À PROPOS DE LEUR FILM CHAYLLA (2022, 70’ – Novanima Productions)
Clara a fait des études de philosophie avant de suivre le master Écritures documentaires de l’Université d’Aix-Marseille. Elle a réalisé dans ce cadre un premier moyen métrage, Demain l’usine, qui a été sélectionné dans plusieurs festivals et primé au Festival Millenium à Bruxelles, puis diffusé sur la plateforme Tënk. Paul a fait un BTS audiovisuel en section Montage à Roubaix, la région dont il est originaire, puis est entré à l’ENSAV à Toulouse. Il a travaillé ensuite comme monteur, notamment sur des films de Jean-Henri Meunier, Karim Dridi et Marie-Clémence Paes.
À l’origine de ce film, il y a un questionnement que nous partagions quant à la place de la femme sur le territoire du bassin minier du Pas-de-Calais. Nous voulions rencontrer les héritières, les descendantes, d’un monde ouvrier en voie de disparition. C’est auprès du foyer du 9 de Cœur à Lens, destiné à l’accueil et à l’hébergement de femmes, et créé par le grand-père de Paul il y a trente ans, que nous avons entamé nos premières démarches à l’automne 2018.
Nous avons longuement rencontré l’équipe de direction, puis l’équipe éducative, afin de réfléchir ensemble aux enjeux liés à la fabrication d’un film dans une telle structure, où la majorité des femmes arrivent en situation de détresse physique et psychique, échappant souvent à leur compagnon violent ou à la rue. Pendant plusieurs mois, nous sommes venu·es régulièrement, et nous avons échangé avec de nombreuses femmes. Elles nous ont raconté leurs histoires, et nous avons progressivement trouvé notre place parmi elles. Nous envisagions au départ de faire une chronique du lieu ou des portraits croisés mais nous avons choisi finalement de nous orienter vers le récit d’un parcours singulier, celui de Chaylla, qui cherchait à reconstruire sa vie avec son petit garçon après avoir subi les violences de son ex-compagnon.
Lorsque nous avons rencontré Chaylla, elle fumait une cigarette sur le banc à l’entrée du foyer. Nous l’avons recroisée les jours qui ont suivi. Assez vite et simplement à la fois, une forme de complicité est née entre nous. Au fil de nos discussions, nous avons échangé sur son histoire, son adolescence, ses fugues, les familles d’accueil, et la rencontre avec William, le père de son fils. Malgré une histoire difficile, elle avait une manière d’être ancrée dans le présent, d’appréhender le monde avec défi et insolence et d’exprimer une ardeur, qui nous a interpellé et plu.
Nous avions la chance d’avoir notre propre matériel, caméra et unité de prise de son, ce qui nous permettait une grande souplesse. Clara serait au son et Paul à l’image. Notre volonté de filmer le quotidien et les démarches institutionnelles de Chaylla impliquait que nous soyons régulièrement sur place. Vivant à Paris, nous venions tourner une à deux fois par mois à Lens, où nous étions logé·es dans la famille de Paul.
En parallèle aux premiers tournages, nous avons écrit un dossier afin de postuler aux aides à l’écriture. Nous avons obtenu la bourse Brouillon d’un rêve de la Scam et l’Aide à l’écriture de scénario de la Région Île-de-France. A l’été 2019, nous avons envoyé le dossier à plusieurs sociétés de production, accompagné d’une courte sélection de rushes. Nous en avons rencontré cinq et avons choisi de travailler avec Marc Faye, de Novanima Production.
Un mois plus tard, Chaylla quittait le foyer – bien plus vite que nous ne l’avions imaginé, se réinstallait avec son ex-compagnon et tombait à nouveau enceinte. Le récit d’une émancipation linéaire que nous avions imaginé jusqu’à alors ne collait plus, et nous avons compris que c’était justement cette complexité du réel qu’il nous fallait explorer et raconter. Chaylla était d’accord pour que le tournage se poursuive. Fallait-il prendre le temps de réécrire le projet ou continuer à tourner en allant vers un inconnu que nous avions du mal à appréhender ? C’est à ce moment que nous avons obtenu l’Aide au développement de Pictanovo, l’association qui est en charge du soutien à l’audiovisuel pour la Région des Hauts-de-France.
En août 2020, nous avons participé aux Rencontres d’août à Lussas. C’était l’occasion pour nous de rencontrer des diffuseur·ses et distributeur·rices, dont la chaîne locale Bip TV, qui nous proposera un pré-achat en décembre de la même année. L’apport en numéraire de la chaîne était très faible mais sa participation nous permettait de postuler au Fonds de soutien (sélectif) du CNC et aux aides à la production de Pictanovo, de la Région Nouvelle-Aquitaine et de la Procirep-Angoa. Le budget total du film était d’environ 100 000 €, ce qui a permis de nous payer et de conserver le statut d’intermittent·e tout en disposant de neuf semaines de montage.
Le montage a commencé en septembre 2021. Paul étant monteur de métier, nous aurions pu faire le choix de monter le film à deux, mais nous étions très impliqué·es par ces quatre ans de tournage et de relation forte avec Chaylla. Il nous semblait nécessaire d’avoir un regard neuf. La difficulté était d’assurer une certaine continuité narrative dans l’histoire de Chaylla tout en faisant sentir les joies et les peines, les tentatives d’échappées comme les pas en arrière ou les victoires, en essayant de retrouver nos intentions initiales : faire un portrait complexe, sensitif, de Chaylla et ne pas l’enfermer dans la seule position de victime. À l’heure où nous écrivons ces lignes, nous sommes en fin de montage image. Le montage son, le mixage et l’étalonnage sont prévus pour le mois de février 2022 à Bordeaux. Le travail de post-production sera essentiel pour apporter une part plus impressionniste au film, tout en gardant la force de l’instant et l’énergie propre à notre personnage que nous avons cherché à rendre dans le montage.
À travers cette rencontre et ces années de tournage, puis le montage, nous avons été confronté·es à la complexité d’à la fois raconter une histoire ancrée dans une réalité brutale, empreinte d’un déterminisme puissant, et notre volonté de révéler la pulsion vitale, le mouvement vif et lumineux que nous voyons chez Chaylla. L’aventure que nous avons vécue s’est construite dans un rapport de confiance, dans cette relation à trois, où chacun·e a su trouver une place juste, et qui nous laisse l’espoir d’un bel avenir pour le film.