Réalisateur et scénariste, responsable du Master 2 Audiovisuel Paris-Sorbonne
Ô toi aspirant·e scénariste et/ou réalisateur·rice persuadé·e qu’un établissement avec pignon sur rue sera — une fois ton diplôme au titre ronflant en poche — la voie royale pour te conduire vers l’élaboration de toutes ces fictions, documentaires et nouveaux formats qui viendront — c’est sûr — révolutionner le monde de l’audiovisuel de demain : bouscule tes confortables illusions !
La meilleure formation du monde ne fera jamais autre chose que révéler une personnalité… qui doit de toute façon préexister (au minimum en germe) chez celui ou celle qui y postule. Et, pour une fois ne nous racontons pas d’histoires, c’est ce talent, cette vocation, ce don, cette prédisposition, cet indéfinissable je-ne-sais-quoi que cherchent systématiquement à débusquer les jurys de sélection de n’importe quelle école sérieuse dont la motivation première n’est pas de ponctionner plusieurs milliers d’euros au candidat·e ou à sa famille.
Certes, mais quel est ce Graal nécessaire à tout·e apprenti·e désireux·se de devenir ceinture noire en écriture et réalisation ? La réponse est évidemment complexe car la beauté de nos métiers est qu’il n’existe que des parcours et des profils particuliers ; pour autant, si l’on essayait de circonscrire les qualités dont il est préférable d’être armé·e pour se lancer dans ce voyage mouvementé, on pourrait aboutir à la tentative de définition suivante en quatre points.
Tout d’abord, il vaut mieux disposer d’un regard singulier (sur soi, sur les autres, sur le monde) qui se sera développé au fil du temps. Là encore, on me rétorquera que le concept est un peu vague mais disons que cette manière de voir les choses provient le plus souvent d’une sensibilité exacerbée par une histoire personnelle traumatique ou au contraire par un vécu tristement banal au point qu’on n’aura eu de cesse de le magnifier.
On comprendra dès lors que ce qui importe n’est pas qu’il faut impérativement « avoir quelque chose à raconter » comme on l’entend parfois, mais plutôt la conscience aiguë que tout événement, qu’il soit spectaculaire ou relève de l’infra-ordinaire, pourra devenir la matrice d’une histoire puissante dès lors qu’il aura été observé avec un œil original et curieux.
À la manière d’un gymnaste pratiquant régulièrement ses étirements, pour se développer, cette inclination naturelle doit être mise quotidiennement à l’œuvre. Ainsi, à ceux qui souhaiteraient s’exercer à aiguiser leur outil de travail, je recommande de passer du temps à observer leur environnement, et à mettre en application ce mantra (hérité de la lecture, adolescent, d’un texte de Boris Vian expliquant sa venue à la pataphysique) : « Je m’applique volontiers à penser aux choses auxquelles je pense que les autres ne penseront pas ».
On en arrive naturellement au deuxième attribut primordial dans la boîte à outils du prétendant aux métiers de l’écriture pour l’image. Si, pour épater la galerie et prendre la pose il reste de bon ton de simuler une « sprezzatura » toute latine, qu’on ne s’y trompe pas : facilités d’écriture ou non, un travail incessant, tenace, répétitif, régulier, impitoyable reste une condition sine qua non pour avancer. Outre qu’elle permet de se perfectionner, cette discipline acharnée réveille une niaque (dont le penchant naturel est de rester dans sa zone de confort) et aide à rebondir lors des phases de découragement qui ne manqueront pas de gagner le/la petit·e padawan durant son parcours semé d’embûches.
Le troisième ingrédient est qu’il est indispensable de disposer d’un curieux mélange entre l’amour pour le travail solitaire d’un côté et, de l’autre, un certain sens du collectif. Personne ne l’ignore, les métiers de l’audiovisuel et du cinéma fonctionnent sur des principes de collaboration. Encore plus aujourd’hui où, sur le modèle anglo-saxon, se développent à tour de bras les writing-room au sein desquelles chaque ego doit autant être dans la proposition que dans l’écoute et la critique constructive. Quoi qu’il en soit, tout ce qui sort le plumitif de son isolement est salutaire. Rien n’empêchera jamais un timide de s’en sortir, pour un asocial ce sera toujours plus compliqué…
Pour finir, le dernier trait nécessaire est qu’il ne faut pas avoir peur d’écouter son instinct et, dans le cadre défini ci-avant, ne pas hésiter à écrire ses propres règles ou s’inventer ses rituels. Pour ce faire, il vaut tout de même mieux savoir dans quel marigot on évolue et se tenir au courant des tendances du moment. Même si c’est pour désirer les prendre à rebours.
Si par provocation j’indiquais en préambule les limites des organismes des écoles et universités dans la « fabrique des auteurs », il me faut à présent avoir l’honnêteté intellectuelle de vanter aussi les mérites de celles dignes de retenir l’intérêt. En effet, si mon parcours personnel est plutôt celui d’un autodidacte, j’ai depuis quatre ans également le privilège de diriger la filière « Cinéma, Audiovisuel et Nouvelles Écritures » du Master 2 LMA de l’université Paris IV-Sorbonne.
En acceptant ce poste, j’ai eu l’opportunité de m’interroger sur la formation que j’aurais idéalement adoré suivre, de manière à éviter aux jeunes auteur·rices la plupart des écueils rencontrés dans mon propre cheminement. De ce fait, le M2 CANE est construit avec pour principe de maximiser les rencontres entre professionnel·les et étudiant·es, de façon à donner la chance à ces dernier·es d’apprendre tout autant les rouages de l’écriture, la chaîne de fabrication d’un film, que le fonctionnement général du marché.
Par delà les qualités des intervenant·es qui sont tou·tes des scénaristes, réalisateur·rices ou producteur·rices en exercice, le nombre restreint de candidat·es retenu·es (entre douze et quatorze par promotion) autorise une formation quasiment « à la carte » où les priorités pourront être modulées en fonction de la sensibilité et des besoins de chacun·e. Grâce à cette année divisée entre un semestre théorique et un semestre de mise en pratique, le cursus constitue un accélérateur pour les étudiant·es qui, en outre, commencent dès cette période à se constituer un réseau, outil indispensable qui restera toujours plus difficile à élaborer pour un auteur isolé.
(Témoignage publié dans le guide des formations 2016)