Carlo Varini, chef opérateur et intervenant à Ciné-sup

Carlo Varini, chef opérateur et intervenant à Ciné-sup

Je suis né dans le Tessin, en Suisse italienne, où j’ai grandi et découvert à l’adolescence les ciné-clubs et avec eux les films de Rossellini, de Godard et de Cocteau, qui m’a impressionné par son incroyable travail sur la lumière. Je fréquentais beaucoup le festival de Locarno dont j’aimais l’ambiance euphorique. Après le lycée, je m’intéressais au “Centro Sperimentale”, l’école de cinéma de Rome, mais le concours, qui était biennal, n’avait pas lieu cette année-là. Je suis alors entré dans un laboratoire de développements et tirages où je suis resté quatre ans et où je suis devenu étalonneur. J’ai travaillé entre autres sur “La Salamandre” d’Alain Tanner. Je me suis inscrit ensuite dans une école de cinéma qui venait d’ouvrir en Suisse “Filmarbeitskurs III-69 der Kunstgewerbeschule Zürich”. L’expérience du laboratoire m’avait donné des avantages certains en termes de connaissances pratiques.

Je suis ensuite devenu « opérateur reporter » pour les films d’actualités (comme les actualités Pathé ou Gaumont en France). Nous étions les JRI de l’époque. En treize mois, j’ai parcouru plus de 80 000 kilomètres en voiture. La plupart du temps, je partais seul avec ma caméra 35mm (Arri III avec 3 objectifs), une valise de mandarines et un Nagra. Je filmais des reportages et je couvrais l’actualité durant la semaine. Pour le sport et les sujets culturels, nous étions trois ou quatre. Le lundi matin avait lieu la projection des rushes de la semaine, le montage était terminé le mardi soir, partait au laboratoire et le jeudi, le nouveau numéro du Ciné Journal Suisse passait dans les cinémas. Les reportages duraient une ou deux minutes, c’était l’école de l’efficacité, il fallait faire des plans très courts pour ne pas gaspiller la pellicule, savoir allumer la caméra au bon moment et surtout avoir pensé le montage à l’avance pour le choix des axes.

Le chef opérateur, Renato Berta, cherchait un assistant pour travailler sur les films d’Alain Tanner et ceux de Daniel Schmid (“Cette nuit ou jamais”, “La Paloma”, “Violanta”). C’étaient des films suisses à petit budget, tournés en 16mm puis gonflés en 35mm.

Le “Juge Fayard dit le Shérif” d’Yves Boisset était une coproduction Franco-Suisse, la production suisse a fourni la caméra (Arri BL) autosilencieuse. Le producteur m’a envoyé sur le tournage pour être sûr que la caméra soit bien traitée. C’est comme ça que je suis venu en France et, comme il y avait plus d’opportunités, j’ai eu rapidement l’occasion de devenir cadreur. J’ai ainsi travaillé sur le film de Claude Faraldo “Deux lions au soleil” pendant lequel je me suis lié d’amitié avec un jeune stagiaire qui s’appelait Luc Besson, qui m’a ensuite demandé de tourner ses premiers films (“Le dernier combat”, “Subway” et “Le Grand bleu”).

C’était une époque où l’on investissait beaucoup de temps et d’énergie pour éclairer une scène. Aujourd’hui, les lampes au tungstène et les vieilles lentilles Fresnel sont peu à peu supplantées par des lampes fluorescentes ou de nouveaux projecteurs moins encombrants et plus efficaces qui nécessitent moins de gélatines et de travail d’installation. Avec l’apparition de la vidéo et de l’informatique, tout s’est automatisé : la caméra est programmée pour arriver au meilleur compromis avec la lumière, et l’ordinateur est un robinet à trucages qu’il suffit d’ouvrir. Mais la contrepartie, c’est la perte de la magie de l’artisanat.

L’apparition du combo (retour vidéo) nous a changé la vie. Avant, lors du « Coupez ! » du réalisateur il y avait un grand silence, le réalisateur parlait aux comédiens qui étaient devant lui. Aujourd’hui, le réalisateur est en train de réfléchir quelque part devant un écran et souvent le comédien n’a plus d’interlocuteur, n’oublions jamais que le spectateur verra surtout le comédien. Hitchcock, qui pesait plus de 100 kilos, se faisait hisser aussi sur la grue pour être dans l’axe de la caméra et près du comédien. Une fois j’ai fait une remarque, lors des rushes à un cadreur qui m’a répondu : «mais vous ne l’aviez pas vu au combo ? ». Sur les tournages, tout le monde est focalisé sur le combo, un peu comme le mari des “Monstres” de Dino Risi, qui a les yeux rivés sur l’écran et ne s’aperçoit pas que sa femme fait passer son amant derrière lui. Le progrès technique a évidemment des énormes aspects positifs, par exemple l’étalonnage numérique, qui permet de corriger certaines lumières en post-production et faire l’économie de longues installations lors du tournage. Par exemple en ville, en extérieur nuit, on obtient de meilleurs résultats en numérique qu’en pellicule. De jour c’est le contraire et avec l’étalonnage numérique on peut à utiliser les deux méthodes pour le même film.

Avant le numérique il n’y avait pas d’autres solutions que d’éclairer toute la rue. Dans les années 80, par exemple pour “Nuit d’ivresse” de Bernard Nauer, j’ai eu besoin d’une équipe de 6 personnes pendant deux jours pour accrocher la lumière nécessaire (une vingtaine de Space-Light) sur le toit de la gare de l’Est. À la fin des années 90, pour une scène similaire sur “Les deux papas et la maman” à la Gare de Lyon, deux heures d’installation ont suffi grâce aux nouvelles boules à Hélium qui sont très faciles à installer.

Une bonne préparation est la chose que je juge la plus importante pour la réussite d’un tournage. Lectures, repérages, découpage, essais des effets spéciaux. Tout doit être réglé au premier jour du tournage pour que le réalisateur puisse se consacrer uniquement aux comédiens.

J’aime ce métier parce que à chaque tournage on découvre tout, le style, l’époque, les envies du réalisateur et sa façon de raconter l’histoire. Si on ne connaît pas assez la matière ou le sujet qu’on va tourner, il faut se documenter et l’étudier avant le début de la préparation. Pour “Le Grand Bleu” par exemple, j’ai étudié une dizaine d’ouvrages sur la photographie et la plongée sous-marine, vu plein de films et pris des cours de plongée avant de faire quoi que ce soit.

J’ai toujours aimé enseigner. À la Fémis, j’ai dirigé des ateliers où les étudiants recréaient la lumière de grands peintres, comme Vuillard par exemple, en utilisant les projecteurs comme des pinceaux. Ils essayaient ensuite de refaire ce travail avec les projecteurs d’il y a 20 ans et puis d’il y a 40 ans et on comparait les résultats avec ceux des grands directeurs photo, comme Henri Alekan. On faisait des exercices en studio où il fallait tout inventer à partir du noir, fermer les yeux et imaginer la fenêtre, inventer la source de lumière qui allait éclairer la pièce et participer à la composition du cadre et de ses lignes, donnant à l’image son dynamisme. La lumière se construit au cinéma comme de l’architecture, en étroite collaboration avec le réalisateur et selon sa façon de voir.

J’interviens tous les ans à Ciné-Sup, au lycée Guist’Hau de Nantes. Je crois que c’est une des meilleures préparations aux grandes écoles de cinéma. Son programme est de préparer les élèves à une formation générale de haut niveau et à une connaissance approfondie de l’activité cinématographique et audiovisuelle : économie et droit du cinéma, sociologie, analyse filmique, histoire du cinéma, et les techniques professionnelles (scénario, réalisation, écriture filmique, image, son…) en plus des matières générales telles que l’histoire, le français, l’anglais, la musique ou les arts plastiques. La formation, accessible sur concours après le bac, est gratuite.

Ceux qui n’ont pas la chance d’accéder à ces grandes écoles peuvent se former sur le tas. On peut faire des stages chez des loueurs de caméra ou en laboratoire et les multiples séances de court-métrage à Paris sont une occasion de rencontrer réalisateurs et techniciens et d’intégrer des équipes. L’important est de se montrer enthousiaste, attentif, disponible et convaincu.

J’ai connu des assistants qui, une fois la caméra prête et après avoir préparé le point, s’asseyaient et attendaient des ordres. Quand j’étais moi-même assistant, une fois la caméra prête, j’étais libre pour assister enfin le chef opérateur en l’aidant au cadre ou à la lumière selon les nécessités du plan. Je crois que c’est là que j’ai le plus appris ce métier, en écoutant les différentes exigences des chefs de poste et en comprenant tous les compromis qui ont contribué à cette installation-là.

Lorsque j’ai commencé, il y avait des chefs opérateurs qui avaient peur de se faire voler leur métier (l’un d’eux avait couvert de noir l’inscription du diaphragme pour garder le mystère) ou qui ne voulaient pas transmettre leurs secrets à leur assistant. À l’inverse, j’aime partager mon travail avec mon équipe. J’ai été assistant avec des « grands » du métier qui avaient eux-mêmes appris auprès d’autres « grands ». Je regrette quand un assistant attend le lendemain de la prise de vue pour me parler de ses idées.

J’ai plus de quarante ans d’expérience dans le cinéma et j’ai été chef opérateur sur deux cents films, dont vingt-huit longs-métrages. J’aimerais, lorsque je m’arrêterai, que beaucoup aient profité de l’expérience que j’ai engrangée.

(Témoignage publié dans l’édition 2010 du Guide des Formations)