COMPTE-RENDU DE LA TABLE RONDE DU 22 MARS 2016

« LES MÉTIERS DE LA PROGRAMMATION »

La table ronde s’est déroulée au Pôle Emploi des Techniciens de l’Audiovisuel et du Spectacle IDF à La Plaine Saint Denis. Un public d’environ quatre-vingt personnes, composé de professionnels du cinéma, d’intermittents du spectacle, de demandeurs d’emploi et d’étudiants en cinéma était présent.
Patricia Touzet, responsable d’équipe à Pôle Emploi AVS Techniciens, ouvre la table ronde en rappelant l’importance de ces rencontres annuelles qui associent des professionnels et des responsables pédagogiques afin de mieux connaître les métiers et leur évolution ainsi que les formations qui y préparent. 

Anastasia Tcarkova, responsable du pôle Métiers et formations à Vidéadoc et animatrice de la table ronde, rappelle que les métiers du cinéma et de l’audiovisuel ne concernent pas seulement les postes de la création, lesquels font l’objet de la plus forte demande mais sont aussi les plus difficiles d’accès, mais aussi les secteurs de la programmation, de la distribution et de l’exploitation, qui sont en pleine évolution et qui offrent de réelles possibilités d’emploi, alors qu’ils sont assez mal connus.

Elle présente les intervenants :

Bruno Atlan, directeur marketing et acquisitions d’UniversCiné
Catherine Bailhache, coordinatrice de l’ACOR (Association des cinémas de l’Ouest pour la recherche)
Catherine Bizern, programmatrice en festivals, ex-directrice artistique du Jour le plus court et du Festival de Belfort
Perrine Boutin, responsable du Master Professionnel Didactique de l'image à l’Université Sorbonne Nouvelle - Paris III
Claude Forest, responsable du Master Arts de l’écran à l’Université de Strasbourg, auteur de nombreux ouvrages sur l’exploitation cinématographique
Emmanuel Papillon, co-directeur du Département Distribution/Exploitation à la Fémis, directeur du cinéma Louxor
Aurélie Pinto, maître de conférences à l’Université Sorbonne Nouvelle - Paris III, auteure d’une thèse sur les salles de cinéma d’Art et essai
Bertrand Roger, directeur de la Programmation du réseau MK2.

A QUOI SERT LA PROGRAMMATION DE FILMS ?



Pour lancer le débat, Anastasia Tcarkova pose aux intervenants une question en forme de provocation : à l’heure où les œuvres sont massivement accessibles sur une multiplicité d’écrans, a-t-on encore besoin de programmateurs ?

Selon Bertrand Roger, les salles ont besoin de programmateurs pour au moins deux raisons : d’abord parce qu’il sort entre 15 et 18 films chaque semaine et qu’elles ne peuvent tout montrer. Il faut donc faire des choix, en fonction de l’identité de la salle et du quartier. Deuxièmement, parce que, pour faire de la place aux nouveaux films, il faut choisir ceux que l’on fait sortir de la salle. Le programmateur est celui qui gère cette circulation.

Pour 
Aurélie Pinto, qui se réfère à son travail sur les salles classées Art et essai, celles dont l’offre est considérée comme la plus culturelle, la programmation est un exercice d’équilibriste entre le geste de programmation (on parle aussi d’« éditorialisation » par analogie avec le livre), considéré comme l’aspect le plus noble du métier, et la diffusion des films plus commerciaux, qui peut être déléguée dans des petites villes ou dans le milieu rural à des « ententes de programmation », qui sont des entreprises chargées de programmer pour un grand nombre de salles sur un territoire. 

Catherine Bailhache, qui représente un réseau de salles de cinéma en région, précise que la majorité de leurs responsables assurent eux-mêmes la totalité de leur programmation. Elle insiste sur la différence entre les salles parisiennes et de province. En province, la programmation porte sur les nouveaux films, mais aussi sur la reprise d’œuvres, notamment sous forme de mini-festivals ou de semaines thématiques en lien avec des partenaires locaux, un travail que les salles parisiennes n’ont pas vraiment la possibilité de faire.
Elle rappelle ensuite que pour l’année de classement 2015, sur les 1116 salles classées Art et essai en France, 636 sont situées dans des villes E (moins de 10 000 habitants) et 166 dans des villes D (entre 10.000 et 20.000 habitants). Ce sont souvent des salles qui ont été abandonnées par le secteur privé parce qu’elles n’étaient pas assez rentables, et qui ont été rachetées par les collectivités locales, sous l’impulsion des politiques territoriales de l’État. 
La programmation de ces salles peut être assurée par exploitants eux-mêmes ou confiée, comme l’a indiqué 
Aurélie Pinto, à une structure extérieure, association ou entreprise privée, qui joue un rôle qui peut s’apparenter à celui d’une centrale d’achat. Ce prestataire mutualise les demandes, ce qui permet aussi aux exploitants d’être plus forts dans la négociation avec le distributeur, et libère du temps sur le terrain pour travailler vers les publics. Ces salles sont souvent de petits établissements, avec un seul écran, parfois deux ou exceptionnellement trois, qui ne peuvent couvrir tout le spectre des sorties. Par ailleurs, les équipes sont souvent très réduites, avec beaucoup de bénévolat. Étant souvent les seules structures culturelles sur leur territoire (à l’échelon des communautés de communes), la vocation de ces salles ne peut être exclusivement orientée vers la programmation art et essai, la mission d’intérêt général qui leur est confiée ayant alors aussi, en l’absence d’initiative privée, un objectif généraliste.

Claude Forest rappelle que les distributeurs ont aussi des programmateurs, qui négocient le placement des films et le nombre de copies. La circulation des films s’inscrit dans un marché et ce marché est violent, d’abord parce qu’il y a un nombre de films croissant, mais aussi parce que le nombre de copies y est délibérément limité pour des raisons qui tiennent principalement à la stratégie des distributeurs, qui sont officiellement une centaine mais dont une dizaine génèrent en réalité 80% du marché. Le nombre de copies sera ainsi toujours inférieur à la demande potentielle, même avec des tirages exceptionnels de 1000 copies pour les blockbusters. Les films classés art et essai porteurs tournent quant à eux sur 200 copies, mais plus généralement 40 ou 50 et quelquefois une seule. Il s’agit donc d’un marché de la rareté, entretenue artificiellement par les distributeurs pour conserver un rapport de force favorable sur les salles. Cette situation a conduit les salles à partir des années soixante à se regrouper pour peser à leur tour sur le marché. Parfois, certains distributeurs ont du mal à placer leurs films car c’est un jeu de négociation et d’arbitrage. Le programmateur doit gérer ce rapport de forces, avoir un tempérament à la fois souple et extrêmement ferme, et bien sûr connaitre les nouveaux films offerts et identifier le public auquel ils peuvent s’adresser.

Catherine Bizern évoque le travail de programmateur en festival, assez différent de la distribution et de l’exploitation puisqu’il se déroule à un moment où le marché n’a pas encore décidé du sort des films. C’est une position privilégiée. Le travail de programmation en festival consiste aussi à penser les films les uns avec les autres, à les mettre en relation. C’est une forme de montage, qui suppose une certaine vision du cinéma. Il s’agit de donner au public des clefs pour découvrir des films dont il ne sait rien au départ. Dans beaucoup de festivals, le programmateur est là aussi pour faire advenir des cinéastes. L’idée que tous les films seraient directement accessibles sur internet et qu’il n’y aurait plus besoin de la médiation d’un programmateur est à la fois vraie et fausse : la visibilité des films sur internet se fait sur la base de la notoriété et de la publicité, donc du marché. Dans cette abondance croissante de l’offre, il est important que des programmateurs proposent des chemins afin d’aider chacun à avancer dans ce qu’il a à découvrir.

Perrine Boutin évoque un autre exercice du travail de programmation. Elle forme à l’université des étudiants qui seront appelés à programmer des films dans les hôpitaux, les prisons, pour des petits ou des personnes âgées, etc. La programmation est ici moins un métier qu’un outil pédagogique pour aller vers le public avec le cinéma. Il peut s’agir de mettre en rapport des films entre eux, et parfois des extraits de films, pour inciter le public à s’exprimer et faire émerger une thématique, sur des questions de cinéma mais aussi sur des questions de société. Ce travail peut être mené dans des salles de cinéma mais aussi dans tous les lieux imaginables où le cinéma peut être montré, en s’appuyant sur la politique d’éducation à l’image et d’éducation artistique, qui est assez forte en France, avec de nombreux dispositifs et un énorme réseau associatif. 

Emmanuel Papillon évoque son expérience au sein du département Distribution/Exploitation à la Fémis. Dans la grande majorité des cas, les étudiants qui postulent à ce département le font pour faire de la programmation. Leur point commun est la cinéphilie et ils s’intéressent peu au départ aux autres aspects du métier, tels que diriger une salle. Le rôle de la formation, au cours du cursus de deux ans, est de leur faire comprendre qu’il n’y a pas de programmation sans une bonne connaissance de la salle et qu’il y a autour du geste de programmation d’autres gestes, tels que l’accueil du public, l’animation ou l’éducation à l’image, aussi importants que l’acte de programmer. 

Bruno Atlan est quant à lui sur un segment encore différent qui est celui de la vidéo à la demande (VOD), orientée sur le cinéma d’auteur, avec une offre de 4000 films. L’exhaustivité que l’on attend parfois de la VOD est un fantasme, car mettre chaque année 500 ou 1000 films nouveaux en ligne représente un travail et un coût considérable. Il faut donc faire des choix, par rapport aux films qui sortent, mais aussi par rapport aux films de patrimoine. Le programmateur reste indispensable car les spectateurs seraient perdus dans cette offre sans un travail de prescription. En effet, ce n’est pas parce que les films sont disponibles en ligne qu’ils existent et il faut les mettre en avant avec des bannières, une newsletter, un accompagnement sur le web. UniversCiné produit ainsi plus de 200 bonus par an. Il y a aussi un autre fantasme, celui de l’algorithme prescripteur, popularisé par Netflix par exemple. À UniversCiné, on y croit assez peu car on pense que si le public a effectivement besoin de recommandations, elles doivent être faites par des vrais médiateurs, sur la base d’un travail d’éditorialisation, et non par un algorithme qui aurait du mal à créer des relations entre Tati et un film avec Werner Daehn, par exemple.

 

COMMENT FAIRE SES PREMIERS PAS DANS LE MÉTIER ?



Pour Catherine Bizern, il est impossible de proposer une réponse commune à cette question car chacun a un parcours spécifique, souvent lié à des rencontres. Elle-même a commencé à travailler sur la programmation en rencontrant, dans le cadre de l’association des cinéastes documentaristes (ADDOC), Claudine Bories, alors responsable de Périphérie, une association de Seine-Saint-Denis. Claudine Bories souhaitait proposer aux salles du 93 des films documentaires. Catherine connaissait les cinéastes et les films et les salles lui ont fait confiance. 
Beaucoup de programmateurs de sa génération se sont comme elle formés sur le terrain et ont appris en programmant des films. La situation a changé aujourd’hui, avec la création de la filière Distribution/exploitation à la Fémis, mais aussi avec la mise en place des masters cinéma à l’université. La programmation s’est professionnalisée, sans que le programmateur trouve un statut équivalent à celui de curateur dans l’art contemporain. Il n’y a pas de diplôme de programmateur de film. Quelle que soit la filière de formation, la programmation repose sur une bonne connaissance des films en amont et un programmateur est d’abord quelqu’un qui voit beaucoup de films.


Bertrand Roger ne vient pas du cinéma, mais du théâtre, et rien ne le préparait à être programmateur de cinéma. Il rappelle que l’on programme toujours pour quelqu’un, et non pour soi : « je vois des films en moyenne pendant six heures par jour, et, que ces films me parlent ou non, j’aurais toujours une arrière pensée : pour qui c’est ? Prenons l’exemple d’une salle dont je ne m’occupe pas, l’UGC Maillot. C’est un quartier particulier, pas très loin de Neuilly. Moi, dans mon réseau, il y a le MK2 Nation, de l’autre côté de Paris. On peut dire que ça n’a rien à voir, mais il y a en réalité la même programmation, parce que c’est le même public : un public composé de beaucoup de retraités, propriétaires de leur logement, pas forcément tous très riches mais qui ont du temps et qui sont plutôt âgés. Il y a aussi dans ce quartier de Nation différentes cultures, religieuses ou autres, des publics jeunes, des familles, un public gay avec des enfants, qui est très différent de celui du Marais, etc. Si vous proposez à ce public des films violents ou en VO, vous ratez votre cible, parce que ça ne les intéressera pas ». Le programmateur doit donc non seulement voir des films, mais aussi se déplacer sur les lieux pour connaître les publics. Il doit enfin s’intéresser à toutes les facettes du cinéma, de sa fabrication à sa diffusion, pour comprendre à quel moment il intervient. 

Aurélie Pinto confirme la diversité des parcours. Son travail de recherche montre que les exploitants déclarent tous avoir des profils atypiques et ils ont en effet des parcours très variés. On peut noter qu'un certain nombre de programmateurs sont passés par des cursus de sciences humaines, en particulier par la sociologie. Le métier de programmateur n'est d'ailleurs pas si éloigné de celui du sociologue, dans la mesure où il est très souvent fin connaisseur de son public. Le programmateur sait très bien qu'il ne s'agit pas de programmer des films de façon abstraite, mais toujours en relation avec des publics. Cela ne veut pas dire que les programmateurs proposent uniquement les films "ajustés" à leurs publics ; cette connaissance des publics peut aussi leur servir à amener progressivement et en toute connaissance de cause certains publics vers des films moins attendus, souvent en s'appuyant sur des dispositifs complémentaires de médiation (soirées spéciales, programmations croisées, débats, etc.). Le programmateur est aussi un commercial, qui doit pouvoir négocier et certains aspects de la négociation entre distributeurs et exploitants peuvent être comme on l’a dit très violents et brutaux. Le programmateur doit être préparé à ces rapports de force.

Emmanuel Papillon précise que dans ces négociations, rien n’est écrit et tout reste oral. Même si des organismes comme le CNC voudraient établir plus de règles, le cinéma n’est pas un secteur très encadré et c’est finalement le public qui tranche, puisque c’est lui qui décide de l’entrée ou de la sortie d’un film. 

Catherine Bailhache remarque que même si les parcours pour devenir programmateur sont très différents, il y a souvent au départ une fascination pour le cinéma et la salle. Depuis l’origine du cinéma et pour l’instant encore, la plupart des programmateurs font l’essentiel, voire la totalité de leur carrière à ce poste, ce qui représente plusieurs dizaines d’années : il n’y a donc pas énormément de recrutement. Elle constate cependant que nous sommes à un tournant générationnel et que des postes se libèrent. Ce ne sont pas forcément des postes de programmation mais des postes approchants, de direction, d’action culturelle, etc. Les offres d’emploi ne passent pas beaucoup par Pôle Emploi mais plutôt par les réseaux professionnels, surtout en province. 

Il y a aussi des débouchés dans le secteur évoqué par Perrine Boutin, situés à la frange du travail associatif et du secteur institutionnel. Ils s’inscrivent par exemple dans le champ de missions fixées par un Conseil départemental ou une Région, avec les aléas que cela suppose, comme des réductions budgétaires notamment. Elle cite la Bretagne, particulièrement riche de ce point de vue, et l’exemple du Comptoir du doc à Rennes, spécialisé dans la diffusion du documentaire de création, dont le travail de programmation est également mené dans les prisons, le milieu hospitalier, les cafés-philo… et qui se trouve actuellement menacé d’être privé d’une salle à la suite d’un revirement politique. Généralement, ces structures font beaucoup appel aux stagiaires, ce qui peut être une porte d’entrée dans le métier.
Elle souligne aussi que sur les 700 films qui sortent chaque année en France, dont 57 % à 60%, selon les années, sont recommandés art et essai, beaucoup sont très fragiles économiquement et n’ont pas accès aux salles, à commencer par les salles parisiennes. Or, en l’état des pratiques professionnelles actuelles, un film n’existe pas s’il ne sort pas d’abord à Paris, ce qui pose une vraie question pour l’existence pure et simple de la diversité culturelle. Il y a donc à la fois des salles qui n’accèdent pas aux films qui pourraient les aider à vivre, et des films qui n’arrivent pas à accéder aux salles qui leur permettraient d’exister. 


Bruno Atlan explique comment UniversCiné se positionne par rapport aux exploitants : la VOD, qui selon la chronologie des médias intervient au minimum quatre mois après la sortie salle, permet d’obtenir de bons résultats pour les films qui ont fait entre 3000 et 50 000 entrées, parce qu’elle répond à un déficit d’exposition en salles. Certaines communautés, comme le public gay ou les amateurs de films de genre, sont également très présents sur la VOD. Des partenariats sont également possibles avec la salle. UniversCiné est ainsi partenaire de l’ACID (association du cinéma indépendant pour sa diffusion), ce qui permet de faire des entretiens durant les festivals qui peuvent être repris à l’occasion de projections. Le projet est de prolonger certaines projections par un onglet sur le site de la salle, ou encore que la salle puisse programmer certains films au catalogue d’UniversCiné. Cette collaboration existe déjà avec les médiathèques avec le site Médiathèque numérique et UniversCiné voudrait proposer une offre comparable à destination des exploitants. UniversCiné reprend aussi des programmations de festivals comme le festival du Cinéma du Réel. Pour Bruno Atlan, la VOD peut être un partenaire de la salle et non un concurrent : « Nous sommes avant tout des cinéphiles qui aimons découvrir les films en salles mais en sachant aussi qu’il n’y a pas assez de place pour tous les films et que la VOD peut être une manière différente de les faire vivre. On essaie de trouver des articulations intelligentes entre la salle et la VOD ».

Catherine Bizern et Perrine Boutin évoquent le travail mené par les directeurs de salle de Seine-Saint-Denis depuis une dizaine d’année avec des médiateurs culturels, notamment pour les programmations jeunes publics. Chaque salle du 93 dispose ainsi d’un programmateur chargé des jeunes publics. Il y en a aussi dans certaines salles municipales en province (Quimper, Chateauroux…) mais très peu à Paris, sauf une salle dédiée aux enfants (le studio des Ursulines). 

Bertrand Roger évoque les demandes de groupes spécifiques, par exemple des séniors ou des groupes de femmes, qui s’adressent au réseau MK2, mais aussi à d’autres exploitants pour voir programmer certains films. Il évoque aussi des associations comme École et cinéma qui mènent un travail de programmation. Il y a, dit-il, « sans doute plus de programmateurs qu’on ne le croit, mais moins que ce qu’on imagine ». Chez Pathé par exemple, il y a un responsable de la programmation pour le nord de la France et un autre pour le sud. Dans le réseau MK2, on distingue la programmation des films en salle et l’animation, qui concerne ce qu’on appelle le « hors programme » : l’opéra, le théâtre, les cours de musique ou de philo… mais ce travail fait aussi partie de la programmation. Il y a aussi des programmateurs dans d’autres lieux : en prison pour les TV internes, dans les hôpitaux... À l’hôpital par exemple, il faudrait plus de programmateurs pour éviter que les patients passent leur journée devant la télé. Il y a là un métier qui se cherche et des choses à imaginer.

 

LES FORMATIONS À LA PROGRAMMATION DE FILMS



Emmanuel Papillon remarque que la filière Distribution/Exploitation de la Fémis forme aux métiers du commerce dans une école d’art, ce qui permet aux étudiants de la filière de côtoyer pendant deux ans de futurs réalisateurs, chefs opérateurs ou monteurs. Cette situation met les étudiants du département à une position clef pour comprendre ce qu’est l’acte de création. La Fémis n’a pas cependant de volonté d’exclusivité sur la filière programmation. Les facs de cinéma ainsi que les écoles de commerce offrent aussi des pistes. Concernant les débouchés professionnels, ils sont plus nombreux dans l’exploitation que dans la distribution, et l’exploitation peut être ainsi une voie pour entrer dans le travail de programmation.

Bruno Atlan a suivi la filière Distribution/Exploitation de la Fémis il y a dix ans, qui durait alors une année, et souligne son caractère très professionnalisant. Lui-même était au départ ingénieur télécoms mais sa passion cinéphile l’a orienté vers le cinéma, la VOD lui permettant de réinvestir ses compétences initiales dans les réseaux.

Claude Forest rappelle qu’il n’y a pas de formation spécifique pour les programmateurs et que la diversité des parcours et des origines contribue aussi à l’enrichissement de ce métier. Au sein du master dont il est responsable à Strasbourg, les étudiants viennent de différents horizons et celui qui a fait un parcours cinéma n’est pas forcément le mieux formé pour programmer des films. Pour devenir programmateur, il faut bien sûr aimer le cinéma, mais aussi se garder de confondre ses propres goûts avec ceux du public auquel on s’adresse. Il est également indispensable, comme l’a dit Bertrand Roger, de bien connaître la filière, les intervenants, l’ensemble des métiers de la profession. Le bouleversement entrainé par le numérique impacte les métiers de l’exploitation non seulement sur le plan technique, mais il affecte aussi l’appréhension, la vision et la perception des œuvres. 

Perrrine Boutin précise que dans le cadre du master Didactique de l’image, on travaille beaucoup à mettre en rapport les œuvres pour faire émerger du sens, une mise en relation qui est au cœur du geste de programmation, selon une ancienne pédagogie du fragment remise au goût du jour par Alain Bergala ou Georges Didi-Huberman. Selon elle, le programmateur ne doit pas caresser le spectateur dans le sens du poil mais aller là où ça gratte, ce que Catherine Bizern résume par la formule : « non pas donner au spectateur ce qu’il a envie de voir, mais ce qu’il ne sait pas qu’il a envie de voir ». A Paris 3, il existe aussi un séminaire sur la programmation, animé par Nicole Brenez, au cours duquel les étudiants programment un cycle de films expérimentaux au Palais de Tokyo. Concernant les débouchés professionnels du master,Perrine Boutin explique que l’une de ses anciennes étudiantes est en train de monter un ciné-club en Algérie, tandis qu’une autre a créé le Kinétoscope, qui est l’outil pédagogique de l’Agence du court métrage. La production d’outils pédagogiques en ligne peut offrir aussi des débouchés pour cette filière. 

Aurélie Pinto constate que les programmateurs peuvent venir du cinéma mais aussi d’autres horizons, comme des écoles de commerce ou Sciences Po, qui proposent de plus en plus des parcours liés au domaine culturel. 

Claude Forest insiste sur la dimension relationnelle : il faut aller aux projections, rencontrer les gens, discuter avec eux, l’essentiel passant par le bouche à oreille. C’est un petit milieu où tout le monde se connaît, au moins par les réseaux. Il faut donc « y aller » et ne pas hésiter à entrer par la « petite porte », même si au début on est seulement stagiaire ou bénévole. Concernant les exploitants, il note qu’il y a aussi une mentalité du chacun chez soi, qui est un peu tributaire de l’exercice du métier : « on ouvre la salle, on accueille les gens, on n’a pas toujours les films qu’on veut, et après on se couche, cela pendant 365 jours par an, mais c’est tout de même un beau métier… » C’est pourquoi tout ce qui est fait pour coordonner les actions, susciter des échanges, est essentiel.

Bertrand Roger revient sur la nécessité pour le programmateur de distinguer ses propres jugements de ceux du public : « sur les trois quarts des films que je vois, je n’ai pas du tout la sensation d’être en avance, au contraire beaucoup de films sont en avance sur moi. Prenons l’exemple du film “Merci patron” que nous diffusons actuellement. Très sincèrement, ce n’est pas un “grand” film d’un point de vue cinématographique mais c’est en revanche un film important pour beaucoup de spectateurs. Si je le jugeais uniquement à partir de valeurs cinématographiques, il est probablement que je ne le retiendrais pas, parce qu’on est à la limite du film de télévision genre “Strip-tease”. Il faut donc accepter que ce film soit “devant vous”, c’est à dire que vous n’avez pas forcément compris qu’il va intéresser le public à un autre endroit ». 
Il revient aussi sur les conditions d’exercice du métier : « A Cannes, on peut voir 5 films à la suite, ce qui au fond n’est pas très normal. Je n’ai jamais de vacances, car la programmation, c’est tous les lundis. Je ne me repose jamais », mais vivre avec les films donne aussi du sens à sa vie : « je m’aperçois qu’un problème qui m’a été posé par un film un jour, je vais le résoudre le lendemain en voyant un autre film. Ça donne du sens à votre vie, je ne saurais le dire autrement et c’est pourquoi, au delà de tout l’aspect violent, ça peut avoir de l’intérêt ».


 

L’ÉVOLUTION DES PUBLICS ET DES SALLES



Avant de conclure la rencontre, Anastasia Tcarkova revient sur l’évolution des publics qui vont au cinéma en France.

Emmanuel Papillon rappelle que la France est le pays d’Europe où l’on va le plus au cinéma, avec régulièrement plus de 200 millions de spectateurs par an. Le parc de salles est de bonne qualité, grâce aux aides de l’État. Le passage au numérique s’est ainsi fait rapidement, à la différence d’un pays comme l’Espagne ou l’Italie par exemple, où la situation du cinéma est catastrophique. L’arrivée de l’internet n’a pas affaibli la fréquentation des salles en France, qui reste un des loisirs préférés des jeunes parisiens. Certes, le public des salles art et essai est plutôt vieillissant, mais ce phénomène s’explique aussi par l’allongement de la durée de la vie.

Claude Forest rappelle aussi le nombre très élevé de films qui sortent chaque année en France, avec 270 films d’initiative française, grâce au soutien d’un système unique au monde, celui du CNC, qui intervient à tous les niveaux de la filière cinéma. Il est cependant moins optimiste sur l’avenir. Selon lui, une mutation très profonde est en cours, conséquence du passage au numérique et de la multiplication des écrans, même si ce changement est très lent et diffus. Le développement de la consommation à domicile sur plusieurs écrans, téléphone portable et ordinateur, entraîne une désaffection assez forte du public adolescent, qui passe de moins en moins de temps devant la télévision mais de plus en plus sur les écrans personnels. Les jeunes vont certes encore très souvent au cinéma mais, pour la première fois, les courbes se sont inversées : depuis trois ans la part des plus de 50 ans est plus élevée que celle des moins de 25 ans. La salle, lieu par excellence de la valorisation symbolique des films, tend à perdre de son aura. C’est un phénomène qui pose question sur le moyen et le long terme. Si les salles françaises ne sont pas affectées par ce changement pour l’instant, celles de tous les autres pays européens le sont déjà depuis une dizaine d’années. La protection du CNC pourra-t-elle protéger le cinéma français ? C’est possible mais ce point est à surveiller.

Pour 
Bertrand Roger, le risque est de considérer toujours plus le film comme un produit marketing. Dès l’étape du scénario et du financement, on anticipe le nombre d’entrées en salle, de DVD vendus ou l’audience que fera le film à la télévision.

Selon 
Catherine Bizern, se pose aussi la question de l’adéquation des films par rapport au public des salles. Pour les jeunes, aller au cinéma, ce n’est pas simplement aller voir un film, il y a une dimension de sortie festive, et ces jeunes se retrouvent le plus souvent dans des multiplexes. Or certains des films des jeunes cinéastes actuels qui s’adresseraient plutôt à un public de jeunes gens sont montrés dans des salles art et essai où se retrouve majoritairement un public de plus de 50 ans, qui n’est pas intéressé au premier chef par ces films. Le film alors ne rencontre pas son public. 

Pour 
Catherine Bailhache, c’est une question-clef. En province, les équipes des salles sont en train de se renouveler et il y a quelque chose à repenser, particulièrement dans des petites communes de 10 000 ou 15 000 habitants. La reprise de la compétence culture par les communes est l’occasion d’une remise à plat et d’expériences nouvelles. À Morlaix par exemple, la communauté d’agglo a racheté une ancienne usine désaffectée située en plein centre ville pour y construire un pôle culturel avec cinéma, théâtre et musique. D’un côté, ce n’est pas sans poser de problèmes, car il faut faire tenir ensemble les pratiques de trois métiers différents et trouver un système de gouvernance entre des structures très singulières ayant chacune leur propre histoire. De l’autre, c’est un pari culturel ambitieux, l’occasion d’inventer quelque chose.


(synthèse réalisée par Laurence Nguyen, chargée de projet au Pôle Emploi Audiovisuel Spectacle Techniciens IDF, Anastasia Tcarkova, responsable du pôle Métiers et formations à Vidéadoc et Frédéric Goldbronn, directeur de Vidéadoc).

Quelques formations pour s’orienter vers les métiers de la programmation :

Formations initiales dans le secteur distribution/exploitation :

• Master 2 Droit, économie et gestion de l’audiovisuel, parcours marketing et distribution à l’Ina SUP (sur 1 an) en partenariat avec Paris 1 Panthéon
• Département distribution/exploitation à la Fémis (sur 2 ans)
Formations continues dans le secteur distribution/exploitation: 
• Assistant directeur d’exploitation cinématographique à l’ère du numérique au CEFPF (Centre Européen de Formation à la Production de Films) (sur 9 semaines)
• Directeur d’exploitation cinématographique à la Fémis (sur 1 an)
Masters dans le secteur de la programmation :
• Master 2 Image et multimédia à l’Université Toulouse III - Paul Sabatier
• Master Pro Images & Multimédia à l’Université Bordeaux-Montaigne
• Master Production audiovisuelle et multimédia à l’Université Jean Moulin Lyon III
• Master Arts Mention Cinéma et audiovisuel, spécialité Valorisation des patrimoines cinématographiques et audiovisuels à l’Université Paris VIII 
• Master 2 pro Arts, diffusion des arts et des savoirs par l’image à l’Université Lumière Lyon II
• Master Approche Pluridisciplinaire de la Médiation Culturelle, Master Cinéma et Audiovisuel à l’Université Sorbonne Nouvelle - Paris III 
• Master Arts de l'écran à l’Université de Strasbourg

D’autres formations dans le Guide des formations aux métiers du cinéma, de l’audiovisuel et de la création multimédia de Vidéadoc et sur le site www.videadoc.com

 
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