Ma mère est elle-même peintre et c’est peut-être pour ne pas marcher dans ses traces que j’ai voulu faire de l’animation. J’ai fait mes études aux Arts Décoratifs à Paris. Je n’ai pas eu de formation cinématographique et c’est seulement dix ans plus tard que j’ai réalisé mon rêve.
En sortant des Arts déco, où j’étudiais la gravure, j’ai continué le dessin et la peinture, fait de l’illustration et des maquettes de presse. Cela m’a été utile pour la suite, car faire la maquette d’un journal, car c’est déjà entrer dans une forme de récit. J’avais vu beaucoup de films d’animation lors de soirées de l’AFCA et à l’occasion de projections au centre Pompidou. Un des films qui m’a le plus marqué a été « Le mystère Picasso » de Clouzot. Quand on fait de la peinture, on montre une image finie, le résultat d’un travail. Dans « Le mystère Picasso », on en voit chaque étape, on suit les choix successifs. J’aime cette idée de montrer l’histoire des repentirs, sans parler des autres apports spécifiques au cinéma : le mouvement, la narration…
J’avais fait une série de toiles sur les hammams et j’ai voulu m’appuyer sur ce travail pour faire un film, conçu comme une sorte d’immense tableau animé. Un ami, Thierry Roland, voulait monter une maison de production et m’a proposé de le produire. C’était il y a douze ans. Robert Lapoujade, qui était peintre et animateur, m’a également aidé. J’ai présenté un dossier au CNC et j’ai obtenu l’aide au court métrage.
« Hammam » dure huit minutes. Il est passé dans de nombreux festivals et a obtenu plusieurs Prix. Il a été également diffusé sur différentes chaînes, dont Canal Plus. Je n’ai pas touché de salaire sur ce film sur lequel j’avais cependant une part producteur. N’étant pas salariée, je n’avais pas le statut d’intermittente et ce sont les Prix et les ventes qui m’ont permis de me payer partiellement après coup.
Le deuxième film, c’était « Schéhérazade ». Il est né d’une idée de série sur les Mille et une nuits proposée à Arte. Il s’agissait de faire sept films courts qui clôtureraient les programmes durant une semaine. Le projet ne s’est pas concrétisé, mais j’ai voulu raconter l’histoire inaugurale des Mille et une nuits. Un film de 16 minutes en est sorti, avec une aide du CNC et un pré-achat d’Antenne 2. Comme pour le précédent, j’avais mis mon salaire en participation et pris une part dans la production en pourcentage sur les droits d’auteur.
Par la suite Arte a fait une Théma sur les Mille et une nuits et m’a passé commande de deux épisodes de huit minutes de « Schéhérazade ». Le film s’appelle « Histoire d’un prince devenu borgne et mendiant ». J’ai pu cette fois-ci me salarier sur trois mois (pour un an de travail environ). Le film a été tourné en 35 mm, mais la post-production s’est faite en vidéo.
Le dernier film s’appelle « Au premier dimanche d’août ». Je voulais revenir à la démarche explorée avec « Hammam », travailler plus sur l’ambiance que sur la narration, faire le portrait d’un lieu à travers les gens qui y évoluent. « Au premier dimanche d’août » est le portrait d’un village à travers son bal ; les histoires individuelles que le film évoque servent de lien entre les villageois. C’est une sorte de reportage où le hasard n’aurait pas de place, où tout serait décidé, un peu comme dans le film de Jean-Daniel Pollet, « Pourvu qu’on ait l’ivresse ». J’ai fait beaucoup de croquis et pris des notes en observant le bal. Le son a été pris sur le vif mais complètement retravaillé.
Je travaille au pastel sec. J’utilise un banc titre avec une caméra 35 mm et je dessine directement sur une feuille placée sous la caméra. Je garde la même feuille pour chaque plan, en modifiant par exemple la position d’un membre puis en recouvrant avec les pastels la position précédente. A chaque transformation, je prends une image, de telle sorte qu’à la fin du plan, il ne me reste que la dernière image sur la feuille. Je change de feuille quand je change de plan.
En animation, on peut soit préparer à l’avance des feuilles séparées pour chaque image, soit travailler directement sous la caméra. Beaucoup de films font appel à cette technique : les volumes animés, les pastels animés, la peinture sur verre (que l’on efface avant de repeindre), le sable… C’est une technique très artisanale, qui suppose de travailler seul. Elle est adaptée au film d’auteur et exclut à priori le long métrage et les séries.
« Au premier dimanche d’août » dure onze minutes. Le film a été financé par les aides du CNC, de Canal Plus et d’Arte. Ces financements relativement confortables m’ont permis de me salarier pendant six mois, sur deux années de travail, le reste étant sur le pourcentage des droits d’auteur. Le film a été terminé en mars 2000 et a remporté de nombreux Prix dans les festivals, notamment à Auch, Clermont Ferrand, Espinho au Portugal et aux Rencontres Cinémaginaire d’Argelès sur Mer. C’est un film qui est très loin de l’animation commerciale, mais qui rencontre néanmoins son public, grâce au travail mené par l’Agence du court métrage pour la diffusion des courts en avant programme, aux programmes de courts métrage en salle, aux festivals et même à la diffusion télévisée, malgré ses heures tardives.
(Témoignage publié dans l’édition 2002 du Guide des Aides)