PÔLE EMPLOI SPECTACLE / VIDÉADOC
La rencontre s’est déroulée à l’auditorium du Pôle Emploi Spectacle, 50 rue de Malte (Paris XIe).
Elle a accueilli un public d’une cinquantaine de personnes, intermittents du spectacle ou demandeurs d’emploi et salariés du régime général ainsi que des étudiants, et était présentée par Annie Fontaine, conseillère à l’emploi au service technicien du Pôle Emploi Spectacle, et animée par Marie Sénélas, responsable du centre de ressources formations de Vidéadoc.
Les intervenants étaient :
- Jack Aubert, délégué aux affaires sociales en charge des questions de formation à la CPA (Confédération des Producteurs Audiovisuels)
- Frank Le Wita, producteur de longs métrages cinéma et de documentaires TV (Film Oblige)
- François Hamel, directeur de production
- Isabelle Pragier, directrice adjointe des Etudes de la Fémis
- Didier Zyserman, responsable pédagogique au sein du Master Production audiovisuelle
(Ina SUP)
- Claire Alby, responsable pédagogique de la Licence professionnelle Gestion de production audiovisuelle (Université Paris Est Marne-la-Vallée) en collaboration avec les « Gobelins, école de l’Image ».
- Jérôme Kanapa, réalisateur et directeur de production. Fondateur du CIFAP.
Annie Fontaine ouvre la rencontre : « En 2006, Le Pôle Emploi Spectacle et Vidéadoc ont organisé une table ronde sur les métiers de la production et il nous semblait intéressant de voir ce qui a bougé depuis. Comment les changements liés au numérique, les changements dans le financement des films, les délocalisations et la dématérialisation des supports ont-ils fait évoluer ces métiers ? Nous voulions avoir le point de vue des producteurs et celui des organismes de formation. »
Marie Sénélas propose un état des lieux rapide de la production cinématographique : « En 2012, l’activité de production de films cinématographiques affiche un record jamais atteint depuis trente ans :
- 279 films produits dont 209 d’initiative française
- 129 coproductions internationales.
On note néanmoins un net recul des financements (-26M€ pour les chaînes de télévision), tendance qui s’est poursuivie en 2013.
En conséquence, la production d’initiative française est marquée par :
- le recul du nombre de films dont le devis est compris entre 4M€ et 7M€
- l’augmentation du nombre de films présentant un devis inférieur à 1M€.
- par ailleurs, le cinéma d’animation est très dynamique.
- la production de films documentaires n’a jamais été aussi importante depuis le début de la décennie. »
Jack Aubert, délégué aux affaires sociales et aux formations à la Confédération des Producteurs Audiovisuels, complète cet inventaire : « Aujourd’hui, au niveau de la production audiovisuelle aidée, il y a 400 M€ de chiffre d’affaire. Cela concerne la fiction, les documentaires, les séries d’animation mais également les magazines culturels ou les émissions de spectacle vivants. La bonne nouvelle, c’est que depuis quelques années, la production audiovisuelle et en particulier sa fiction s’exporte de mieux en mieux. Un certain nombre de producteurs français ont reçu des prix à l’étranger. Nous ne sommes pas dans un relai de croissance qui permettrait de développer beaucoup de choses mais néanmoins, nous arrivons à performer. »
Marie Sénélas demande ensuite à Frank Le Wita de définir comment, avec Marc de Bayser, son associé, ils conçoivent leurs rôles de producteur à Film Oblige. Celui-ci répond que presque tous les films qu’ils ont produit étaient à leur initiative. « Nous lisons, nous achetons les droits et nous proposons. C’est comme cela que nous fonctionnons. D’abord la matière grise et puis après nous faisons ce que nous savons faire : trouver l’argent, trouver le bon réalisateur, puis le bon directeur de production, le budget, convaincre tout le monde. C’est une expérience un peu singulière qui consiste à partir de soi, un peu comme un éditeur. J’ai toujours pensé que le cinéma est très proche de l’édition. Par exemple, le film que nous venons de terminer « Diplomatie » est une adaptation d’une pièce de théâtre dont nous avons acheté les droits et qui s’est jouée 240 fois à Paris. Nous avions les deux acteurs avec qui nous avons noué une amitié. Il fallait que nous trouvions ensemble un metteur en scène qui puisse réaliser le film. Nous avons trouvé un metteur en scène allemand (Volker Schlondorff) sur un sujet allemand mais qui se passe à Paris et nous avons eu une belle participation de l’Europe avec Arte et deux chaînes de télévision allemande pour un petit film de 4 M€ ! »
Annie Fontaine lui demande si sa manière de produire a changé depuis ses débuts. Frank Le Wita affirme que non. Il ajoute : « Parfois, on produit dans des conditions difficiles. Notre rôle est d’accompagner jusqu’au bout même lorsque nous nous retrouvons avec un seul investisseur ou deux. Ce sont les circonstances mais il faut passer à travers. On ne gagne pas beaucoup d’argent mais le film se fait. »
Marie Sénélas : « Le passage au numérique a-t-il changé quelque chose dans votre façon de produire ? »
Frank Le Wita répond que, pour lui, « la seule petite chose qui change avec le numérique, c’est la postproduction qui est plus chère, ce qu’il faut prendre en considération dans le coût global ».
François Hamel, directeur de production, pense que le numérique a des avantages au niveau du tournage puisqu’on sait tout de suite s’il y a eu des problèmes techniques. En effet lorsque l’on décharge les cartes ou les diffuseurs de caméra, cela permet d’avoir à la fin de la journée trois copies de sécurité. « Nous avons une carte dans la caméra, nous avons déchargé sur une tour de stockage des images et nous avons fait un disque navette que nous envoyons au laboratoire qui fait un étalonnage des rushes et l’envoie, ensuite, à la salle de montage. Ce qui veut dire qu’il y a une répercussion sur le coût des assurances. Avant, il fallait attendre le résultat des négatifs, et le lendemain, pour démonter un décor. Il y a une vraie économie derrière le numérique »
constate-t-il.
Frank Le Wita ne partage pas ce point de vue car, pour lui, cela génère la création de nouveaux postes tels qu’ingénieur de la vision et directeur de postproduction et des coûts supplémentaires pour la production.
Un spectateur dans la salle affirme que, pour lui, le métier de postproducteur devient un métier clé face à la technologie qui évolue très vite.
Isabelle Pragier, directrice adjointe des études à la Fémis, ajoute qu’auparavant l’école avait un module appelé « direction de production » qui a été rebaptisé aujourd’hui, « direction de production et de postproduction ». Ce qui, pour elle, raconte bien l’évolution du métier.
Un spectateur pose la question : « n’était-il pas plus facile, il y a quelques années, d’apprendre sur le tas ? Maintenant, on nous serine que nous devons faire une formation. »
Jérôme Kanapa, fondateur du centre de formation CIFAP, répond que lorsqu’on se forme sur le tas, il y a des trous méthodologiques énormes que l’on doit combler peu à peu alors qu’en formation, le cursus est conçu pour être limité dans le temps et efficace. Pour lui, le cursus de directeur de production implique la postproduction numérique. Dans les stages financés par l’AFDAS, les jours consacrés à la postproduction numérique sont passés, en cinq ans, de deux à sept jours. Et puisque la postproduction impacte tout le métier, le CIFAP a ouvert des stages spécifiques sur la postproduction. « Il faut être capable de comprendre l’ampleur de la liberté et/ou de la contrainte du numérique. C’est la porte ouverte sur de l’imaginaire et de la création », conclut-il.
Isabelle Pragier pense que la formation n’exclut pas l’expérience car ce sont des métiers où l’on apprend tout au long de sa vie, que rien n’est figé et qu’il faut être d’une insatiable curiosité. Elle indique qu’en formation initiale, il ne s’agit pas de tout savoir mais d’apprendre aux étudiants à se poser les bonnes questions.
Didier Zyserman, responsable pédagogique à l’Ina Sup, signale qu’une association de postproducteurs vient de se créer. Il souligne que - au-delà de la formation reçue - ce qui est important, ce sont les modes de comportement, la connaissance des rouages du métier, des réseaux de cooptation et des modes d’entrée dans le métier. Il précise que l’Ina propose - en formation continue - deux formations assez longues : la première « Chargé de production, un métier » est répertorié au RNCP, la deuxième concerne « la Direction de postproduction ».
Marie Sénélas demande à François Hamel - entré, « sur le tas », dans le métier de la production après un BEP de vente et des études en comptabilité – de parler de son parcours. « J’étais passionné de cinéma. Je suis entré en contact, par relation, avec Philippe Dussard - excellent producteur - à une époque où les agents avaient tous les talents dans leurs agences. Gérard Lebovici - alors patron d’Art Média - avait les auteurs, les réalisateurs et les acteurs. Il montait des projets et les confiait à Philippe Dussard. C’est comme cela que j’ai eu la chance d’entrer dans le métier avec Alain Resnais, Jean-Paul Rappeneau, Otar Iosseliani et Jean-Luc Godard. J’ai appris l’administration de production pendant cinq ans au sein d’une société. Ensuite, j’ai voulu voler de mes propres ailes et me diriger vers la direction de production qui est un poste où il y a une vraie relation avec la création artistique », raconte-t-il.
Isabelle Pragier a été vingt ans productrice à Gloria Films et confirme que c’est un métier qu’il faut faire avec passion, « à 120% » ajoute-t-elle. « Il faut croire dans les projets que l’on initie, que l’on développe. Il faut porter le projet auprès des financiers évidemment mais aussi des comédiens, des réalisateurs, des chefs opérateurs, des directeurs de production, des décorateurs, des diffuseurs », précise-t-elle. Elle explique que la Fémis cherche à former plutôt des producteurs, et que, - pour la direction de production – l’école dispense les fondamentaux. Elle estime que « ce sont des métiers artistiques et qu’il faut avoir le talent de rencontrer les bonnes personnes au bon moment, avoir le talent de trouver le bon financement, les bons scénarios et les bons réalisateurs. Elle ajoute : « Cela s’anticipe et les étudiants apprennent à lire un scénario parce qu’un producteur travaille aussi sur l’écriture. On leur donne une très grande culture générale et spécifique au métier et puis après, ils se confrontent à l’intérieur de la Fémis en produisant eux-mêmes les films des autres étudiants. C’est ainsi qu’ils apprennent à se poser les bonnes questions. »
Frank Le Wita objecte : « C’est un statut de grande école. On passe hypokhâgne et khâgne… Il faut être honnête ! » Isabelle Pragier rétorque que le profil des étudiants est très diversifié et va du BTS à Normale Sup, qu’effectivement l’écart est grand. Elle signale que la Femis propose - en formation continue - « Paris-Ludwigsburg », un partenariat avec l’école allemande, qui s’adresse à de jeunes producteurs européens de moins de trente ans pour les former à la production et à la distribution en Europe durant un an.
Didier Zyserman présente le master production audiovisuelle dont il est responsable pédagogique à l’Ina Sup : « Ce master est organisé sur le modèle de l’université avec des semestres, des UE. De la même manière qu’à la Fémis, le corps professoral est composé essentiellement de professionnels qui viennent donner des cours académiques ou pratiques. La particularité de cette formation, c’est qu’elle ne forme pas uniquement au long métrage fiction ou à l’animation mais aussi au documentaire, à la fiction TV et également aux émissions de flux. Nous travaillons avec un responsable du SPECT (Syndicat des producteurs et créateurs d’émissions de télévision) qui encourage les étudiants à s’orienter vers les métiers audiovisuels relatifs aux magazines sachant que beaucoup d’entre eux préfèrent, au départ, se diriger vers la fiction ou le documentaire qui leur semblent plus créatifs.
Jack Aubert confirme : « Le flux est un bassin d’emploi qui est très important aujourd’hui. C’est un secteur qui, dans l’échelle de la production audiovisuelle, n’est pas encore très bien évalué et qui, pourtant, est porteur en termes d’emploi. »
Et Didier Zyserman de conclure : « Après un an, les diplômés ont un taux d’insertion à 87%. »
Marie Sénélas demande à Claire Alby de parler de l’originalité de la licence professionnelle « Gestion de production audiovisuelle » dont elle est responsable pédagogique à l’université Paris-Est Marne-la-Vallée. « C’est une licence, raconte-t-elle, qui est née d’un désir des producteurs d’animation. Les Gobelins, l’école de l’image, nous ont proposé de développer cette licence professionnelle avec eux parce que c’est l’université qui délivre ce diplôme. Cette formation se fait en deux temps : une partie de trois mois et demi à l’université où l’on étudie la comptabilité, le droit, l’histoire du cinéma et l’image réelle ; ensuite, les étudiants vont passer quatre mois aux Gobelins où ils apprennent la production d’animation. Cette licence peut se faire en formation initiale mais également pour les moins de 26 ans en apprentissage ou en contrat de professionnalisation. Nous accueillons aussi des CIF (Congé individuel de formation) et des VAE (Validation des acquis de l’expérience). Nous essayons de nous adapter à toutes les formes d’ouverture professionnelle qui permettront à nos jeunes étudiants d’une part de trouver du travail et d’autre part de s’ouvrir à l’international. Ce sont des métiers de passion mais aussi des métiers de petites mains qui évoluent très vite.
Jérôme Kanapa renchérit : « C’est pour cela qu’à CIFAP nous anticipons en permanence. Lorsqu’on a décidé - il y a six ans - de commencer des formations sur le cinéma en relief, nous avons, les premières années, perdu notre chemise parce qu’il n’y avait pas assez de gens. Mais au bout de trois ans, les stages étaient pleins. Maintenant - et c’est catastrophique d’une certaine façon - la moitié des gens que nous avons formé sont partis travailler aux Etats-Unis parce que les techniciens français sur le relief sont les meilleurs. »
Marie Sénélas : « Monsieur Aubert, pour clore cette rencontre, pourriez-vous donner les chiffres de l’emploi ? ». « Grosso modo, la production audiovisuelle comprend 3.000 entreprises en France avec énormément de toutes petites structures dont certaines n’existent que pour un seul projet. La création d’emploi est régulière depuis dix ans et d’après les statistiques, il y a, chaque année, 2 ou 3% de personnes en plus. Quant aux masses salariales, elles ont aussi beaucoup évoluées. On est en moyenne à 5% par an, ce qui veut dire que les masses salariales évoluent plus vite que le nombre de personnes qui entrent dans le métier. Après, nous avons peu d’indicateurs sur la durée des contrats car nous n’avons pas l’outil statistique permettant de dire le nombre d’heures travaillées par les salariés qui sont, pour la plupart, des intermittents. », indique Jack Aubert.
Un spectateur prend la parole : « Je voudrais revenir sur la révolution numérique et son impact sur les métiers de la production. Pour moi aujourd’hui, ce n’est pas la numérisation qui est en œuvre – la vidéo est numérisée depuis trente ans -, c’est l’informatisation des métiers. Je pense que les formateurs doivent envisager de proposer des formations qui sont vraiment issues de connaissances venant du monde de l’informatique puisque c’est ce modèle là dont on est en train d’hériter. Avec de nombreuses personnes que je connais, c’est ce que nous cherchons dans la formation. »
« C’est ce que l’on appelle la transdisciplinarité, résume Claire Alby. A Paris-Est Marne-la-Vallée, nous avons un énorme département informatique, images virtuelles et nous travaillons les uns avec les autres. C’est l’intérêt de l’université d’offrir ces ouvertures. »
Isabelle Pragier continue : « Ce sont les étudiants qui nous y amènent. Ce sont eux qui initient les projets. En 2013, les travaux des 4e années comprenaient un travail transmédia et un webdoc. Aujourd’hui, nous proposons un atelier sur le transmédia. Il faut toujours que nous ayons un pas d’avance. »
Didier Zyserman ajoute : « A l’Ina, nous sommes partenaires avec l’école Paris Tech sur un Master spécialisé « Création et production multimédia ». On étudie le transmédia surtout en formation continue mais toutes les écoles en formation initiale y réfléchissent aussi. D’ailleurs, une école est en train de se créer à Marseille. Même les professionnels du secteur se posent la question de savoir si c’est un marché de niche, s’il faut se coller aux jeux vidéo parce que c’est un modèle économique. Personne n’a de certitude… »
Frank Le Wita conclut : « Le web ça diffuse et comme il y a une excellence qui circule, cela va attirer. Il va devenir difficile de gérer les droits. Il y aura beaucoup d’avenir pour les juristes de l’audiovisuel et du web…. »
Annie Fontaine clôture la rencontre en remerciant les intervenants et propose au public de continuer la discussion autour d’un verre.
(Compte-rendu réalisé par Marie Sénélas)
Vous trouverez ci-dessous les liens internet des références citées ainsi que des productions et des organismes de formations mentionnées :
- Jack Aubert, délégué aux affaires sociales en charge des questions de formation à la CPA (Confédération des Producteurs Audiovisuels)
- Frank Le Wita, producteur de longs métrages cinéma et de documentaires TV (Film Oblige)
- François Hamel, directeur de production
- Isabelle Pragier, directrice adjointe des Etudes de la Fémis
- Didier Zyserman, responsable pédagogique au sein du Master Production audiovisuelle
(Ina SUP)
- Claire Alby, responsable pédagogique de la Licence professionnelle Gestion de production audiovisuelle (Université Paris Est Marne-la-Vallée) en collaboration avec les « Gobelins, école de l’Image ».
- Jérôme Kanapa, réalisateur et directeur de production. Fondateur du CIFAP.
Annie Fontaine ouvre la rencontre : « En 2006, Le Pôle Emploi Spectacle et Vidéadoc ont organisé une table ronde sur les métiers de la production et il nous semblait intéressant de voir ce qui a bougé depuis. Comment les changements liés au numérique, les changements dans le financement des films, les délocalisations et la dématérialisation des supports ont-ils fait évoluer ces métiers ? Nous voulions avoir le point de vue des producteurs et celui des organismes de formation. »
UN ÉTAT DES LIEUX
Marie Sénélas propose un état des lieux rapide de la production cinématographique : « En 2012, l’activité de production de films cinématographiques affiche un record jamais atteint depuis trente ans :
- 279 films produits dont 209 d’initiative française
- 129 coproductions internationales.
On note néanmoins un net recul des financements (-26M€ pour les chaînes de télévision), tendance qui s’est poursuivie en 2013.
En conséquence, la production d’initiative française est marquée par :
- le recul du nombre de films dont le devis est compris entre 4M€ et 7M€
- l’augmentation du nombre de films présentant un devis inférieur à 1M€.
- par ailleurs, le cinéma d’animation est très dynamique.
- la production de films documentaires n’a jamais été aussi importante depuis le début de la décennie. »
Jack Aubert, délégué aux affaires sociales et aux formations à la Confédération des Producteurs Audiovisuels, complète cet inventaire : « Aujourd’hui, au niveau de la production audiovisuelle aidée, il y a 400 M€ de chiffre d’affaire. Cela concerne la fiction, les documentaires, les séries d’animation mais également les magazines culturels ou les émissions de spectacle vivants. La bonne nouvelle, c’est que depuis quelques années, la production audiovisuelle et en particulier sa fiction s’exporte de mieux en mieux. Un certain nombre de producteurs français ont reçu des prix à l’étranger. Nous ne sommes pas dans un relai de croissance qui permettrait de développer beaucoup de choses mais néanmoins, nous arrivons à performer. »
LE RÔLE DU PRODUCTEUR EST D’ACCOMPAGNER JUSQU’AU BOUT…
Marie Sénélas demande ensuite à Frank Le Wita de définir comment, avec Marc de Bayser, son associé, ils conçoivent leurs rôles de producteur à Film Oblige. Celui-ci répond que presque tous les films qu’ils ont produit étaient à leur initiative. « Nous lisons, nous achetons les droits et nous proposons. C’est comme cela que nous fonctionnons. D’abord la matière grise et puis après nous faisons ce que nous savons faire : trouver l’argent, trouver le bon réalisateur, puis le bon directeur de production, le budget, convaincre tout le monde. C’est une expérience un peu singulière qui consiste à partir de soi, un peu comme un éditeur. J’ai toujours pensé que le cinéma est très proche de l’édition. Par exemple, le film que nous venons de terminer « Diplomatie » est une adaptation d’une pièce de théâtre dont nous avons acheté les droits et qui s’est jouée 240 fois à Paris. Nous avions les deux acteurs avec qui nous avons noué une amitié. Il fallait que nous trouvions ensemble un metteur en scène qui puisse réaliser le film. Nous avons trouvé un metteur en scène allemand (Volker Schlondorff) sur un sujet allemand mais qui se passe à Paris et nous avons eu une belle participation de l’Europe avec Arte et deux chaînes de télévision allemande pour un petit film de 4 M€ ! »
Annie Fontaine lui demande si sa manière de produire a changé depuis ses débuts. Frank Le Wita affirme que non. Il ajoute : « Parfois, on produit dans des conditions difficiles. Notre rôle est d’accompagner jusqu’au bout même lorsque nous nous retrouvons avec un seul investisseur ou deux. Ce sont les circonstances mais il faut passer à travers. On ne gagne pas beaucoup d’argent mais le film se fait. »
LE NUMÉRIQUE ET L’ÉMERGENCE DE NOUVEAUX MÉTIERS
Marie Sénélas : « Le passage au numérique a-t-il changé quelque chose dans votre façon de produire ? »
Frank Le Wita répond que, pour lui, « la seule petite chose qui change avec le numérique, c’est la postproduction qui est plus chère, ce qu’il faut prendre en considération dans le coût global ».
François Hamel, directeur de production, pense que le numérique a des avantages au niveau du tournage puisqu’on sait tout de suite s’il y a eu des problèmes techniques. En effet lorsque l’on décharge les cartes ou les diffuseurs de caméra, cela permet d’avoir à la fin de la journée trois copies de sécurité. « Nous avons une carte dans la caméra, nous avons déchargé sur une tour de stockage des images et nous avons fait un disque navette que nous envoyons au laboratoire qui fait un étalonnage des rushes et l’envoie, ensuite, à la salle de montage. Ce qui veut dire qu’il y a une répercussion sur le coût des assurances. Avant, il fallait attendre le résultat des négatifs, et le lendemain, pour démonter un décor. Il y a une vraie économie derrière le numérique »
constate-t-il.
Frank Le Wita ne partage pas ce point de vue car, pour lui, cela génère la création de nouveaux postes tels qu’ingénieur de la vision et directeur de postproduction et des coûts supplémentaires pour la production.
Un spectateur dans la salle affirme que, pour lui, le métier de postproducteur devient un métier clé face à la technologie qui évolue très vite.
Isabelle Pragier, directrice adjointe des études à la Fémis, ajoute qu’auparavant l’école avait un module appelé « direction de production » qui a été rebaptisé aujourd’hui, « direction de production et de postproduction ». Ce qui, pour elle, raconte bien l’évolution du métier.
DES MÉTIERS OÙ L’ON APPREND TOUTE LA VIE…
Un spectateur pose la question : « n’était-il pas plus facile, il y a quelques années, d’apprendre sur le tas ? Maintenant, on nous serine que nous devons faire une formation. »
Jérôme Kanapa, fondateur du centre de formation CIFAP, répond que lorsqu’on se forme sur le tas, il y a des trous méthodologiques énormes que l’on doit combler peu à peu alors qu’en formation, le cursus est conçu pour être limité dans le temps et efficace. Pour lui, le cursus de directeur de production implique la postproduction numérique. Dans les stages financés par l’AFDAS, les jours consacrés à la postproduction numérique sont passés, en cinq ans, de deux à sept jours. Et puisque la postproduction impacte tout le métier, le CIFAP a ouvert des stages spécifiques sur la postproduction. « Il faut être capable de comprendre l’ampleur de la liberté et/ou de la contrainte du numérique. C’est la porte ouverte sur de l’imaginaire et de la création », conclut-il.
Isabelle Pragier pense que la formation n’exclut pas l’expérience car ce sont des métiers où l’on apprend tout au long de sa vie, que rien n’est figé et qu’il faut être d’une insatiable curiosité. Elle indique qu’en formation initiale, il ne s’agit pas de tout savoir mais d’apprendre aux étudiants à se poser les bonnes questions.
Didier Zyserman, responsable pédagogique à l’Ina Sup, signale qu’une association de postproducteurs vient de se créer. Il souligne que - au-delà de la formation reçue - ce qui est important, ce sont les modes de comportement, la connaissance des rouages du métier, des réseaux de cooptation et des modes d’entrée dans le métier. Il précise que l’Ina propose - en formation continue - deux formations assez longues : la première « Chargé de production, un métier » est répertorié au RNCP, la deuxième concerne « la Direction de postproduction ».
DES MÉTIERS DE PASSIONS
Marie Sénélas demande à François Hamel - entré, « sur le tas », dans le métier de la production après un BEP de vente et des études en comptabilité – de parler de son parcours. « J’étais passionné de cinéma. Je suis entré en contact, par relation, avec Philippe Dussard - excellent producteur - à une époque où les agents avaient tous les talents dans leurs agences. Gérard Lebovici - alors patron d’Art Média - avait les auteurs, les réalisateurs et les acteurs. Il montait des projets et les confiait à Philippe Dussard. C’est comme cela que j’ai eu la chance d’entrer dans le métier avec Alain Resnais, Jean-Paul Rappeneau, Otar Iosseliani et Jean-Luc Godard. J’ai appris l’administration de production pendant cinq ans au sein d’une société. Ensuite, j’ai voulu voler de mes propres ailes et me diriger vers la direction de production qui est un poste où il y a une vraie relation avec la création artistique », raconte-t-il.
Isabelle Pragier a été vingt ans productrice à Gloria Films et confirme que c’est un métier qu’il faut faire avec passion, « à 120% » ajoute-t-elle. « Il faut croire dans les projets que l’on initie, que l’on développe. Il faut porter le projet auprès des financiers évidemment mais aussi des comédiens, des réalisateurs, des chefs opérateurs, des directeurs de production, des décorateurs, des diffuseurs », précise-t-elle. Elle explique que la Fémis cherche à former plutôt des producteurs, et que, - pour la direction de production – l’école dispense les fondamentaux. Elle estime que « ce sont des métiers artistiques et qu’il faut avoir le talent de rencontrer les bonnes personnes au bon moment, avoir le talent de trouver le bon financement, les bons scénarios et les bons réalisateurs. Elle ajoute : « Cela s’anticipe et les étudiants apprennent à lire un scénario parce qu’un producteur travaille aussi sur l’écriture. On leur donne une très grande culture générale et spécifique au métier et puis après, ils se confrontent à l’intérieur de la Fémis en produisant eux-mêmes les films des autres étudiants. C’est ainsi qu’ils apprennent à se poser les bonnes questions. »
Frank Le Wita objecte : « C’est un statut de grande école. On passe hypokhâgne et khâgne… Il faut être honnête ! » Isabelle Pragier rétorque que le profil des étudiants est très diversifié et va du BTS à Normale Sup, qu’effectivement l’écart est grand. Elle signale que la Femis propose - en formation continue - « Paris-Ludwigsburg », un partenariat avec l’école allemande, qui s’adresse à de jeunes producteurs européens de moins de trente ans pour les former à la production et à la distribution en Europe durant un an.
LES OFFRES DE FORMATIONS
Didier Zyserman présente le master production audiovisuelle dont il est responsable pédagogique à l’Ina Sup : « Ce master est organisé sur le modèle de l’université avec des semestres, des UE. De la même manière qu’à la Fémis, le corps professoral est composé essentiellement de professionnels qui viennent donner des cours académiques ou pratiques. La particularité de cette formation, c’est qu’elle ne forme pas uniquement au long métrage fiction ou à l’animation mais aussi au documentaire, à la fiction TV et également aux émissions de flux. Nous travaillons avec un responsable du SPECT (Syndicat des producteurs et créateurs d’émissions de télévision) qui encourage les étudiants à s’orienter vers les métiers audiovisuels relatifs aux magazines sachant que beaucoup d’entre eux préfèrent, au départ, se diriger vers la fiction ou le documentaire qui leur semblent plus créatifs.
Jack Aubert confirme : « Le flux est un bassin d’emploi qui est très important aujourd’hui. C’est un secteur qui, dans l’échelle de la production audiovisuelle, n’est pas encore très bien évalué et qui, pourtant, est porteur en termes d’emploi. »
Et Didier Zyserman de conclure : « Après un an, les diplômés ont un taux d’insertion à 87%. »
Marie Sénélas demande à Claire Alby de parler de l’originalité de la licence professionnelle « Gestion de production audiovisuelle » dont elle est responsable pédagogique à l’université Paris-Est Marne-la-Vallée. « C’est une licence, raconte-t-elle, qui est née d’un désir des producteurs d’animation. Les Gobelins, l’école de l’image, nous ont proposé de développer cette licence professionnelle avec eux parce que c’est l’université qui délivre ce diplôme. Cette formation se fait en deux temps : une partie de trois mois et demi à l’université où l’on étudie la comptabilité, le droit, l’histoire du cinéma et l’image réelle ; ensuite, les étudiants vont passer quatre mois aux Gobelins où ils apprennent la production d’animation. Cette licence peut se faire en formation initiale mais également pour les moins de 26 ans en apprentissage ou en contrat de professionnalisation. Nous accueillons aussi des CIF (Congé individuel de formation) et des VAE (Validation des acquis de l’expérience). Nous essayons de nous adapter à toutes les formes d’ouverture professionnelle qui permettront à nos jeunes étudiants d’une part de trouver du travail et d’autre part de s’ouvrir à l’international. Ce sont des métiers de passion mais aussi des métiers de petites mains qui évoluent très vite.
Jérôme Kanapa renchérit : « C’est pour cela qu’à CIFAP nous anticipons en permanence. Lorsqu’on a décidé - il y a six ans - de commencer des formations sur le cinéma en relief, nous avons, les premières années, perdu notre chemise parce qu’il n’y avait pas assez de gens. Mais au bout de trois ans, les stages étaient pleins. Maintenant - et c’est catastrophique d’une certaine façon - la moitié des gens que nous avons formé sont partis travailler aux Etats-Unis parce que les techniciens français sur le relief sont les meilleurs. »
EN GUISE DE CONCLUSION
Marie Sénélas : « Monsieur Aubert, pour clore cette rencontre, pourriez-vous donner les chiffres de l’emploi ? ». « Grosso modo, la production audiovisuelle comprend 3.000 entreprises en France avec énormément de toutes petites structures dont certaines n’existent que pour un seul projet. La création d’emploi est régulière depuis dix ans et d’après les statistiques, il y a, chaque année, 2 ou 3% de personnes en plus. Quant aux masses salariales, elles ont aussi beaucoup évoluées. On est en moyenne à 5% par an, ce qui veut dire que les masses salariales évoluent plus vite que le nombre de personnes qui entrent dans le métier. Après, nous avons peu d’indicateurs sur la durée des contrats car nous n’avons pas l’outil statistique permettant de dire le nombre d’heures travaillées par les salariés qui sont, pour la plupart, des intermittents. », indique Jack Aubert.
Un spectateur prend la parole : « Je voudrais revenir sur la révolution numérique et son impact sur les métiers de la production. Pour moi aujourd’hui, ce n’est pas la numérisation qui est en œuvre – la vidéo est numérisée depuis trente ans -, c’est l’informatisation des métiers. Je pense que les formateurs doivent envisager de proposer des formations qui sont vraiment issues de connaissances venant du monde de l’informatique puisque c’est ce modèle là dont on est en train d’hériter. Avec de nombreuses personnes que je connais, c’est ce que nous cherchons dans la formation. »
« C’est ce que l’on appelle la transdisciplinarité, résume Claire Alby. A Paris-Est Marne-la-Vallée, nous avons un énorme département informatique, images virtuelles et nous travaillons les uns avec les autres. C’est l’intérêt de l’université d’offrir ces ouvertures. »
Isabelle Pragier continue : « Ce sont les étudiants qui nous y amènent. Ce sont eux qui initient les projets. En 2013, les travaux des 4e années comprenaient un travail transmédia et un webdoc. Aujourd’hui, nous proposons un atelier sur le transmédia. Il faut toujours que nous ayons un pas d’avance. »
Didier Zyserman ajoute : « A l’Ina, nous sommes partenaires avec l’école Paris Tech sur un Master spécialisé « Création et production multimédia ». On étudie le transmédia surtout en formation continue mais toutes les écoles en formation initiale y réfléchissent aussi. D’ailleurs, une école est en train de se créer à Marseille. Même les professionnels du secteur se posent la question de savoir si c’est un marché de niche, s’il faut se coller aux jeux vidéo parce que c’est un modèle économique. Personne n’a de certitude… »
Frank Le Wita conclut : « Le web ça diffuse et comme il y a une excellence qui circule, cela va attirer. Il va devenir difficile de gérer les droits. Il y aura beaucoup d’avenir pour les juristes de l’audiovisuel et du web…. »
Annie Fontaine clôture la rencontre en remerciant les intervenants et propose au public de continuer la discussion autour d’un verre.
(Compte-rendu réalisé par Marie Sénélas)
Vous trouverez ci-dessous les liens internet des références citées ainsi que des productions et des organismes de formations mentionnées :
Liens internet :