxe, nous organisons durant les deux dernières semaines d’atelier à la Fémis des rencontres avec les professionnels du CNC, des producteurs et des diffuseurs, qui viennent dire ce qu’ils pensent des projets. En général ils les trouvent intéressants mais impossibles à produire…
Les jeunes réalisateurs doivent prendre conscience de ces difficultés et s’y préparer. La pratique du documentaire met en jeu ce qu’il y a au plus profond de nous. C’est un métier qui n’apporte ni sécurité économique, ni sécurité personnelle, mais qui offre en retour une ouverture humaine, intellectuelle et sensorielle extraordinaire.
(Témoignage publié dans le guide des formations 2010)