Bernard Renucci, scénariste

Bernard Renucci, scénariste

Je suis devenu scénariste assez tard, à l’âge de 35 ans. Auparavant, j’ai fait des études d’histoire, du journalisme et pas mal d’autres métiers. À l’époque, en France, il y avait l’université, où l’on n’apprenait pas grand-chose, et l’Idhec (devenue la Fémis), mais il n’existait pas de formation spécifique à l’écriture de scénario. Je ne pensais pas spécialement à devenir scénariste mais je voulais écrire, et si possible en vivre. Je me suis tourné vers le cinéma car il me semblait que c’était là que l’on avait le plus besoin d’écrits. Ne connaissant personne dans le milieu, j’ai travaillé sur des longs-métrages comme électro, tout en lisant des scénarios et en écrivant. J’ai ainsi appris sur le tas la construction du récit, les personnages et les règles dramatiques. J’ai travaillé mon style pour le transformer petit à petit en savoir-faire scénaristique.

C’est un métier où il faut être tenace, patient et pas trop orgueilleux. C’est long d’écrire un scénario. D’autant plus qu’entre l’idée du scénario et le moment où le film sort éventuellement à la télévision ou en salles, il peut se passer plus d’un an pour le documentaire et quatre ans pour la fiction. Il faut aussi être patient parce que l’on a toujours affaire à l’autre, et que ce n’est pas toujours facile à gérer, en particulier quand celui-ci flingue en trois mots quatre semaines de travail. Le scénario est aussi un travail de mise en scène mais ce que l’on écrit sert de matière première pour le réalisateur, qui en disposera comme il le veut. Il arrive un moment où il faut savoir lâcher l’ego, sinon on a toutes les chances d’être frustré. Il faut aussi être un bon négociateur de contrat.

Je viens de la fiction mais j’ai beaucoup travaillé dans le documentaire, qui est une manière intéressante d’aborder des problèmes et qui se fabrique dans une économie beaucoup plus souple que celle de la fiction. En général, je présente un projet à une production que je connais ou vers laquelle mon agent m’envoie. Si le projet convient, ils me mettent en contact avec un réalisateur en recherche de projet.

La relation scénariste-réalisateur est une relation de complémentarité qui se passe plus ou moins bien selon les personnalités. Avec Julie Bertucelli, on a commencé à travailler ensemble lorsqu’elle était encore assistante à la réalisation. Sur les films documentaires qu’on a fait ensemble, soit elle proposait une idée sur laquelle on réfléchissait, moi à l’écriture, elle à la recherche d’informations sur le terrain, soit j’étais à l’origine de l’idée, que je lui proposais au lieu d’aller voir une production. Ça a été le cas pour le film sur l’école de la magistrature, « La Fabrique des juges ». Sur le feuilleton documentaire « Bienvenue aux grands magasins », qui était une commande d’Arte, je participais également aux repérages et à la recherche de personnages. Pour la fiction « Depuis qu’Otar est parti », le dernier projet qu’on a fait ensemble, Julie est venue avec une idée inspirée d’une histoire vraie. Après avoir trouvé une production, je me suis mis à écrire et je lui soumettais mon texte au fur et à mesure. Elle travaillait plutôt sur la conception générale de l’histoire et ce qu’elle voulait dire à travers elle ; et moi je travaillais davantage sur le détail, cherchant à trouver des situations cinématographiques qu’elle modifiait ensuite.

Une des difficultés les plus fréquentes est l’insécurité financière. Je vis aujourd’hui de ma plume, sans être obligé d’aller donner des cours ou de faire le nègre mais c’est un métier où l’on peut passer par des phases difficiles. C’est aussi un métier de l’ombre. Même si l’on rencontre les gens, l’essentiel du travail se déroule à l’abri des regards, dans la solitude. Il n’est pas évident de faire comprendre qu’écrire un scénario de cent pages, c’est un vrai travail, qui n’est pas forcément à la portée de tout le monde. C’est un métier plutôt agréable si l’on n’a pas de velléité de réalisation, et si l’on se soucie peu d’être devant sur les photos ou d’aller boire du champagne aux avant-premières.

Je pense qu’il y a mille façons de devenir scénariste. Certains ont besoin d’apprendre les règles de la dramaturgie dans les écoles, mais on peut aussi avoir tout simplement le désir de raconter une histoire et découvrir qu’on a envie d’en raconter d’autres. Je conseillerais aux aspirants scénaristes de commencer par aller sur un plateau pour voir comment ça se passe, et de se poser d’abord des questions de cinéma : comment ce que j’écris pourra être tourné et monté ? C’est seulement à partir du moment où l’on comprend vraiment comment ça se fait, comment ça se construit techniquement, que l’on peut commencer à écrire sérieusement.

(Témoignage publié dans l’édition 2005 du Guide des Formations)